La Casa de Papel s’est toujours targuée de mettre des personnages féminins en avant, à commencer par sa narratrice, Tokyo. C’est même l’un des points forts de la série : s’attaquer à un genre, le film de braquage, historiquement testostéroné, et jouer avec ses codes stéréotypés. Après avoir fait dire à Nairobi cette réplique culte, “Que le matriarcat commence” (S2E4), Alex Pina et sa writer’s room ont mis les bouchées doubles pour faire comprendre à leurs braqueurs les plus machos que MeToo était passé par là.
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Ainsi, deux séquences assez similaires montrent Nairobi et Tokyo en train de recadrer, avec le tact légendaire qu’on leur connaît leurs “collègues de travail” pour le moins lourdauds (La Casa de Papel ne fait pas dans la subtilité) alors que la bande est en plein braquage de la Banque d’Espagne. Ces scènes appuyées, assez drôles, semblent vraiment avoir été ajoutées dans un esprit pédagogique, pour bien faire comprendre au très large public qui regarde le hit espagnol que non, plus aucun homme n’a le droit de dire à une consœur que sa tenue “lui fait un beau cul”. Un féminisme pour les Nuls certes basique, mais après tout, qui ne fait jamais de mal.
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La série creuse aussi ce sillon féministe à travers le couple formé par Denver et Stockholm. Dans une scène tendue de l’épisode 2 de la saison 3, le premier, très agité, reproche à la deuxième de vouloir se lancer dans le braquage sans considération pour son rôle de mère. Selon lui, elle n’a pas les compétences… et qui va allaiter le gamin, bordel ?! Il va mourir de faim ! “Écoutes, moi. Je suis une femme, une mère et une braqueuse. Avoir un enfant n’implique pas de renoncer au reste. Tu es père et tu n’envisages pas de ne pas le faire… […] Putain de sexiste”, s’énerve Monica.
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L’engueulade est violente, et ne se termine pas là. Monica sort de la chambre conjugale, tombe sur Nairobi, qui semble avoir la prérogative de balancer des punchlines féministes (parce qu’elle est géniale) : “Le patriarcat est invivable ici !” lance-t-elle face à Palerme, réveillé aussi. S’ensuit une engueulade générale à base de “va compter tes poils pubiens”, “retourne dans ta grotte”, etc. Jusqu’à l’arrivée du Professeur, qui envoie tout le monde au lit. Ici, ce personnage de leader intervient tel un arbitre neutre et objectif, au-dessus de la guerre des sexes à laquelle le groupe est en train de se livrer. Sauf que non : il est aussi un homme. Et le féminisme essaie justement de déconstruire cet imaginaire collectif dans lequel nous vivons, où le neutre est masculin.
C’est d’ailleurs le grand paradoxe de La Casa de Papel : certes, Nairobi a des responsabilités, mais Le Professeur s’entête à nommer des “chefs” pour ses missions impossibles : d’abord ce psychopathe de Berlin dans les deux premières saisons (tout son aspect flippant et misogyne a d’ailleurs été effacé dans cette saison 3, où il apparaît sous forme de flash-back comme le frère dandy et résistant de Sergio) puis Palerme, nouveau personnage exaspérant, qui justifie son homosexualité par une théorie de l’espèce des plus sexistes (les hommes ont besoin “de se décharger”). Sa grande théorie de l’espèce reçoit heureusement, durant cette scène de dîner, des réactions mitigées dans l’assemblée.
Revenons à ce bon vieux Professeur, qui doit travailler cette saison avec Raquel, sa nouvelle partenaire de jeu. Il a du mal à l’accepter, ce qui donne lieu à bien des engueulades. Et puis, évidemment, en fin de saison, ce n’est pas lui qui n’arrive pas à monter à un arbre, c’est elle, l’ancienne flic qui, vu ses fonctions antérieures, a sûrement reçu un entraînement physique bien supérieur à celui de son mec…
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Quant à Tokyo, elle a beau être la narratrice de l’histoire, son corps est ultra-sexualisé depuis le début de la série. La saison 3, sortie sur Netflix le 19 juillet dernier, ne fait pas exception. Présente dans le trailer, il y a cette scène où la jeune femme sort de l’eau en bikini, clin d’œil bien male gaze (gros plan sur ses fesses, et son corps) aux James Bond Girls, ou plus tard, la séquence entre elle et Rio dans une salle de bain, où elle se dénude sur une chanson de Gainsbourg. À elle seule, Tokyo représente le féminisme pop et ambigu de La Casa de Papel. Son comportement hiératique ne plaide pas en sa faveur et les choses s’enveniment souvent à cause d’elle. Cette saison par exemple, c’est parce qu’elle quitte son île de “film romantique” qu’elle partage avec Rio, que ce dernier ne résiste pas à l’envie de l’appeler. Son téléphone est repéré par les autorités qui le capturent en moins de deux. Et en même temps, on ne dit pas qu’elle doit forcément se rhabiller et ne commettre aucune erreur. C’est dans l’exécution – la façon dont elle est filmée, dont le personnage est construit – qu’il y a matière à amélioration.
Alex Pina insiste sur le fait que “Rio laisse partir Tokyo avec le sourire aux lèvres”. Il a compris que son grand amour a besoin de liberté, de rencontres avec d’autres personnes, parfois sexuelles. “Vu l’époque dans laquelle nous vivons, il est important d’adresser ce sujet. Nous sommes toujours intéressés par le fait d’évoquer de nombreux sujets de société dans la série, même si, à première vue, on peut la considérer comme un pur divertissement.”
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Rendons à Dali ce qui appartient à Dali. La Casa de Papel a le mérite de proposer des représentations rares, qu’elles soient masculines – elle compte deux personnages gays très différents – ou féminines. On a ainsi suivi les aventures d’une femme flic extrêmement intelligente et victime de violences conjugales (Raquel en saison 1), une antagoniste retorse, sadique et enceinte jusqu’aux yeux (Alicia en saison 3), une ancienne toxico féministe… Nairobi, parlons-en, puisque l’ultime épisode de la saison 3 se termine assez mal pour l’un des personnages les plus appréciés du show et sans nul doute le plus empowering. C’est donc elle, qui se prend une balle en plein cœur, rattrapée par… son rôle de mère. Vous avez dit agaçant ?