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Surprise de la rentrée sérielle, You est devenu un vrai petit phénomène depuis que la série, diffusée sur Lifetime, a débarqué sur Netflix fin décembre. La plateforme ne s’y est pas trompée : elle a commandé une deuxième saison exclusive sur-le-champ.
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Dans cette série, créée par Greg Berlanti et Sera Gamble et adaptée du roman éponyme de Caroline Kepnes, Penn Badgley incarne le personnage principal, Joe, un intello en apparence mignon et gérant d’une librairie à New York. Sauf que ce mec est un harceleur doublé d’un serial killer. L’histoire débute quand il commence à stalker son nouveau crush, Beck. Cette anti-comédie romantique est des plus troublantes puisque comme pour Dexter, autre série avec un antihéros amoral, You adopte le point de vue de Joe, qui nous fait rentrer dans sa tête avec sa voix off blasée, cynique et… attachante.
Au fil des épisodes, l’homme trouve systématiquement une bonne raison pour justifier ses agissements toujours plus glauques, et la mise en scène n’aide pas forcément à prendre le recul suffisant. On peut donc vite oublier la base de cette narration tordue : il se raconte des histoires pour avoir le beau rôle et nous présente la version de lui-même qu’il aimerait qu’on croie.
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Ajoutez à cela que ce personnage pour le moins problématique, qui prend des femmes pour cible, est interprété par Penn Badgley, une ex-star de Gossip Girl, série pour ados culte qui glamourisait l’immonde personnage de Chuck Bass (rappelons que la réalité a rattrapé la fiction puisque son interprète Ed Westwick a été accusé de viols par plusieurs femmes), et ce qui devait arriver arriva : vous vous retrouvez avec une horde de fans qui ne font plus la différence entre l’acteur – qu’elles ont évidemment le droit d’apprécier (il s’agit en écrasante majorité de jeunes femmes) – et le personnage.
Du coup, nous voilà avec un succès qui met mal à l’aise sur les bras. Et un acteur qui passe son temps à tenter de calmer les fans hardcore qui lui demandent de les “enlever”.
A: He is a murderer https://t.co/g2g4f3JvaF
— Penn Badgley (@PennBadgley) 9 janvier 2019
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” – Je l’ai déjà dit mais Penn Badgley me brise à nouveau le cœur. Que se passe-t-il avec lui ?
– C’est un meurtrier.”
No thx https://t.co/VnBqJ3JoxG
— Penn Badgley (@PennBadgley) 9 janvier 2019
“- Penn Badgley, je t’en prie, kidnappe-moi.
-Non, merci.”
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...of problems, right? https://t.co/9NmOGWvSYb
— Penn Badgley (@PennBadgley) 9 janvier 2019
“- OK, mais Penn Badgley était sexy dans le rôle de Dan, mais mon Dieu Joe atteint un tout nouveau niveau…
– De problèmes, c’est bien ça ?”
Ditto. It will be all the motivation I need for season 2. https://t.co/fy2hojauDG
— Penn Badgley (@PennBadgley) 9 janvier 2019
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“- Le nombre de personnes qui fantasment sur Joe dans You me fait vraiment peur.
-Idem. Et ça me donne toute la motivation dont j’ai besoin pour la saison 2.”
Alors, évidemment, l’acteur a la bonne réaction en tentant de faire redescendre sur Terre ses fans les plus à l’Ouest. Maintenant, ce serait un peu trop facile de se dire qu’on est juste face à une foule de groupies décérébrées. Il y a des façons de raconter une histoire, surtout quand elle est destinée à un public de jeunes femmes.
La mise en scène de You est par moments bien trop complaisante avec son personnage principal. Ainsi, la scène de masturbation derrière les buissons dans le pilote aurait pu être beaucoup plus dérangeante, sauf que Joe est interrompu par une vieille dame qui sort de la résidence. C’est cocasse au lieu d’être glauque.
Le petit ami de Beck est tellement infect qu’on en arrive à se dire comme Joe, “Bon débarras !”. Nous sommes alors face à un personnage masculin qui applique le gaslighting (manipulation psychologique par une personne sociopathe pour isoler et faire douter sa victime de ses capacités et de ce qu’elle perçoit) à Beck, l’objet de ses désirs, mais aussi à nous, spectateur·ice·s, qui roulons pour lui sans même nous en rendre compte.
On passe donc sous silence les moments “gênants” de Joe le psychopathe et au contraire, on blâme la victime. Ainsi, de nombreuses personnes ont tourné en dérision le fait que Beck vive au rez-de-chaussée d’un appartement aux grandes baies vitrées… qui n’a pas de rideaux.
Même Netflix en a fait un mème sur Instagram, après avoir remarqué la masse de tweets se moquant de l’inconscience du personnage. Le message sous-jacent est terrible : “Si cette conne avait des rideaux, elle ne se ferait pas harceler.” Mais qui a décidé de faire de Beck une inconsciente qui se balade en petite tenue ou a des relations sexuelles devant une grande baie vitrée, ce qui la livre en pâture aux voyeurs et harceleurs de tous bois ? Ceux et celles qui ont écrit cette scène et l’ont tournée, en fait.
Voilà pourquoi, en cette ère post-Me Too, ce serait cool de réfléchir à quelles histoires on a envie de raconter, à quelles représentations de la masculinité on a envie de mettre en avant. Et si on décide de raconter une histoire d’abus, quel sera le point de vue et le propos ? Sur ce plan, une série comme Patrick Melrose ou le téléfilm HBO The Tale sont autrement plus intéressants.
You saute à pieds joints dans le piège du male gaze : tout est ressenti du point de vue de l’homme, qui ne voit Beck que comme un réceptacle de son désir ou une petite chose “parfaite” à sauver. Pourrait-on arrêter deux secondes de faire croire aux jeunes femmes que le must en matière d’hommes sexy, c’est le psychopathe manipulateur qui va faire de vous sa chose et décider pour vous de ce que vous voulez ? L’heure est au consentement et à l’égalité femme-homme. Donc au revoir Joe, Christian Grey, Dexter, Edward Cullen et compagnie. Vous ne nous manquerez pas.