En 2014, deux anthologies policières sortaient coup sur coup pour mieux se concurrencer : True Detective et Fargo. Si la première est une création originale, la seconde s’inspirait du film éponyme des frères Coen sorti en 1996. Coïncidence ou phénomène de courte durée, les deux séries ont connu un destin pour le moins similaire, à savoir une première saison acclamée voire consacrée en tant que chef-d’œuvre dans le milieu sériel, avant de se vautrer dans les chapitres suivants.
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Avec un train de retard, le show de Nic Pizzolatto est revenu d’entre les morts en 2019, sans retrouver la hype qui accompagnait la saison portée par Matthew McConaughey et Woody Harrelson. Noah Hawley, le créateur et showrunner de Fargo, ne voulait pas non plus s’arrêter avec le dédoublement décevant d’Ewan McGregor en saison 3. Il revient enfin avec une quatrième saison qui souhaite renouveler la formule tout en respectant l’atmosphère glauque et l’humour noir de Joel et Ethan Coen.
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Pour l’occasion, l’anthologie quitte son Minnesota natal pour Kansas City, au Missouri. L’intrigue se déroule dans les années 1950, alors que les migrants noirs tentent de fuir les États où les lois Jim Crow leur retirent tous droits civiques. Campé par l’humoriste Chris Rock, Loy Cannon, un chef de gang afro-américain, passe un deal avec la mafia italo-américaine locale afin de maintenir une paix durable entre les deux organisations criminelles. Mais la mort de leur parrain va entraîner une série de catastrophes dans la “City of Fountains”, et mettre en danger les familles de chaque clan.
Leçon d’histoire et ironie noire
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Cette saison 4 de Fargo semble à la fois familière et différente de ses prédécesseures. Si la neige est un peu moins présente à Kansas City qu’au Minnesota, l’atmosphère du show est toujours aussi lugubre et pesante. Chaque épisode commence inévitablement par la citation “inspirée de faits réels” pour nous mettre dans l’ambiance, et les monologues à rallonge d’un narrateur omniscient sont aussi d’actualité. Pourtant, la recette si efficace de la série est quelque peu modifiée à travers son ancrage dans le réel.
À la manière de Watchmen et le massacre de Tulsa, Fargo se fait le témoin d’un héritage historique majeur aux États-Unis, à travers ses différentes vagues d’immigration. Ainsi, l’épisode “Welcome to the Alternate Economy” revient, à l’aide de flash-back, sur les différentes communautés qui ont posé le pied sur les terres de l’Oncle Sam, des Irlandais aux Afro-Américains en passant par les Italiens. C’est aussi fascinant à regarder que métafictif, comme un miroir des grandes œuvres mafieuses cinématographiques (Le Parrain, Les Soprano, Scarface), qui parlent en trame de fond du mythe de l’illusion du rêve américain pour les étrangers, brisé par la ségrégation et l’interdiction aux privilèges. Un échec qui les mène irrémédiablement sur la voie du crime organisé pour survivre.
Traditionnellement, Fargo démontrait un aspect plus pulp (en accord avec le style des frères Coen) dans sa construction, ici balayé par la froideur de la vérité historique. Décrite par son showrunner comme “la plus ambitieuse”, la saison 4 parvient ainsi à innover dans sa formule sans pour autant priver les spectateurs de l’ADN de l’anthologie. Oui, les personnages excentriques et psychopathes, la violence spontanée et l’humour macabre (voire “flatulent”, on ne vous en dit pas plus…) de la série sont toujours là.
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Fargo retrouve aussi son aspect prestige qui a fait sa renommée. La photographie crépusculaire est superbe, la mise en scène dynamique et entrecoupée de split screens stylisés, le casting impérial et génialement cabotin. Chris Rock n’a plus rien de drôle dans la peau de Loy Cannon, fieffé manipulateur et gangster impitoyable sur le point d’inventer… les cartes de crédit. Jessie Buckley (Chernobyl) impressionne aussi dans le rôle d’une infirmière meurtrière et sociopathe, dans une partition que n’aurait pas reniée Sarah Paulson. On y retrouve même quelques points communs avec un certain Lester Nygaard, une référence que les vieux de la vieille assimileront avec délectation.
Le conte noir de la saison 4 met également en scène un environnement cyclique et toxique, où la paix mène à la guerre et inversement. De cette manière, l’anthologie critique la construction du pouvoir qui s’est faite uniquement d’un point de vue de Blanc. En d’autres termes, les immigrés n’ont aucune chance d’y accéder et encore moins d’y rester, considérés au mieux comme des prolétaires à leur service. Là encore, Fargo montre une véritable volonté de moderniser son sous-texte, avec un regard critique sur le racisme aux États-Unis et une volonté de diversifier un cast majoritairement blanc par le passé.
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On retrouve aussi quelques défauts qui font certes le charme de la série mais alourdissent son sujet. Très verbeuse, la narration de Fargo dessert parfois ses personnages, cachés derrière des discours interminables et finalement assez creux. Les épisodes sont aussi longs, très longs même, si bien que le show perd en impact et en dynamisme, sans véritablement profiter de ses temps morts pour rendre ses antihéros attachants. Fargo procure parfois le sentiment de se regarder le nombril et n’a pas peur de s’auto-citer, consciente de sa puissance narrative et de ses qualités visuelles indéniables.
Quantitativement, Fargo a remporté son duel avec True Detective grâce à cette saison supplémentaire. Mais l’œuvre de Noah Hawley est surtout parvenue à s’écarter (toutes proportions gardées) de sa recette initiale avec une écriture plus progressiste. Elle vient souffler un vent d’air frais sur l’univers poussiéreux de l’anthologie policière. Si la saison 4 ne retrouve pas la virtuosité de la première, et semble quelques fois plus inspirée par Tarantino que par les frères Coen, elle prouve définitivement que Fargo mérite sa place au panthéon des séries cultes.
En France, la saison 4 de Fargo reste inédite pour le moment.
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