Vous êtes-vous déjà demandé ce que Peg, de Mariés, deux enfants, pouvait bien écrire dans son journal intime ? Ou si Marge Simpson, croulant sous la charge mentale, avait parfois des envies de meurtre ? L’héroïne de Kevin Can F**k Himself (vous avez le droit de prononcer le “fuck” du titre), elle, ne s’était jamais posé de questions jusqu’ici. Mais là, vraiment, la coupe est pleine.
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Allison (Annie Murphy) est mariée à Kevin (Eric Petersen), et aussi un peu à son beau-père et à son benêt de voisin qui traînent toujours dans leur salon. Sa vie est un sketch, littéralement, puisqu’elle est le personnage secondaire de la sitcom dont son insupportable époux est le héros, et son quotidien est rythmé par les éclats de rire d’un public hilare.
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Un jour, c’est la vanne de trop. Fatiguée d’être la “bonne épouse”, d’être transparente et de subir la bêtise de ces trois hommes paresseux qui envahissent constamment son espace, Allison bascule dans une tout autre série : une dramédie, dont le ton plus réaliste et les couleurs délavées sont une représentation bien plus fidèle de son état d’esprit. À l’intérieur, elle ne rit pas, elle crie. Et il y a, pense-t-elle, un remède à son mal-être : buter Kevin.
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Après des petits boulots d’écriture sur SEAL Team et Lodge 49, Valerie Armstrong s’est jetée à l’eau. Entre l’hommage à la sitcom et une satire sans concession de ce genre ultra-codifié, Kevin Can F**k Himself est sa première création. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est une proposition aussi intéressante qu’audacieuse.
Son héroïne de sitcom, femme au foyer de la classe populaire écrasée par la charge mentale et par l’indifférence de son égoïste de mari, sort de la pièce envahie par les rires d’une foule invisible et surexposée sous de gros spots de studio. Dans la cuisine, alors qu’elle brise un verre dans ses mains d’une rage trop longtemps réprimée, les couleurs se font blafardes, la caméra se rapproche : elle a besoin d’air, de frapper un truc, de s’échapper.
Allison va entraîner avec elle dans sa quête Patty (Mary Hollis Inboden), sa voisine un peu blasée et pas franchement commode. Elle deviendra, espère-t-elle, la complice parfaite de son émancipation. Elle pense que la solution à son mal-être est de tuer son mari, mais c’est évidemment bien plus compliqué que ça (quoique ce serait déjà un sacré soulagement). Les deux femmes vont peu à peu tisser des liens, même si leur amitié naissante est loin d’être une évidence tant elles sont différentes. Si la vie de sitcom représente une forme d’asservissement, il faut donc s’en extraire : Allison devient alors le personnage principal de sa propre histoire, ce qui jusqu’ici lui était formellement interdit.
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La sitcom, c’est un ballet savamment écrit et réalisé. C’est aussi un genre figé dans ses codes, du théâtre filmé. Il n’y a pas de quatrième mur, les placements des acteurs et des actrices sont précis, tout est exagéré, les lumières et les couleurs sont saturées et plusieurs caméras tournent en permanence (on parle pour cette raison de sitcom “multi-cam”, par opposition aux comédies dites “single cam” comme Modern Family par exemple).
Mise en abyme
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Ce n’est pas le lieu de la dépression ou de la violence. Pour Valerie Armstrong, la créatrice de Kevin Can F**k Himself, les épouses des sitcoms étaient, derrière les gags et les rires explosifs, et dans un univers parallèle, des héroïnes tragiques. Elle s’adonne ici à une transgression du genre, très méta, en démontrant notamment à quel point la sitcom peut être creepy et cruelle dans les interstices, quand les rires se taisent. Une observation parfaitement illustrée par les cartons-titres de chaque épisode, où l’hilarité laisse place au malaise.
Ça n’est pas une parodie, mais une critique et un hommage à la fois. La showrunneuse et ses réalisateur·rice·s ont dû poser des règles : Allison peut aller et venir d’un genre à l’autre, mais pas Kevin. Dans la sitcom, elle est en représentation ; dans la dramédie, elle est dans le réel. Kevin lui, est le pur produit de la slapstick comedy où règnent les pitreries, et ne peut donc quitter ce genre-là. Il est prisonnier de sa condition de sombre couillon comme du décor criard dans lequel il vit.
Annie Murphy, fraîchement récompensée d’un Emmy pour son rôle d’Alexis Rose dans Schitt’s Creek, change ici totalement de registre et nous prouve, si l’on en doutait encore, qu’elle a du talent à revendre. Elle incarne à la perfection cette (anti)héroïne au bord de la crise de nerfs. Dans ce portrait de femme tristement ordinaire, la mise en abyme des genres est une approche réellement pertinente.
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On regrette toutefois que la série s’obstine, jusqu’au dernier épisode, à donner autant de temps d’écran à la sitcom, comme si Kevin méritait autant d’attention qu’Allison. Car si cette partie est traitée à égalité avec la dramédie que vit l’héroïne, le propos de départ, consistant à mettre en lumière tout le malaise et le mépris qu’il inspire à travers des gags idiots, s’en voit dilué. Kevin ne mérite pas tant de révérence. Kevin peut aller se faire f****e !
Présentée dans la catégorie Panorama international au festival Séries Mania 2021, la première saison de Kevin Can F**k Himself est disponible sur Amazon Prime Video.