Fin 2021, Insecure a tiré sa révérence après cinq saisons de bons et loyaux services. Si la quatrième saison avait brillamment mis en scène la déliquescence d’une amitié à travers l’explosion de la relation unissant Issa et Molly, devenues au fil des saisons notre duo préféré, cette cinquième saison s’évertue à recoller les morceaux… en un temps record. On sent que la showrunneuse, Issa Rae, n’a justement plus le temps. Elle veut offrir une sortie de piste digne de ce nom à tous ses protagonistes. La réconciliation tant attendue entre les deux BFF bénéficie de flashforwards, un outil narratif avec lequel la créatrice a visiblement décidé de jouer durant ces dix derniers épisodes. Pratique, il permet de rendre crédible les retrouvailles de Molly (Yvonne Orji, on t’aime !) et Issa, de nouveau copines à la vie, à la mort un an après leur brouille.
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Une saison en accéléré
On comprend pourquoi Issa Rae nous propose une version speed watching de sa série durant cette cinquième saison : il s’agit de faire avancer les personnages vers de nouveaux enjeux. Si cela s’avère parfois intéressant, notamment dans le cas de l’évolution de Lawrence comme père et de sa relation avec Condola (la mère de son fils avec laquelle il n’est pas en couple), ces avancées incessantes vers le futur s’avèrent un peu dures à suivre et nous privent parfois de ce qui fait la richesse d’Insecure, série qui prend habituellement le temps de développer ses intrigues et ses personnages. Ce procédé nous fait ressentir l’urgence de la scénariste à conclure son histoire et sa volonté de laisser ses protagonistes tous et toutes plus serein·e·s et moins “insecure”. Une volonté de boucler la boucle un peu trop visible en somme.
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Et finalement, Insecure n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle se focalise sur les dilemmes de son personnage principal (le retour de la conscience d’Issa dans le miroir, on adore !) et sur ses relations amicales. La cinquième saison réserve ainsi quelques moments très émouvants entre Issa, Molly, Kelli (Natasha Rothwell, dont l’arc, cette saison, pourrait se résumer ainsi : “Je ne suis pas qu’un clown !”) et Tiffany (Amanda Seales), que ce soit dès le premier épisode et cette délicieuse virée à Stanford, ou dans le septième (“Chillin’, Okay?!”), qui voit les quatre copines fumer des joints ensemble, se détendre et se confier les unes aux autres. On connaît ces soirées où les masques tombent, on les a vécues, nous aussi. L’amitié et la confiance en soi sont les deux grands thèmes qu’Insecure aura disséqués comme nul autre pareil.
Et elles vécurent heureuses…
On reste un peu plus circonspects sur l’autre sujet de la série : le dating. Il semblerait que dans une volonté de rendre ses personnages heureux, Issa Rae se soit un peu trop précipitée pour tous les caser. Parfois, ça marche, comme le nouveau crush hyper chou de Molly avec son collègue de bureau (une intrigue qui aurait pu être assez problématique par les temps qui courent), qui a le temps d’être un peu développé d’épisode en épisode. Fallait-il pour autant aller jusqu’au mariage en fin de saison, et offrir à tout prix un homme à Kelli, longtemps célibataire épanouie et tout d’un coup casée puis enceinte ?
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Insecure, c’était aussi une ode au dating et aux joies du célibat, état qui permet notamment de développer d’autres aspects de sa vie émotionnelle que celui de la sempiternelle relation de couple, comme des amitiés tout aussi profondes et pleines de sens que les amours. Dans son empressement à vouloir montrer que tout une chacune a le droit au bonheur hétéronormé – arc narratif trop longtemps refusé aux personnages femmes noires, donc on comprend ce parti pris du point de vue de la représentation –, ce final semble vouloir éloigner à tout prix ses héroïnes du célibat, comme si c’était ça le souci et qu’il rimait avec immaturité.
Cela donne aussi un triangle amoureux convenu, entre le revenant Lawrence (au milieu de la saison 4, Issa renoue avec son ex, avant que celui-ci ne découvre qu’il va devenir parent avec Condola) et Nathan. Problème, dès le premier épisode, on comprend direct que l’histoire avec Nathan sera une fausse piste et que le terrain se prépare doucement mais sûrement sous nos yeux vers des retrouvailles avec le premier amour, Lawrence (Jay Ellis). On a alors la désagréable sensation que le personnage pourtant hyper cool et intéressant de Nathan (incarné par Kendrick Sampson) sert plus ou moins de bouche-trou, en attendant que Lawrence et Issa trouvent enfin le bon timing pour se retrouver, en toute fin de série, bien sûr. Un duo amoureux reformé sur le tard, pour lequel je n’ai qu’une affection… modérée. L’histoire d’Issa débute quand elle se sépare de Lawrence, car les deux personnages ont besoin de grandir et n’y arrivent pas ensemble. Les remettre en couple en fin de série sonne quelque peu téléphoné.
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Une sortie honorable mais sage
Si certains choix narratifs sont discutables, on retrouve avec cet ultime tour de piste ce qui fait la grandeur d’Insecure : une réalisation soignée avec cette esthétique unique, une bande-son pop et rap qui déchire (Choker, Nnena ou Ego Ella May, cette saison), des dialogues et personnages qu’on aime toujours autant (dont une Molly plus touchante que jamais qui fait face à la mort de sa mère) et une mise en avant de la black excellence (à travers la boîte d’Issa, B.L.O.C.C.) et de ses complexités cette saison (l’altercation avec l’artiste Crenshawn, puis le dilemme pro final auquel fait face Issa, qui doit choisir entre être rachetée par une grosse boîte ou poursuivre sa mise en avant de la communauté noire de façon plus artisanale et… honnête).
Pour toutes ces raisons, on ne peut pas conclure à un ratage complet de cette cinquième saison. Rattrapée par des enjeux de fin de série, elle n’est probablement pas la meilleure des cinq. Malgré ses bémols, elle remplit son office, laissant des personnages ayant chacun atteint une forme de sérénité. Au-delà de l’œuvre artistique en phase avec son époque, que restera-t-il d’Insecure ? Peut-être l’une des premières peintures réalistes et contemporaines du quotidien de femmes noires citadines à Los Angeles. Une représentation inédite, une lettre d’amour aux femmes noires, et la preuve aussi – s’il en fallait une – qu’une série centrée sur des protagonistes noirs est tout aussi universelle – l’identification fonctionne à plein, c’est l’une de ses grandes qualités – que celles, innombrables, centrées sur des protagonistes blancs.
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Il est peut-être un peu tôt pour se poser la question de l’héritage d’Insecure, même si sur le court terme, plusieurs séries centrées sur des personnages féminins noirs (Harlem ou Run the World) ont vu le jour dans son sillage. Mais un peu comme Pose pour la représentation LGBTQ+ sur les écrans, il s’agira de refaire le point dans quelques années, pour observer si Insecure était un petit miracle en soi ou si elle aura permis d’améliorer durablement la représentation des femmes noires sur les écrans. On espère en tout cas que des producteur·ice·s et diffuseurs français ont suivi avec autant d’enthousiasme que nous les péripéties pros et persos d’Issa et ses proches, et que cela leur donnera des idées pour produire des fictions similaires en France, où on en manque cruellement. Et puis, Insecure, c’est aussi une success story qu’on a adoré suivre, l’ascension d’une productrice et scénariste brillante et généreuse, Issa Rae. On a hâte de découvrir ce qu’elle nous réserve dans la suite de sa carrière.
En France, Insecure est disponible sur le bouquet OCS.