C’est l’événement sériel de la rentrée du côté de Canal+. La chaîne diffuse depuis le 6 septembre dernier la première série de la plus américaine de nos cinéastes françaises, Julie Delpy. Deux ans après My Zoé, la prolifique artiste revient nous raconter le quotidien bien agité de quatre copines qui habitent à Los Angeles. Si elles sont en apparence “installées” dans leur vie pro et perso, la réalité est tout autre et la série va se charger de nous montrer que tout peut basculer (le titre de la série signifie “à l’aube de”) et changer, même après l’âge de 40 ans.
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Comme à son habitude, Julie Delpy est au four et au moulin sur cette production franco-américaine, coproduite par Canal+ et Netflix, qui diffuse la série hors de nos frontières. Réalisatrice, co-scénariste avec Alexia Landeau (également actrice dans le show) et actrice principale, elle se glisse dans la peau de Justine, une cheffe française expatriée avec son architecte de mari, l’insupportable Martin (incarné par Mathieu Demy, également réalisateur de certains épisodes) et son adorable fils.
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Alors qu’elle étouffe de plus en plus dans sa vie de couple, Justine se voit commander par un éditeur un livre de recettes qui prend la forme d’un journal intime. Elle peut aussi se confier à ses trois copines : Yasmin (Sarah Jones), femme au foyer noire, en quête de son identité et qui commence à regretter l’époque où elle bossait pour les renseignements, Anne (Elisabeth Shue), maman et créatrice de mode dépendante de la fortune de sa propre génitrice, et Ella (Alexia Landeau), maman en galère de trois enfants qu’elle a eus de trois pères différents et dont elle assume la garde complète. Pour faire bouillir l’eau dans la marmite, elle a l’idée de mettre en scène sa famille dysfonctionnelle sur YouTube…
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Femmes au bord… d’une nouvelle vie
Julie Delpy propose avec On the Verge le portrait de quatre femmes, reliées par leur âge (dans le sens où elles en sont à peu près au même stade de leurs vies), leur amitié et leur maternité. Grande fan du cinéma de Woody Allen et de Larry David et sa série Curb Your Enthusiasm, la scénariste est passée maîtresse dans l’art de créer des personnages truculents, un peu à côté de leurs pompes, à qui il arrive des petites bêtises quotidiennes qui en disent long sur leur mal-être.
Chaque personnage et son univers sont si bien caractérisés que chacune semble parfois évoluer dans sa propre série : Justine dans ce monde très masculin de la cuisine gastronomique ; Yasmin, dans une sorte de comédie d’espionnage, pourrait être une nouvelle voisine des Desperate Housewives. Et si, au début de la série, elle se pose des questions légitimes (“Je suis une féministe noire et perse, dont le mari a payé l’épilation laser. Qui suis-je ? Je vis dans un monde entièrement blanc”), on regrette justement qu’elles ne soient pas davantage explorées durant cette première saison.
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De son côté, Ella et sa joyeuse famille mixte se la jouent wannabe Kardashian avec une touche de Shameless. Si le personnage est parfois crispant (elle cherche un peu trop désespérément à exploiter le talent de ses enfants), voilà encore une idée très bien vue – filmer le quotidien d’une famille et le balancer sur les réseaux – pour une comédie moderne. À côté de ces trois-là, c’est le personnage pourtant très cool d’Anne, sympathique bobo qui vit sur les deniers de sa mère, qui apparaît au final le plus plat.
Derrière les atours de la comédie légère et les décalages liés aux différences de culture entre la France et les États-Unis, On the Verge explore aussi des sujets féministes. On adore par exemple cette scène comique durant laquelle Justine se rend à un shooting photo pour son livre culinaire, et se retrouve aux ordres d’un photographe qui veut la rendre sexy par tous les moyens, surtout les plus ridicules. Jusqu’à la publication du livre et la photo de couverture ultra-retouchée où on lui a enlevé la moitié des cuisses. Il y a aussi la façon dont la série évoque la charge mentale de notre héroïne, régulièrement rabaissée par son mari à la personnalité ultra-toxique.
Du côté d’Anne, dont le mariage avec un homme plus jeune (et plutôt opportuniste, une version masculine assez inédite du mec entretenu) bat de l’aile et qui va redécouvrir les joies de la séduction, le sujet le plus intéressant concerne en vérité leur enfant, Sebastian, dont le comportement (il aime porter des robes, pratiquer des activités codifiées féminines) challenge les normes de genre. On observe les différences de réactions entre Anne – qui accepte son enfant comme il est ou deviendra – et son mari George, extrêmement braqué sur la question.
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Tout n’est pas réussi dans On the Verge : certaines situations censées être comiques tombent un peu à plat selon les sensibilités. Le personnage d’Ella écope des moments les plus gênants, notamment dans le premier épisode : après une soirée arrosée, elle pratique une fellation à un ami qui était sur le point de lui donner de l’argent, parce qu’elle est en galère financière. On est donc censé·e·s rire du quiproquo et du sous-texte “s’est-elle prostituée ?”. La série a donc le cul entre deux chaises du côté de l’humour, parfois un peu trop à l’ancienne, parfois qui tombe juste. C’est aussi ce qui fait le charme de l’écriture de Julie Delpy. On the Verge regorge de multiples idées, de répliques piquantes et respire ce joyeux bordel qu’est la vie selon la cinéaste.
D’un coup, une scène où Justine scrolle sur son téléphone portable dans toutes les photos de son fils nous émeut – la série aborde avec justesse les bonheurs et difficultés liés à la maternité, à travers différents points de vue de mères –, ou une réflexion de fin de soirée extrêmement pertinente (“Parfois j’ai l’impression qu’on est en deuil permanent de la personne qu’on aurait voulu devenir”) nous plonge dans un abîme d’existentialisme. C’est le style Delpy, créatif, “lost in translation”, bordélique, borderline… On y adhère ou pas.
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La première saison de la série On the Verge, composée de douze épisodes, est diffusée sur Canal+ en France.