Depuis la fin des années 2000, le teen drama est un genre en mutation constante et, en conséquence, les séries appartenant à cette niche-là se livrent une étrange bataille. Skins décomplexe le rapport aux stupéfiants, Gossip Girl s’essaie à la provoc’ avec un plan à trois très marketé, 13 Reasons Why se frotte au suicide adolescent… Les tabous s’estompent, les limites s’éclipsent. Laquelle osera aller plus loin que ses semblables ? Et, dans la foulée, dépeindre une jeunesse plus meurtrie et blasée que ses prédécesseures ? À l’heure où beaucoup vantent les mérites d’Euphoria, la série ado nihiliste par excellence, Looking for Alaska est là pour faire barrage au pessimisme ambiant.
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Fraîchement ajoutée au catalogue de Hulu, cette série est une adaptation du roman éponyme de John Green, ce même monsieur à qui on doit le larmoyant Nos étoiles contraires. Ici, l’académie de Culver Creek nous ouvre ses portes. C’est là-bas, dans cette école réputée et localisée au milieu des bois de l’Alabama, que Miles fait ses premiers pas. En deux temps trois mouvements, ce dernier va sympathiser avec les outsiders des lieux : Chip, débrouillard et fumeur invétéré, Takumi, au courant de tous les ragots, mais surtout la seule et unique Alaska, féministe aguerrie et électron libre en puissance.
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Insaisissable, volage et présentée d’emblée comme différente des autres filles, Alaska Young est l’exemple ultime de la manic pixie dream girl. Abrégé MPDG, ce trope de fiction renvoie à un personnage féminin archétypal, présenté comme une femme idéale (ou idéalisée) qui n’existe que pour faire évoluer le protagoniste masculin. Malheureusement, Looking for Alaska met les pieds dans le plat et nous ressert cette figure usée jusqu’à la moelle – figure que John Green, l’auteur de l’œuvre originale, semble chérir puisqu’il s’en est servi dans La Face cachée de Margo, son troisième roman, porté sur grand écran en 2015.
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Aussi intéressant que soit le personnage d’Alaska (et il l’est, pas de doute là-dessus), ce dernier est trop perçu à travers le regard de Miles, surnommé Pudge, le héros du récit. On peut comprendre ce choix d’explorer tout l’univers de la série via le prisme de son personnage principal. Tant d’autres l’ont fait avant elle, mais Looking for Alaska aurait mérité de se distancier de ce mécanisme vu et revu. Cela aurait permis à la série d’offrir quelque chose de purement singulier plutôt que de lui donner cette sensation désagréable de déjà-vu.
Malgré ça, on ne peut s’empêcher d’être attendris devant Looking for Alaska qui, en seulement huit épisodes, se présente comme une série ado “à l’ancienne”. Par ce qualificatif, on pense à ces teen dramas qui préféraient montrer l’innocence et la candeur de la jeunesse plutôt que sa noirceur et sa mélancolie. Ici, les ados de Culver Creek picolent en douce dans leur dortoir, oui, mais ils prennent tout autant plaisir à planifier des farces élaborées contre leurs rivaux, appelés les “Weekday Warriors”.
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Il y a un côté enfantin dans les personnages de Looking for Alaska que l’on retrouve trop peu dans l’offre actuelle en termes de teen dramas. On adore Euphoria et 13 Reasons Why (sa première saison, du moins), mais les deux ont la fâcheuse tendance à traiter leurs adolescent·e·s comme des vingtenaires, soit pour plus matures et austères qu’ils ne le sont vraiment. C’en devient limite revigorant de voir des ados de seize piges rigoler et blaguer… comme des ados de seize piges, justement.
Mais en deçà de cette façade juvénile, la série ambitionne également de parler de sujets plus durs comme la dépendance à l’alcool ou la dépression. D’ailleurs, comme 13 Reasons Why, des spots de prévention sont glissés post-épisode, prouvant que les diffuseurs prennent petit à petit conscience des vertus pédagogiques des teen dramas. Parce qu’elle est agile dans son écriture, Looking for Alaska évite de tomber dans une atmosphère moralement pesante. Mais attention, il y a tout de même de grandes chances que les ultimes épisodes mettent vos glandes lacrymales à rude épreuve. À vos risques et périls, vous êtes prévenu·e·s.
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Il y a beaucoup de raisons de tomber in love de cette série : ses dialogues bien pensés (qui évoquent ceux de Dawson), ses références littéraires, ses décors et son ambiance nostalgique à la Life is Strange, sa bande-son aussi rock (The Strokes, on adore) que folk (Sufjan Stevens, indémodable)… On ajoute à ça un casting plutôt très convaincant avec une mention spéciale à Kristine Froseth (The Society), étincelante sous les traits d’Alaska et promise à une belle carrière.
Avec Looking for Alaska, il est évident que Hulu, concurrent direct de Netflix sur le territoire états-unien, veut son propre 13 Reasons Why. Et en soi, c’est bien vu, puisque les deux séries ont sensiblement le même cœur de cible et misent sur un personnage féminin fort pour guider la narration. Au bout du compte, on aurait tendance à préférer Looking for Alaska pour sa faculté à allier thématiques modernes et tonalité plus traditionnelle, se rapprochant des teen dramas cultes à la Freaks and Geeks et Newport Beach. C’est d’ailleurs le créateur de cette dernière, Josh Schwartz, qui est ici aux commandes.
Si l’on se fie à la dernière image de la série – un fond noir avec écrit tout simplement “The End” –, Looking for Alaska est et devrait rester une mini-série. Ça évitera qu’elle parte en roue libre comme 13 Reasons Why a pu le faire, amoindrissant son propos initial au profit d’une longévité mercantile. Pour ça (et pour toutes les bonnes raisons évoquées jusqu’ici), la série de Hulu mérite que vous y jetiez un coup d’œil.
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Looking for Alaska est disponible depuis le 18 octobre sur Hulu aux États-Unis, et reste inédite en France.