Don’t Trust the B—- in Apartment 23, c’est un peu comme le gros plat de pâtes englouti en lendemain de soirée (arrosé de citrate de bétaïne) ; une sorte de comfort food télévisuelle qui se regarde d’une traite et avec gloutonnerie. C’est déjanté, délirant, subversif et captivant.
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Tout commence avec June, fraîchement débarquée de sa province natale pour occuper le job de ses rêves, qui voit sa vie bouleversée quand elle trouve porte close à Wall Street et découvre avec stupeur que son fiancé la trompe… Elle se voit donc forcée d’emménager avec Chloé, la (fameuse) garce éponyme aux jambes interminables et aux faux airs d’Uma Thurman.
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Mais seulement voilà, Chloé est une véritable sociopathe. Égocentrique, dénuée de toute empathie, emmitouflée de suffisance et maligne comme un singe, elle exploite sans vergogne tous ceux qui lui tombent sous la main afin de pouvoir se permettre un train de vie auquel elle s’accroche désespérément : imbibé d’alcool, de fêtes à gogo et de gueules de bois invétérées.
Fabuleuse, drôle et étonnamment attachante, elle virevolte de scène en scène en bombant le torse, alternant les poses exagérées et les remarques assassines, les yeux constamment levés au ciel pour un effet d’exaspération malicieux. Oh, et elle est accessoirement l’héroïne d’un manga intitulé Shitagi Nashi (“Grande Salope sans culotte”).
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Elle a pour meilleur ami James Van Der Beek, le Dawson Leery de notre adolescence, qui s’éclate comme un petit fou à jouer son propre rôle. Leur amitié fusionnelle, où ils passent la plus grande partie du temps à se regarder le nombril, a bien failli commencer en tant que relation charnelle, mais selon les doux mots de Chloé, il y avait quelques petits problèmes “génétiques” : “Imagine un peu faire rentrer un concombre dans un porte-monnaie”, balance-t-elle à June.
L’alchimie entre les deux acteurs est un délice à observer, même si James Van Der Beek tend parfois à lui voler la vedette, tant il excelle en acteur has been agrippé aux lambeaux de sa célébrité. À l’opposé d’un BoJack Horseman rongé par la frustration et la dépression, Van Der Beek capitalise sur ses années Dawson et se lance à corps perdu dans une autodérision rafraîchissante, enchaînant les situations cocasses et absurdes. Au-delà de ses pitreries, il n’hésite pas à jouer sur la corde sensible dans ce fameux épisode où il apprend qu’aucun·e de ses partenaires de Dawson ne souhaite faire une réunion avec lui, car ils le détestent tous.
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Ses meilleurs moments ? Créer sa propre ligne de jeans super tight, jouer Shakespeare dans un café, se prendre la tête avec Dean Cain sur la taille de leurs loges respectives, poursuivre Frankie Muniz dans un supermarché, ou encore organiser un dating game qui rappelle Friends. Certes, James Van Der Beek joue James Van Der Beek, mais il agit surtout en tant que pied-de-nez aux célébrités de série B devenues divas. Le show pourrait aisément se reposer sur lui seul.
Entre June et Chloé, les choses ne sont pas aussi évidentes. Comment la Kimmy Schmidt de 2012 pourrait-elle gérer la Holly Golightly des temps modernes ? Un hommage par ailleurs totalement assumé par la créatrice du show, Nahnatchka Khan : “Je me demandais à quoi Holly Golightly (de Diamants sur Canapé) ressemblerait si elle vivait dans le monde d’aujourd’hui. Puis je me suis dit que ce serait drôle de lui donner une colocataire, quelqu’un de normal qui veut juste payer ses factures et regarder Castle à la télé, tandis qu’elle se pavane à ses côtés sur son nuage de champagne. Je trouvais la dynamique entre ces deux filles plutôt drôle.”
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En vérité, June apparaît très vite moins impressionnable que prévu, et si elle essaye au début de sauver sa colocataire de ses penchants malsains (en vain), elle gagne peu à peu son respect, et les deux femmes deviennent de véritables amies. Il lui arrive même de traverser elle aussi la frontière psychotique, poussée à bout et complice malgré elle des frasques de sa colocataire. Représentant le côté rationnel de l’appartement 23, elle se laisse tout de même séduire par le style de vie déluré et excessif de Chloé. Et si être cool signifie parfois aussi ne pas se laisser faire, montrer ses seins à la télé et oui… planter un couteau dans le dos de son ennemie jurée, tant pis.
Dans le monde professionnel rarement gratifiant de Don’t Trust the B, où June doit jongler entre plusieurs emplois éreintants où sa bienveillance est mise à rude épreuve, la seule manière de s’en sortir est d’arnaquer, tricher et mentir. Chloé apprend à June qu’avoir une moralité déviante n’est pas toujours une mauvaise chose, ce qui la mène à progressivement s’affirmer dans toutes les instances de sa vie.
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Avec son éthique de brigand, Chloé est-elle finalement un monstre incorrigible au cœur d’or, ou une héroïne malavisée ? Quoi qu’il en soit, elle est un véritable trésor. Derrière sa folie et ses farces les plus vindicatives se cache souvent un plan plus vaste : lorsqu’elle force June à faire semblant d’être handicapée pour se faire pardonner d’avoir couché avec le mari de sa mère, elle cherche en réalité à obtenir l’argent nécessaire pour permettre à celle-ci de rejoindre ses parents pour Thanksgiving. Et si elle drogue une June accaparée par le travail au point où celle-ci manque de perdre son emploi ? C’est simplement parce qu’elle lui manque ! Si la fin ne justifie pas toujours les moyens, elle fait de son mieux tout en étant la pire possible.
En quelque sorte, June et Chloé représentent les deux faces de la jeune femme new-yorkaise, ce qui forme une relation (d)étonnante sans trahir qui elles sont vraiment. Saupoudrez le tout d’alcool, de drogues et de sexualité débridée et assumée, et on obtient un show remarquablement audacieux.
Un tour de force comique
Une autre force de Don’t Trust the B a été de miser sur des comédiens peu connus mais au potentiel comique énorme, qui voyaient ici l’opportunité de montrer l’étendue de leur talent. Eric Andre, dans le rôle de Mark (le collègue de June éperdument amoureux d’elle), est un peu sous-exploité, mais il s’est par la suite lancé sur la scène et rencontre aujourd’hui un beau succès en tant qu’humoriste dans The Eric Andre Show (diffusée sur Adult Swim). Liza Lapira est délicieuse en groupie de Chloé, et Ray Ford s’amuse dans le rôle de l’assistant gay collé aux basques de James. (“Bitch, please. Bitch.”)
S’appliquant à caler de nombreuses références à la pop culture (et un millier de répliques délirantes à – ne pas – réutiliser en société), la série a également eu le luxe de se payer pléthore de guests, beaucoup issus de la télévision des années 1990. Parmi eux figurent Kiernan Shipka, qui joue la fille de James dans un navet, Kevin Sorbo, cavalier involontaire de Chloé, Dean Cain qui concurrence James dans une émission de danse, Busy Philipps, qui lui donne des leçons de vie, et Richard Dean Anderson comme potentiel père biologique.
Il est drôle de voir chez Don’t Trust the B quels enseignements cartoonesques Nahnatchka Khan a ramené de ses années passées en tant que scénariste et productrice pour American Dad ! Le show est un drôle de mélange entre l’hyperréel (principalement en ce qui concerne les inquiétudes de June sur sa carrière qui ne veut pas décoller) et le surréel. Et que penser d’Eli, leur voisin pervers qui observe leurs faits et gestes et discute avec elles par la fenêtre ? Un autre aspect de la série d’animation que l’on retrouve ici pourrait concerner l’amnésie générale des personnages qui finissent toujours par pardonner à Chloé ses excentricités, et la sauver du devoir d’assumer les conséquences de ses actes.
Malgré son côté déluré, la série n’essaye pas de choquer le public, mais cherche plutôt à trouver de l’humour dans les recoins les moins reluisants de la vie, et les rires ne sont généralement pas cruels et toujours mérités. Au final, si chaque personnage devait y trouver son compte, Don’t trust the B parlerait essentiellement de la rédemption de Chloé, la corruption de June, des tentatives de James pour retrouver la gloire et de la poursuite de l’amour de Mark.
Un échec annoncé
Annulée en 2013 après seulement 33 épisodes et 1,5 saison, la série a pâti d’un manque de considération de la part de ABC. À l’origine diffusée en remplacement d’une autre série, notre Bitch a souffert d’une rude compétition, se retrouvant notamment face à American Idol.
Cependant, la chaîne n’a diffusé en premier lieu que la première partie de la saison, gardant le reste sous le coude, et sept petits épisodes n’étaient pas suffisants pour accrocher le public. En voulant coller les épisodes manquants à la seconde saison, ABC a mélangé les intrigues qui, du coup, ne faisaient plus aucun sens. Finalement, le manque d’audience a eu raison du show, et les huit derniers épisodes n’ont jamais été diffusés à la télévision.
Pas de panique : vous pouvez aujourd’hui rattraper l’intégralité des folles aventures de Chloé sur Netflix. Et vous allez adorer la détester.
Don’t Trust the B—- in Apartment 23, c’est un peu comme avoir été invité à une fête sans raison particulière. Mais quand Krysten Ritter, Dreama Walker et James Van Der Beek sont les hôte·sse·s, on sait d’avance qu’on ne regrettera pas d’être venus.