Près de deux ans après la diffusion de son excellente saison 2, le hit anglais Sex Education revient – avec un “retard Covid” standard – pour une troisième livraison d’épisodes attendus fébrilement par les fans. C’est la rentrée – et rien n’est mieux pour faire passer la pilule qu’un retour des fringants élèves de Moordale –, et on a bien besoin de se marrer après deux années franchement cauchemardesques. Et puis notre œil de critique avait hâte aussi de découvrir si Laurie Nunn, créatrice de la série, pouvait reproduire sa recette miracle, entre comédie, pédagogie et sujets forts liés à la quatrième vague féministe lancée par #MeToo, des deux premières saisons.
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C’est donc avec un grand sourire aux lèvres que l’on retrouve nos ados préférés, qui ont passé un été placée… sous le signe du sexe et des hormones en folie ! Attention les yeux, cette saison, Otis (qui n’a pas eu de nouvelles de Maeve après sa déclaration téléphonique) entre dans la cour des grands. Après avoir perdu sa virginité avec Ruby (Mimi Keene), l’irrésistible peste du lycée de Moordale, le jeune homme entretient une relation de “casual sex” qui pourrait bien évoluer… De son côté, Eric (Ncuti Gatwa) vit son histoire d’amour avec un Adam en pleine quête de lui-même. Si le jeune homme assume cette relation au lycée, c’est une autre paire de manches avec ses parents… Aimee, toujours avec Steve, entame une psychothérapie avec Jean qui, de con côté, s’apprête à mettre au monde un nouvel enfant, dont le père n’est autre que Jakob. Et puis Maeve (Emma Mackey) essaie de se faire pardonner de son irresponsable de mère (après l’avoir signalée aux services sociaux pour sécuriser sa petite sœur de trois ans), et continue à fréquenter Isaac (George Robinson) ignorant que ce dernier a effacé le message très important d’un certain Otis (Asa Butterfield).
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Du côté des petits nouveaux : Michael Groff, l’ancien directeur du lycée de Moordale, est remplacé par la bien mal nommée Hope (Jemima Kirke). Son style à la Ted Talk et son apparent modernisme (elle se dit même “féministe” dans l’épisode 2) cachent en réalité des desseins plus sombres. La nouvelle directrice veut remettre les élèves de Moordale sur le droit chemin et, petit à petit, gagne du terrain et prive Otis et sa bande de différentes libertés. Les premières victimes de sa politique néoconservatrice sont des personnes queers, à commencer par Cal (incarné·e par l’artiste non-binaire Dua Saleh), personne non-binaire dont la différence insupporte Hope. L’élève noue en revanche des liens avec Jackson (Kedar Williams-Stirling), l’ancienne star de natation du lycée, lui aussi en quête d’identité.
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Manuel de rébellion par temps de backlash
Si l’on rit encore beaucoup dans cette troisième saison, notamment grâce au couple improbable, et donc assez comique, formé par Otis et Ruby (dont on découvre la vulnérabilité), force est de constater que les joyeuses découvertes sexuelles des premières saisons ont laissé place à davantage de désillusions. Avec sa bande-son pop tout droit sortie des années 1980, son univers coloré et la présence discrète de téléphones portables (mais aussi de fixes pour brouiller les lignes !), Sex Education possède un style visuel à la fois vintage et intemporel. Dans son écriture, en revanche, elle se fait le miroir de nos changements sociétaux. Lancée en 2019, deux ans après #MeToo, la première saison puis la deuxième respiraient la joie de découvrir sa sexualité. La masturbation et les pratiques sexuelles diverses étaient au cœur des débats. La série n’était pas que joyeuse, elle s’attaquait aussi aux violences sexistes et sexuelles, notamment à travers les personnages de Maeve (slut-shamée depuis qu’elle a 14 ans pour avoir refusé d’embrasser un camarade de classe) et d’Aimee (victime d’une agression sexuelle dans le bus scolaire).
Pourtant, il subsistait toujours une joie de vivre : malgré les épreuves vécues par les protagonistes (on pense aussi à Eric, victime d’une agression homophobe en saison 1), la lumière triomphait. Mais dans cette saison 3, l’obscurantisme gagne du terrain à chaque épisode. Dès l’épisode 3, les élèves sont sommés de s’habiller en uniformes : pantalons pour les garçons, jupes pour les filles. La manipulatrice Hope divise (notamment Jackson et Viv) pour mieux régner. Les règles se durcissent : on retire à chaque élève le droit à la singularité. Exit les cheveux violets de Maeve, le badge LGBTQI+ d’Ola, le look alien de Lily…
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Les départements créatifs, comme la chorale du lycée, sont victimes de censure. Jusqu’à cette scène difficilement supportable de l’épisode 6 : dans cette salle collective où des voix résonnaient en saison 1 pour dire “It’s my vagina!”, trois protagonistes, Adam, Lily et Cal, ayant eu le malheur de déplaire à Hope subissent une humiliation publique digne des bonnets d’âne des années 1960. Le fait que ces trois-là appartiennent à la communauté LGBTQI+ n’est évidemment pas un hasard. Ajoutez l’expulsion sans ménagement de Rahim, l’élève gay français qui avait averti tout le monde dès le premier épisode (“une ligne n’est jamais seulement une ligne”). Quand la société, ici un lycée, prend un tournant conservateur, les premières victimes sont celles qui n’entrent pas dans les normes genrées et hétérosexuelles.
Cette saison 3 de Sex Education est peut-être la plus politique de toutes, car elle illustre un mouvement cyclique bien connu des militant·e·s féministes, et plus généralement des progressistes : le backlash, ou encore “retour de bâton”. Après une période de grand changement sociétal, comme celle que l’on a connue ces dernières années suite aux mouvements #MeToo et Black Lives Matter, on assiste bien souvent à un retour de bâton conservateur. Un pas en avant, deux pas en arrière. Après la poussée des féministes américaines dans les années 1970, l’Amérique a connu Reagan. Le progressisme d’Obama et ses lois pour améliorer la couverture médicale des plus pauvres ont été suivis par le néoconservatisme de Donald Trump, ses propos ouvertement racistes, ses lois transphobes et une remise en cause de l’avortement dans certains États américains. Sex Education se fait le reflet de cette tentation conservatrice, mais donne aussi des clés pour la repousser vigoureusement. L’union fait toujours la force.
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Laurie Nunn revient habilement à l’origine du concept de la série : Hope va s’attaquer à l’un des sujets de société les plus sensibles, car stratégique, l’éducation sexuelle, et à la façon dont elle est apprise dans les collèges et lycées. La nouvelle directrice ne veut plus entendre parler de sexe et rebaptise ce cours “Growth and Development”. Déjà pas franchement utiles, puisque les élèves de Moordale venaient demander conseil à Otis (puis à sa mère, Jean, toujours campée par la géniale Gillian Anderson) sur leur sexualité, ces cours deviennent carrément dangereux. Ils prônent désormais l’abstinence et diabolisent le sexe. Dans une scène comico-tragique, le trio de mean girls formé par Anwar, Olivia et Ruby, effrayé·e·s après avoir été forcé·e·s à visionner un accouchement, se promet de ne plus jamais avoir de relations sexuelles.
Comment combattre l’obscurantisme ? Aimee a la réponse : avec des cupcakes en forme de vulves. L’épisode 7 sonne la grande rébellion des élèves de Moordale, qui revêtent leurs plus beaux costumes en forme de vulves et de pénis pour organiser la journée portes ouvertes. Si l’avenir du lycée est plus qu’incertain dans le final de la saison 3 (l’établissement, lâché par ses investisseurs, est ouvert aux promoteurs), ce feu d’artifice de créativité sexuelle, doublé du cri d’une jeunesse prête à entrer en dissidence pour ses idées en valaient la chandelle.
Ch-ch-changes
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Si l’atmosphère de cette saison 3 se fait plus oppressante, Laurie Nunn et ses scénaristes continuent de nous régaler de séquences comiques mémorables, comme celle du “caca volant” de l’épisode 5, ou celle du voyage en France. Seule une série aussi irrévérencieuse que Sex Education pouvait nous offrir ce genre de scène. On respire aussi à Lagos, au Nigeria, où Eric et sa famille nous emmènent.
Ces nouveaux épisodes nous offrent aussi notre dose de drama amoureux, avec un premier baiser entre les amants maudits, le couple “worst timing ever” Otis et Maeve. Si le rapprochement entre ces deux-là était attendu de longue date, c’est une autre scène d’intimité qui nous a emporté·e·s – ce moment entre Maeve et Isaac, ado en situation de handicap –, tant il est rare de voir des scènes de sexe chez des personnages en situation de handicap et tant elle a été filmée de façon délicate. On imagine qu’Ita O’Brien, la coordinatrice d’intimité de la série depuis ses débuts, n’est pas étrangère à cette réussite. Un peu comme celui de Ruby et Otis, on se doutait bien que le couple de Maeve et Isaac ne durerait pas une éternité – même si on y a cru, l’ayant vu se construire depuis la saison 2.
Sex Education tire sa force de sa choralité et de sa subtilité : elle est une leçon d’écriture pour tout scénariste. Quelle que soit la longueur de son apparition, chaque personnage est vu, caractérisé et a des choses à défendre, que ce soit une scène ou deux, ou tout un arc narratif. Laurie Nunn n’a pas son pareil pour nouer des duos à première vue mal assortis, comme l’improbable amitié naissante entre Adam et Rahim.
Difficile de s’attarder sur les trajectoires de chaque personnage, mais une chose est sûre, ces huit épisodes se dévorent aussi rapidement que les deux premières saisons. Certaines histoires se terminent, à notre plus grand regret, d’autres restent en suspens. L’innocence et les joies des premières découvertes sont peut-être passées, mais cela ne veut pas dire que la suite n’est pas intéressante. On apprend à chaque âge, nous dit la série, notamment à travers les parcours très différents des adultes du show. Du moment qu’on se laisse la place d’explorer, de communiquer, et de changer.
La saison 3 de Sex Education est disponible sur Netflix depuis le 17 septembre.