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Une communication bien ficelée et un casting alléchant, voilà qui laissait présager un succès sans précédent pour la série de Noémie Saglio (à l’origine de la série courte et très drôle Connasse avec Camille Cottin) mais le résultat n’est pas très convaincant, voire raté. Pourtant, sur le papier, ça donnait plutôt envie : l’histoire d’une jeune femme, Elsa Payet, qui sort d’une rupture douloureuse et dont les amies décident d’embaucher un escort à son insu pour qu’il fasse office de coup d’un soir, mais sans penser qu’elle en tomberait amoureuse. Le tout sur fond d’amitié, de déboires sentimentaux et de remises en question. Un pitch assez moderne et original, sauf que les personnages ne semblent pas être ancrés dans leur époque et manquent cruellement de profondeur.
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Un plan qui tombe à plat
Si la série se regarde facilement, calibrée pour se binger avec un format de 8 épisodes de 30 minutes, elle ne parvient pas à cocher toutes les cases pour être LA série française générationnelle qu’on attendait tant. D’une part, les personnages féminins sont obsolètes, feignant une sorte de féminisme pop exacerbé.
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Le personnage principal, Elsa (Zita Hanrot), est l’exemple parfait de la copine naïve et un peu gauche sur les bords, que ses amies veulent pimper en décidant d’embaucher un travailleur du sexe, qu’elles n’arrêtent pas d’appeler fièrement “le pute”. Première instigatrice de tout ça, Charlotte (Sabrina Ouazani) est une caricature de la fille vulgaire, sans oublier d’être une pro “des plans galère” comme ses amies le lui rappellent sans cesse. Et enfin, Émilie “Milou” (Joséphine Draï), prête à accoucher à n’importe quel moment, exagère le côté femme forte et control freak, à vouloir tout régler selon sa convenance et, accessoirement, à traiter son compagnon comme un moins-que-rien. Les personnages masculins, eux, sont là pour appuyer toutes ces situations sans être beaucoup plus profonds.
Et tout ceci sans aucun relief, pour ne serait-ce que comprendre ce qui les a amené·e·s là, pourquoi, comment ? Rien. À commencer par le personnage principal, Elsa, interprété par Zita Hanrot, qu’on pourrait qualifier de “racially ambiguous” (comme les actrices Rashida Jones ou Maya Rudolph). Ce terme américain veut dire que le personnage est exposé sans aucune information. Elle pourrait venir de n’importe où, avoir des origines latines, ou même maghrébines, comme son personnage dans Fatima, le film qui l’a révélée au grand public et qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin en 2016. Les scénaristes ont pourtant choisi de montrer ses parents et sa sœur (interprétée par Aude Legastois), et de signifier qu’elle a bien un père noir et une mère blanche. Plutôt que de rester sur cette ambiguïté, qui n’aurait rien enlevé à la narration, ils ont décidé de nous faire savoir qu’elle est métisse, mais sans développer cette identité.
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On pense forcément à une série comme Insecure diffusée sur HBO et composée d’un casting majoritairement noir. Que les personnages soient noirs n’enlève rien à la force de la trame narrative, qui s’intéresse également à leurs vies sentimentales et professionnelles, mais apporte au contraire une dimension sociologique. Dans la première saison, Issa, le personnage principal, est en proie à des doutes sur son couple et sur sa place au travail, comme pourrait l’être n’importe quelle femme de son âge. La question raciale est abordée de manière subtile et intéressante pour soulever des problèmes spécifiques qu’elle peut avoir avec ses collègues, et qui l’empêchent de se sentir totalement à l’aise. Une situation qui reflète une réalité, mais qui permet aussi de comprendre où se situe le personnage à un moment précis de sa vie, pour le voir évoluer au fil des épisodes.
Dans Plan Cœur, on apprend au détour d’une conversation que les parents d’Émilie (cette dernière sort avec Antoine, le frère de Charlotte) seraient “fachos”, sans vraiment qu’on nous dise pourquoi. Il faudra attendre le dernier épisode pour comprendre que Charlotte et son frère Antoine ont des origines maghrébines, puisque Émilie, qui vient d’accoucher, propose de donner un prénom à consonance maghrébine à leur fils, pour “faire un clin d’œil à ses origines”.
Le sujet qui fâche
Récemment, Gala rapportait que l’actrice Zita Hanrot s’était énervée quand une journaliste lui a posé des questions sur le casting métissé de la série. Elle lui a répondu qu’elle ne voulait pas qu’on parle de ses origines, et de la question du métissage : “Parler d’héroïne métissée dans une série, désolée, mais je ne veux pas évoquer ce sujet. Je ne veux pas qu’on mette mes origines en avant.” Une réaction on ne peut plus étonnante pour une actrice qui a été castée partiellement pour ça, puisque c’est mis en avant dans la série. Ne pas vouloir évoquer les questions raciales à chaque interview, ni vouloir porter un message politique à chaque apparition publique est une chose qui s’entend et qui peut se justifier également par cette manie qu’ont les industries culturelles à définir les gens pour ce qu’ils sont censés représenter dans leur genre, leur orientation sexuelle ou leurs origines…
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Malheureusement, en 2018, les acteur·rice·s noir·e·s qui percent dans le cinéma français sont encore une denrée rare. Et quand ils·elles y parviennent, ce n’est pas sans heurts et complications, comme le prouvent les témoignages des seize actrices noires et métisses dans le livre Noire n’est pas mon métier (éditions du Seuil), porté par Aïssa Maïga, qui dénonce les clichés racistes vus et entendus dans l’exercice de leur métier.
En 2012, Omar Sy était le premier acteur noir à remporter le César du meilleur acteur pour le film Intouchables, 36 ans après la création de cette cérémonie qui célèbre le cinéma français. Quand Zita Hanrot dit que poser “ce genre de question en 2018 sous-entend qu’il y a un problème ou une tension”, elle a tout à fait raison, puisqu’il y a définitivement un problème dans le cinéma français. Que ce soit dans le choix du casting, des réalisateurs, et de la représentation qui cantonne les rôles de banlieusard·e·s, prostitué·e·s, délinquant·e·s et dealer·euse·s de drogue aux mêmes personnes.
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Plan Cœur n’avait pas besoin d’être une série militante et encore moins politique pour avoir de la dimension. Mais peut-être avait-elle besoin d’être plus réaliste, car toutes ces questions-là sont aussi le reflet d’une génération qui, en plus de galérer à trouver l’amour et/ou du travail, s’interroge sur son identité. Faire d’Elsa, de Charlotte et d’Antoine des personnages “comme tout le monde”, c’est très bien et important pour ne pas toujours définir un personnage par ses origines. Mais c’est aussi faire l’impasse sur ce qu’ils sont en tant qu’êtres humains, dans une France et particulièrement dans une ville comme Paris, où le racisme existe. Où être une femme, être noir·e ou arabe veut dire quelque chose, même si on préférerait ne rien voir.
Alors, peut-être que sous l’impulsion des États-Unis et des succès commerciaux de séries comme Atlanta, Insecure, et de films comme Black Panther ou Crazy Rich Asians, on arrivera au jour où la France comprendra que parler d’ethnies n’est pas un gros mot, mais une manière d’évoquer des sujets actuels, sans avoir à mettre de côté les ressorts comiques, le romantisme, les rebondissements. D’ailleurs Access, la série d’Ahmed Sylla, arrive à évoquer tous ces sujets à la fois. Peut-être qu’on arrivera aussi au jour où les acteurs et actrices français·e·s racisé·e·s comprendront que parler de ces sujets ne fait pas nécessairement d’eux un étendard ou le porte-parole d’une communauté, mais plutôt des justes représentations dans un milieu encore trop masculin et blanc. Peut-être.