Créée par John Carney, Modern Love a été lancée le 18 octobre dernier sur Amazon. Elle s’inscrit dans un genre, l’anthologie amoureuse, exploré dans le passé par des séries comme l’excellente Dates de Bryan Elsley (2013) ou l’inégale mais pas inintéressante Easy de Joe Swanberg (sur Netflix). On connaît les avantages de ce format : en théorie, pas d’ennui possible puisque chaque histoire est différente (une donnée importante, amour et ennui étant rarement compatibles sur un écran) et cela permet de faire appel à des stars aux plannings surchargés, qui ne s’aventureraient pas dans le monde merveilleux des séries autrement. Dans le cas présent, on est ravis de retrouver par exemple Dev Patel, Anne Hathaway, Tina Fey ou encore notre “hot priest” préféré, Andrew Scott.
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Le piège à éviter avec l’anthologie, et dans lequel Modern Love tombe malheureusement, c’est l’inégalité dans la qualité des épisodes. La série part pourtant d’un matériel de base similaire : un choix d’essais publiés dans la célèbre colonne éponyme du New York Times, qui existe depuis pas moins de 15 ans. Huit épisodes d’une demi-heure se penchent chacun sur des histoires d’amour et d’affection à la fois différentes et partageant un même ton old school et feel good. Ce qui n’est pas nécessairement une critique, sauf qu’on était en droit de s’attendre, avec un titre comme “modern love”, à une exploration de l’amour un peu plus audacieuse et LGBT-friendly.
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Or, mises à part des relations hétéros et platoniques entre des hommes plus vieux et des jeunes femmes (dans l’épisode “When the Doorman Is Your Main Man” et dans “So He Looked Like Dad. It Was Just Dinner, Right ?”), plus un épisode centré sur un couple d’hommes gay souhaitant un enfant (“Hers Was a World of One” avec un pitch très classique, mais excellemment joué et plutôt émouvant), l’amour selon John Carney, c’est entre un homme et une femme, de préférence blanche.
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En effet, la seule femme racisée qui a le droit d’être l’héroïne d’un épisode, et ne joue pas les seconds couteaux pour mettre en avant le couple de l’histoire, est incarnée par la magnifique actrice algérienne Sofia Boutella, 37 ans au compteur, 25 si vous la regardez évoluer avec une grâce à nulle autre pareille. Dans l’épisode “At the Hospital, an Interlude of Clarity”, elle incarne une jeune femme accro à son image et à Instagram, qui vit un date improbable avec un mec bourré d’angoisses. Plutôt sympathique, même si elle se retrouve un peu trop à jouer les infirmières et semble là au final pour rassurer l’ego de son date.
Raconte-moi une histoire (d’amour)
C’est à se demander si la writer’s room de Modern Love a accueilli des plumes féminines pour adapter à l’écran ces histoires écrites. La réponse est oui, mais certainement pas dans des proportions paritaires. Seuls deux épisodes sur huit ont été écrits par des scénaristes femmes : d’abord “Rallying to Keep the Game Alive”, signé Sharon Horgan, met en scène Tina Fey en épouse de John Slattery au bout de rouleau, qui se rend compte qu’elle a sacrifié ses meilleures années pour son acteur de mari, qui lui l’a soigneusement écartée des aspects fun de son métier. Sur le fond, le sujet est passionnant, mais sur la forme, l’épisode apparaît artificiel et trop court pour un sujet pareil.
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Il y a aussi le déroutant “So He Looked Like Dad. It Was Just Dinner, Right ?” écrit par Audrey Wells et réalisé par Emmy Rossum (oui, Fiona dans Shameless), qui se penche sur une jeune femme fascinée par un de ses collègues de travail, senior, qu’elle appelle “le génie”. Comme dans quasiment tous les épisodes de Modern Love, c’est assez finement joué et écrit sans jugement pour qu’on reste devant notre écran, mais le propos reste pour le moins conservateur. Maddy (Julia Garner) avait donc besoin d’une relation cringe avec un papa de substitution pour devenir “une femme”.
Finalement, on retient surtout que cette anthologie rend hommage au genre so hollywoodien de la comédie romantique. Le premier épisode évoque évidemment Miss Daisy et son chauffeur. L’épisode le plus abouti, à mon sens, est “Take Me as I Am, Whoever I Am”, qui joue avec les codes de la “screwball comedy” (très populaire dans les années 1930) et du genre de la comédie musicale des années 1950, telle que Les hommes préfèrent les blondes (1953). Il met en scène Anne Hathaway dans le rôle de Lexi, une femme qui nous apparaît d’abord follement joyeuse et pétillante, capable de trouver dans une simple sortie au supermarché un homme assez charmant pour l’inviter à sortir avec elle. Fan du film noir Gilda et de sa star Rita Hayworth, qu’elle voit comme un modèle, elle est extraordinaire et se prépare comme jamais pour son date. Mais il y a un twist : Lexi a du mal à garder un travail et n’a pas d’amis, car elle est bipolaire. Cet épisode effectue ainsi un joli pont entre le passé et le présent.
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C’est à la fois une déclaration d’amour aux grandes actrices du Hollywood classique – à travers le minois étincelant d’une Anne Hathaway teinte en rousse, parfaite en Gilda des temps modernes – et une plongée moderne dans la psyché d’une personne qui apprend à vivre avec sa maladie mentale. Un sujet évidemment davantage exploré en 2019 qu’en 1950.
Puis, dans un style plus proche de Love Actually (2003, de Richard Curtis), je me suis délectée de l’épisode “When Cupid Is a Prying Journalist”, avec Catherine Keener et Dev Patel, ce dernier ayant une voie toute tracée en héros de comédies romantiques modernes. Il est absolument irrésistible dans le rôle d’un CEO d’une appli de rencontres, qui a connu le succès professionnel mais a laissé filé dans sa vie perso un grand amour qui le hante des années plus tard. Il se remémore tout cela avec une journaliste venue l’interviewer. Cette dernière va aussi lui raconter l’histoire d’un amour inachevé qui l’a poursuivie pendant près de 20 ans. Cet épisode, chou à souhait, a la même faculté que Love Actually à nous faire fondre et à connecter les êtres humains entre eux. Tout comme le dernier, “The Race Grows Sweeter Near Its Final Lap”, qui nous plonge dans une histoire d’amour touchante entre deux personnes âgées.
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Ainsi, on comprend que ce qu’il y a de moderne et divers dans Modern Love, ce sont les types d’amour proposés, qui ont chacun leurs saveurs et utilités différentes : platoniques, inachevés, sur la fin de sa vie, en mode coup de foudre, entre un couple monogame qui se regarde dans le blanc des yeux alors que les enfants quittent le nid…
La déception est alors d’autant plus forte de voir le show resté étriqué dans le cadre monogame et quasi exclusivement hétéro. Où sont les amours à plusieurs, entre deux femmes (encore si peu portées à l’écran par rapport aux amours gays entre hommes), entre personnes racisées ? Comment une personne transgenre vit ses relations amoureuses, et une personne asexuelle, et une personne en situation de handicap ?
Sans parler du background social des personnages de Modern Love, tous dans d’excellentes situations financières (à part un personnage dans l’épisode 7, qui a fait le choix de vivre dans la rue). Si le show, et on lui souhaite, est renouvelé pour une deuxième saison, il devra impérativement sortir de son cadre – blanc et riche – pour rester intéressant et pertinent sur un des sujets inépuisables d’histoires : l’amour.