On l’attendait de pied ferme, cette saison 2 de The Morning Show, après presque deux ans d’absence. Et la série nous a une fois de plus régalé·e·s au moins dans les grandes lignes et dans ses performances d’actrices. On aime toujours autant ses aspérités, ses personnages qui n’ont rien à envier à ceux des soaps, ses décrochages incontrôlés et sa maîtrise jouissive de la dramaturgie. Ces dix nouveaux épisodes, que l’on vous conseille de voir sur Apple TV+ avant de lire cette critique, concentrent le meilleur de ce qu’elle a à nous offrir, comme ses pires travers. Et c’est dans ce joyeux bordel, fait à la fois de nuances et d’excès, que Jay Carson, son créateur et showrunner, nous embarque une fois de plus dans les coulisses de son talk-show.
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On s’en est aperçu dès le début : The Morning Show est une série post-metoo qui opte pour un propos plus pondéré que ce que l’on a été habitué à entendre ou lire ces dernières années. Ça passe ou ça casse. En gros, c’est un positionnement radical… parce qu’il refuse de trancher. En se débarrassant d’un certain manichéisme, la série prend le risque d’offusquer. Elle irrite parfois, titille nos convictions et nous pousse dans nos retranchements, ça ne fait aucun doute. Par souci de réalisme, elle a fait de ses héroïnes des femmes, des journalistes, des amies faillibles, perchées sur des principes moraux qui peuvent vaciller. Alex Levy, campée par Jennifer Aniston, est la meilleure incarnation de ce paradoxe.
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Crucifier son idole
Présentatrice exemplaire, elle est un modèle pour ses consœurs, elle qui a brisé le plafond de verre et affichait en saison 1 une sororité indéfectible envers sa partenaire de matinale Bradley Jackson, jouée par Reese Witherspoon. Enfin ça, c’était devant les caméras. Dans son intimité, c’est le chaos. Ses valeurs féministes s’entrechoquent avec les accusations de viol qui pèsent sur son meilleur ami et ancien amant, Mitch Kessler (Steve Carrell), l’affaire ayant poussé la victime au suicide. La série prend le parti de s’intéresser à la réhabilitation impossible de l’ex-star de la matinale. Un focus qui a surtout pour effet, non pas de nous pousser à l’empathie envers lui, mais de nous montrer à quel point sa propre chute entraîne dans son sillage celle d’Alex. La seule descente aux enfers qu’on veut voir, c’est la sienne.
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Cette saison 2, qui a été produite sur fond de pandémie mondiale avec les contraintes qu’on imagine, a aussi inclus dans sa narration la montée en puissance du coronavirus sur nos écrans. Comment les rédactions ont d’abord relativisé, voire méprisé la menace, pour finalement être frappées de plein fouet. Et une fois de plus, comme pour crucifier davantage son idole, c’est Alex qui trinque. Rien ne lui est décidément épargné, mais c’est aussi ça, du bon drama. Au même moment, Bradley se débat avec ses propres doutes et épreuves. Elle se lie avec Laura Peterson, jouée par Julianna Margulies, une autre présentatrice de la chaîne. Mais, à mesure que leur relation amoureuse se solidifie, cette dernière semble avoir une emprise sur Bradley à laquelle celle-ci n’est pas tout à fait prête à céder. Elle est littéralement hantée par son frère, un toxicomane qui ne parvient pas à rentrer dans les clous, et dans le même temps, sa petite amie lui conseille de couper les ponts avec lui. Net et sans bavure, le mantra de Laura est : no drama.
Mais si cette nouvelle dynamique entre ces deux femmes est un ajout bienvenu, le défaut majeur de cette saison 2 de The Morning Show, c’est d’avoir voulu faire l’économie de scènes entre Alex et Bradley. Jennifer Aniston et Reese Witherspoon ne partagent que trop peu de temps d’écran ensemble. Certes, cela permet de faire exister des personnages secondaires qui tirent parfois leur épingle du jeu en sortant ainsi de l’ombre, mais ça devient très dispensable quand celles et ceux-là ont des arcs narratifs aussi insipides que celui de Yanko. Le M. Météo se prend un backlash sur les réseaux sociaux après avoir utilisé une expression inappropriée à l’antenne. Il n’apprend rien de cette désagréable expérience, et nous non plus tant le sujet, qui occupe pourtant beaucoup de pages de script, est survolé.
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The Morning Show tire sa force de son chaos
C’est d’autant plus dommage que The Morning Show a placé les considérations morales et philosophiques d’une cancel culture fantasmée au cœur de son récit. Fort heureusement, la série tire sa force de son chaos. Et ici, dans les bureaux d’UBA, quand la mer est agitée, c’est à un cynisme exacerbé que se raccrochent beaucoup de personnages, comme à une bouée de sauvetage. C’est le cas du maître en la matière, Cory, incarné par le brillant Billy Crudup. Aussi charmeur que vénéneux, c’est également un homme tout ce qu’il y a de plus ordinaire, hélas, qui prend le risque de ruiner la carrière et la vie privée de sa journaliste star, Bradley, sous prétexte que l’amour qu’il lui porte n’est pas réciproque.
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La saison 2 a quelques belles fulgurances, mais ne renouvelle pas vraiment son propos par rapport à la première. Elle interroge toujours la responsabilité individuelle et collective : en situation de crise, vaut-il mieux assumer ses erreurs et les brandir en étendards, ou se planquer en attendant que la tempête passe ? À cette question, la série n’apporte toujours pas de réponse. La chose est complexe. Mais, parce qu’elle choisit le chemin de la nuance, parfois à outrance, elle en perd son mordant. C’est d’ailleurs assez paradoxal qu’une série capable de pousser le curseur du drama dans la stratosphère marche autant sur des œufs.
Il y aurait pourtant tant à dire sur les cris d’orfraies actuels accusant de tous les maux une certaine “cancel culture”… The Morning Show pense que le meilleur contrepoint, c’est de passer beaucoup (trop) de temps avec Mitch, qui essaye de refaire sa vie dans un palais italien avec vue sur le lac de Côme… Le pauvre. Il s’y fait même une alliée en la personne de Paola, une documentariste jouée par la fabuleuse Valeria Golino, qui le confortera dans l’idée de tout envoyer valser et de faire une confession face caméra. La série nous laisse entrevoir la possibilité d’une rédemption qui, comme on le sait, n’arrivera pas.
Mais ce choc de fin de saison n’a pas l’effet escompté. Beaucoup de médias ont repris l’histoire de la mort de Mitch comme LE grand twist de ces dix épisodes. Soit les scénaristes avaient pour intention d’en faire le séisme décrit dans ces papiers, et tout le temps que nous avons passé auprès de lui à déprimer et à goûter à la cuisine italienne n’a donc servi qu’à attiser notre empathie pour mieux nous terrasser ensuite. Auquel cas, ce focus sur cet homme plein aux as, accusé de viol par une subordonnée qui s’est ensuite suicidée, nous paraît une sacrée erreur de jugement. Soit cette mort brutale avait pour but de replacer Alex au cœur du récit, et en plein dans l’œil du cyclone, mais dans ce cas, il semble que la véritable intention des scénaristes ait été noyée par l’aura de Mitch (qu’ils et elles ont monté en épingle).
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Jennifer Aniston a beau être parfois excessive dans sa performance, on prend un malin plaisir à la voir se fracasser pour ensuite revenir de plus belle. Si saison 3 il y a, on a au moins l’assurance que Mitch ne sera plus une distraction, malgré tout l’amour que l’on porte à Steve Carrell dans ce rôle dramatique, et que Bradley et Alex continueront d’être tantôt les marionnettes, tantôt les marionnettistes de leur propre show.
La saison 2 de The Morning Show est disponible sur Apple TV+.