D’Un gars, une fille à Je te promets en passant par Mouche et Malaterra, les chaînes françaises ont une attirance profonde pour les adaptations de fictions étrangères. Il ne faut pas se voiler la face, on aime bien les projets casse-gueule dans l’Hexagone. La réciproque est également vraie à l’échelle européenne voire internationale, comme en témoignent les adaptations de Dix pour cent (Call My Agent) en Angleterre et des Revenants (The Returned) aux US. Mais certaines réinterprétations françaises font d’autant plus peur qu’elles pourraient venir ternir la notoriété de l’originale, à la manière du remake de Luther sur TF1.
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La série sur le plus célèbre flic torturé d’outre-Manche a toujours été considérée comme un tour de force dans le genre du polar noir. L’œuvre de Neil Cross a été saluée plusieurs fois par la critique, avec plusieurs nominations aux Emmy et BAFTA Awards et même quelques récompenses grappillées aux Golden Globes. Évidemment, la force principale du show reposait sur ses interprètes principaux dont le duo emblématique formé par Idris Elba et Ruth Wilson, le plus sensuel et dangereux du petit écran. Bref, il y a un certain niveau d’exigence non négligeable pour rivaliser avec la série originale, même si les adaptations internationales sont déjà nombreuses (des versions américaines, russes, sud-coréennes et prochainement indiennes de Luther ont vu ou verront le jour).
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Pour incarner le tandem explosif de son adaptation, TF1 a fait confiance à deux talents encore méconnus du grand public : Christopher Bayemi, un comédien formé principalement sur les planches et dans les sketchs du Palmashow, et Chloé Jouannet, révélation de la pétillante Derby Girl sur France.tv Slash et accessoirement fille de l’actrice Alexandra Lamy. Au niveau du pitch, Luther reste très fidèle à sa version de base : le lieutenant Théo Luther bosse pour la Brigade criminelle de Paris, mais se fait peu à peu consumer par les crimes et meurtriers atroces auxquels il fait face. Après une dépression, il doit réintégrer son équipe tout en luttant contre ses démons intérieurs, sauver un mariage qui prend l’eau et contrer la menace de la mystérieuse Alice Morgan, une génie du mal qui aurait assassiné ses parents.
Une tentative généreuse mais trop superficielle
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Quand on repense à Luther, et surtout aux trois premières saisons vraiment réussies, on garde les souvenirs du charisme et des excès de colère explosifs d’Idris Elba, de la sensualité malicieuse d’Alice Morgan et du générique inoubliable sur la musique de Massive Attack. En résumé, on touche à quelque chose qui tient de la madeleine de Proust, et qu’il est donc difficile d’égaler à cause de la nostalgie passionnée que les fans vouent à la série originale. On se rappelle aussi d’une œuvre sombre, électrique et même parfois sordide, que la BBC pouvait s’autoriser contrairement à l’audience plus grand public de TF1. Le défi est donc de taille et, comme on pouvait tristement l’imaginer, loin d’être relevé.
En réalité, les premiers ressentis de l’adaptation française sont plutôt agréables. Le réalisateur David Morley a fait un travail soigné voire minutieux pour retranscrire l’atmosphère poisseuse et l’esthétique crue de la série originale. On retrouve dans sa mise en scène la froideur urbaine de l’univers de Luther, notamment au niveau des décors qui multiplient les plans façon “Gotham City” de ce Batman en manteau gris (beaucoup de scènes se déroulent dans des immeubles hauts ou sur les toits de Paris). On sent réellement dans la réalisation une forme de générosité, une envie sincère de coller à l’ambiance de la série britannique, même si les scènes d’action manquent cruellement d’intensité, un raté très répandu dans les polars français.
Dans la même idée, les enquêtes de Théo Luther (une affaire tous les deux épisodes) sont plutôt efficaces et rythmées. Elles respectent la noirceur de la série originale, avec des antagonistes glaçants et tourmentés qui s’attaquent aux enfants, aux femmes ou encore aux policiers, des thématiques finalement très actuelles et qui évitent l’écueil plus commun du terrorisme à toutes les sauces. Les personnages s’intéressent sur les origines et les différentes formes de la quintessence du mal, un sujet au cœur de la relation complexe entre John et Alice. On retrouve ces questionnements dans cette version hexagonale, mais avec moins de subtilité et des dialogues surécrits qui en font trop et dévient de leur intérêt.
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C’est d’ailleurs sur les personnages que portent les principaux défauts de ce Luther à la française. On sent que Christopher Bayemi, dans ses mimiques et sa façon de jouer, a mis du cœur à l’ouvrage pour reproduire les comportements nerveux du John Luther original. Malheureusement, l’acteur n’a pas le charisme et la prestance d’Idris Elba pour incarner un antihéros aussi véhément que touchant. Dans la même idée, Chloé Jouannet, qui est une jeune actrice prometteuse, manque un peu de profondeur pour parfaitement saisir l’essence maléfique et calculatrice d’Alice.
Si la série anglaise s’intitulait Luther, c’est véritablement la relation intense entre John et sa némésis qui maintenait le spectateur en haleine. À la manière de fictions policières très réussies comme True Detective et Mindhunter, le polar britannique était capable de s’éloigner de ses enquêtes pour nous proposer un portrait complexe et fascinant de ses héros. Ainsi, Luther devenait une série de personnages avant une série policière. La version française échoue à reproduire cette alchimie et cette tension sexuelle palpable entre les deux protagonistes, qui avait véritablement transcendé l’œuvre de Neil Cross, même si on sent une envie de bien faire de la part des créateurs et du cast.
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La première saison de Luther est disponible en intégralité sur Salto.