Avec Feud, Ryan Murphy propose une plongée acide dans les dernières heures de l’Âge d’or hollywoodien et fait ce qu’il sait faire de mieux : laisser briller ses actrices.
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Kathy Bates, Jessica Lange, Susan Sarandon, Angela Bassett, Jamie Lee Curtis, Shirley MacLaine… La liste n’est pas exhaustive. Ryan Murphy entretient depuis toujours une fascination pour les grandes actrices d’Hollywood. Il leur donne régulièrement l’occasion de briller, dans une industrie qui a tendance à oublier ses talents féminins une fois passés leur 30 ans. Ce n’était donc qu’une question de temps avant de le voir s’attaquer à l’Âge d’or d’Hollywood par le prisme des actrices de l’époque.
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Voici donc venir Feud, une série d’anthologie (un format qu’affectionne particulièrement le showrunner) qui se penchera chaque saison sur des rivalités célèbres. Et cette première livraison relate la relation houleuse entre deux grandes actrices hollywoodiennes, Joan Crawford et Bette Davis, sur le tournage du film What Ever Happened to Baby Jane ?, réalisé par Robert Aldrich en 1962.
La forme, assez sophistiquée, n’est pas sans rappeler la saison 6 d’American Horror Story. Il s’agit d’un faux documentaire, dans lequel des proches, des journalistes et des célébrités se souviennent de ce tournage hors du commun. Des flashbacks nous plongent ensuite dans la vie des deux actrices en 1962. Bien qu’en possession de trois Oscars à deux (un pour Crawford, deux pour Davis), les deux artistes peinent à trouver des rôles intéressants et se retrouvent cantonnées à jouer les second rôles pas folichon. Qu’à cela ne tienne, Joan Crawford se cherche elle-même une partition à la hauteur de son talent, et finit par flasher sur le livre What Ever Happened to Baby Jane ?. Elle convainc le cinéaste Robert Aldrich de le réaliser et de choisir comme partenaire Bette Davis.
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Le premier épisode de Feud, réalisé avec soin par Ryan Murphy himself (la reconstitution flashy fonctionne à merveille), pose les enjeux de cette rivalité féminine avec tout le glamour d’Hollywood, sans omettre des questionnements plus profonds. Dans les rôles respectifs de Joan Crawford et Bette Davis, les actrices Jessica Lange et Susan Sarandon font des étincelles et se livrent avec bonheur à un exercice de mise en abîme assez fascinant. Si Hollywood a changé et propose davantage de rôles intenses aux femmes cinquantenaires et plus, les deux comédiennes entretiennent forcément des points communs avec les actrices qu’elles interprètent ici.
Hollywood et les femmes
Dans la peau de Joan Crawford, plus sensible à son physique et à sa féminité que sa rivale, moins sûre d’elle aussi dans son art, Jessica Lange est particulièrement touchante. Elle avait effleuré ce registre dans la saison “Freak Show” d’American Horror Story, où elle incarnait une chanteuse au crépuscule de sa vie, n’ayant jamais percé. La voici dans un registre similaire mais cette fois, elle a réussi et tente de ne pas se faire oublier.
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En surface, on assiste au combat de deux tigresses à l’égo fragile. Cela donne des scènes désopilantes où Lange et Sarandon peuvent jouer sur un registre outrancier, à coup d’hostilités physiques (l’une se place au dernier moment devant l’autre etc) et de faux sourires vite effacés dès que les journalistes détournent leurs objectifs. Au milieu, soulignons la performance du toujours parfait Alfred Molina dans le rôle du cinéaste Robert Aldrich, qui se retrouve malgré lui dans une position bien inconfortable d’arbitre. Il sent la tempête arriver et ne peut que tenter maladroitement de la contenir.
En creux, Feud s’interroge aussi sur l’art de l’interprétation et le processus créatif. Les deux femmes placent en effet leur art avant toute autre priorité, quitte à accepter de travailler avec une collègue qu’elle n’aime pas du tout (mais qu’elles savent douée), ou dans le cas de Bette Davis, à virer son propre mari d’un projet parce qu’il n’est tout simplement pas bon. La féminité ou encore les relations entre femmes sont au coeur des débats, l’une ayant toujours l’impression que quand l’autre brille, c’est à ses dépends.
Et pourtant, ces deux-là ont tant de points communs, comme le souligne Molina dans un dialogue. Elles sont deux femmes passionnées, “over the top”, dans la fleur de l’âge, en lutte avec leur image, exigeantes dans leur art et qui ont dû composer toute leur vie avec des décisionnaires en grande majorité masculins. Elles voient débarquer de jeunes ingénues douées un peu par hasard, comme Marilyn Monroe (qui reçoit un Golden Globes dans une des premières scènes du pilote), à qui l’on propose tous les bons rôles. Et finalement, derrière l’apparent combat de “bitches”, Joan Crawford et Bette Davis ont compris qu’elles devaient former une alliance féminine, au moins professionnellement parlant, pour s’en sortir.
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Ce pilote de Feud séduira aussi le cinéphile adepte de l’Âge d’or d’Hollywood, auquel Ryan Murphy rend un vibrant hommage dès son générique, clin d’oeil à Saul Bass, à l’origine de ces génériques et posters graphiques qui accompagnaient les plus grands films des années 50 et 60 (les Hitchcock et les Otto Preminger notamment). Le vrai Robert Aldrich a d’ailleurs vraiment travaillé avec Saul Bass, en 1955, sur le générique du film Le Grand Couteau.
Si Ryan Murphy est un amoureux d’Hollywood et de ses actrices, les prochains épisodes devraient aussi témoigner de la fin d’un Âge d’or, celui des studios et des stars, qui a débuté dans les années 30, et laissera place dans les année 70 au Nouvel Hollywood des réalisateurs Scorsese, Coppola, Spielberg & co.
Hollywood, les femmes, le cinéma, les monstres tapis en chacun en nous… Si ces sujets vous parlent, ne ratez pas Feud, un savoureux et glamour coup d’oeil dans le rétro, qui a des choses à nous dire sur le présent. Et si les séries étaient celles qui parlaient le mieux du cinéma actuellement ?
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