La jeune et petite chaîne câblée du groupe Metro-Goldwyn-Mayer, Epix, fait une entrée remarquée dans le game des séries originales. À l’origine du thriller d’espionnage Berlin Station et de la dramédie Get Shorty, le network a proposé cette année des contenus plutôt bien fichus et intrigants, menés tambour battant par le néo-noir de Perpetual Grace, LTD et le jamesbondesque Pennyworth, qui revient sur les origines du fidèle majordome de Batman.
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Pour finir l’année en beauté, Epix diffuse cette fois une série mafieuse avec deux cadors du grand écran en têtes d’affiche : l’immense Forest Whitaker et Vincent D’Onofrio, ex-Caïd de Daredevil. Dans Godfather of Harlem, les deux hommes s’affrontent dans un duel de titans, aussi physique que psychologique, pour le contrôle du territoire dans le New York des sixties. Whitaker est Bumpy Johnson, un parrain vétéran fraîchement sorti de prison et prêt à tout pour récupérer ses terres et l’argent de la drogue. D’Onofrio campe quant à lui Vincent Gigante, ancien videur à la tronche patibulaire qui s’est mis au service des Genovese, la puissante organisation criminelle new-yorkaise de l’époque.
Après ses dix années passées au trou à Alcatraz, Bumpy Johnson n’a plus qu’une idée en tête : reprendre son dû aux mains de Gigante, quitte à se fâcher avec ses patrons. Pour éviter les bains de sang dans les rues, il décide de se trouver un allié politique et une figure majeure de la Nation of Islam : Malcolm Little, devenu Malcolm X dès son entrée dans le mouvement religieux. Ensemble, ils vont s’efforcer de sortir Harlem et la communauté afro-américaine de la misère tout en réalisant des profits via l’économie souterraine de leurs affaires illégales.
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La Scorsese touch
En 2001, soit deux ans après le lancement des Soprano sur HBO, David Chase reconnaissait que Tony et les autres mafieux n’auraient jamais existé sans Les Affranchis. Le chef-d’œuvre de Martin Scorsese, devenu un classique du film de gangsters, a inspiré une pelletée d’auteurs à l’international, dont Chris Brancato et Paul Eckstein, les créateurs de Godfather of Harlem également à l’origine de Narcos, font sans aucun doute partie.
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Les deux hommes appliquent les poncifs du genre à la lettre, faisant du personnage de Forest Whitaker un gentleman sournois. L’acteur, qui propose un jeu passif-agressif, fait des merveilles en Bumpy Johnson. C’est un antihéros imprévisible, capable de la plus sanglante violence comme des plus grandes douceurs. Dans la rue, il n’hésite pas à sortir son colt pour répondre à une tentative d’assassinat au milieu des innocents, tout comme il cherche à sauver sa fille, tombée dans la drogue après son incarcération, de la misère ambiante.
Il faut dire que l’acteur peut se mouvoir en toute liberté dans ce décor new-yorkais noir et poisseux, décidément à la mode ces dernières années (Vinyl, The Get Down, The Deuce…) La mégalopole est par ailleurs filmée avec beaucoup d’élégance par John Ridley, un spécialiste du genre (American Crime, New York 911). Le réalisateur a régulièrement recours à des gros plans, dans des rues étroites et étouffantes pour ses personnages, piégés dans Harlem avec un dilemme macabre : rejoindre le trafic d’héroïne ou le subir.
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Godfather of Harlem laisse donc beaucoup de place à ses acteurs et c’est peut-être aussi l’une de ses faiblesses. Il s’agit clairement d’une série de performances, avec un D’Onofrio glaçant mais cabotin et un Nigel Thatch saisissant mais finalement assez monocorde en Malcolm X. Si la mise en place est prometteuse et très vite efficace, la série empile aussi quelques clichés ampoulés : une histoire shakespearienne entre la fille de Gigante et un protégé de Johnson, des dialogues poussifs où les mafieux se mesurent le phallus et quelques références obscures aux films de la blaxploitation.
La série essaie toutefois de diversifier son propos autour de plusieurs grands thèmes de l’époque : le décryptage des organisations mafieuses, les droits civils des Afro-Américains, le racisme, la corruption, les ravages de l’héroïne… Godfather of Harlem se montre assez ambitieuse dans ses idées, mais leur finalité est souvent limitée à une escalade manichéenne de la violence. Comme Breaking Bad et Les Soprano avant lui, le show réussit toutefois à rendre attachante une pourriture, qui doit encore une fois beaucoup à l’intensité du jeu de Forest Whitaker.
Malgré sa multitude de personnages écrits avec soin et de seconds rôles qui font sourire (Giancarlo Esposito en maire corrompu, Lucy Fry en ado révoltée), Godfather of Harlem reste assez prévisible et trop chargée en éléments anecdotiques. La série se repose logiquement sur son cast impeccable mais reste narrativement unilatérale, si bien que sans Bumpy Johnson, elle n’aurait rien de très originale. Restent un respect immense pour le genre de la saga mafieuse, une mise en scène glamour et des séquences absurdes mais délectables où Forest Whitaker crible au fusil à pompe de la viande froide en guise d’avertissement. Le Godfather, c’est lui.
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En France, la première saison de Godfather of Harlem reste inédite.