Alors que la première saison d’American Crime Story, centrée sur l’affaire O.J. Simpson, débute ce jeudi 10 novembre sur Canal +, Biiinge a rencontré Cuba Gooding Jr., qui incarne “The Juice”, passé d’icône sportive à potentiel meurtrier sur fond de tension raciale dans l’Amérique des années 1990.
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Biiinge | Étiez-vous familier du travail de Ryan Murphy avant d’accepter le rôle d’O.J. Simpson ?
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Cuba Gooding Jr. | Oui, il est même la raison pour laquelle j’ai accepté ce rôle. Je devais jouer dans un film sur O.J. Simpson qui était plutôt axé sur son innocence. Les financiers et les producteurs n’avaient pas de réalisateur, et j’ai fini par passer mon tour. Je suis déjà passé par ce genre de soucis où les financiers balancent un paquet de dollars et prennent le premier réalisateur qui passe, c’est n’importe quoi.
Je suis arrivé à un moment de ma carrière où j’ai enfin compris que ma performance ne peut être meilleure que le film. Le cinéaste accueille votre performance et la façonne ensuite à sa sauce. S’il n’y a pas de confiance entre lui et moi, je perds mon temps. Quand mon agent m’a dit que Ryan Murphy voulait me rencontrer, j’ai dit : “Ryan Murphy de Nip/Tuck et American Horror Story ? Quoi qu’il veuille me faire jouer, j’en suis [rires] !” Et quand on m’a dit que c’était pour jouer O.J. Simpson, je n’en revenais pas ! C’était la deuxième fois que ce personnage m’était proposé en deux semaines. Donc, je suis là parce que j’ai une confiance absolue en Ryan Murphy et en ses capacités.
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Je me souviens lui avoir dit : “Ryan, on m’a offert de nombreuses choses à la télévision durant ma carrière, que j’ai déclinées.” C’était en partie parce que je n’aime pas changer de réalisateur à chaque épisode et j’avais peur de ça, qu’on perde la vision de Ryan et moi sur le personnage. On a alors fait un pacte, il m’a dit : “Je serai le seul à influer sur ta performance en salle de montage.” Il a tenu parole et il a fait venir deux excellents collaborateurs, Anthony Hemingway et John Singleton, que je connaissais pour avoir travaillé avec lui sur Boyz’n the Hood. Je savais qu’il avait pris au sérieux ma volonté de protéger l’intégrité de ma performance.
“Quand le verdict ‘non coupable’ est tombé, je me souviens m’être réjoui”
Vous étiez un jeune acteur dans la vingtaine au moment de l’affaire O.J. Simpson, en 1994. Qu’avez-vous ressenti à l’époque ?
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Je me sentais connecté à lui d’une certaine manière, parce que j’étais une célébrité noire habitant à Los Angeles. Ma femme est caucasienne, comme la sienne. Je me disais que ça aurait pu être moi à l’arrière de cette Bronco [marque de la voiture avec laquelle Simpson a été poursuivi par la police en direct, ndlr].
Je pensais qu’il ne l’avait peut-être pas tuée. Quand le verdict “non coupable” est tombé, je me souviens m’être réjoui. Au point où j’en étais, je me moquais de savoir s’il l’avait fait ou pas. Je ne voulais pas que les policiers s’en prennent encore à un autre homme noir. J’ai été breakdancer à Los Angeles avant d’être acteur. Un soir, on m’a jeté contre une voiture de flic les mains dans le dos et on m’a pointé un flingue sur le visage. J’étais jeune et très en colère.
Maintenant que vous avez incarné O.J. Simpson, votre vision de l’affaire a-t-elle changée ?
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Oui, je ne suis plus lié à lui de la même façon. Je me souviens de cette scène où O.J. embrasse le corps de Nicole lors des funérailles. Pendant la pause-déjeuner, je suis allé dans ma loge et j’ai pleuré de façon incontrôlable. Je me souviens m’être senti si coupable, en repensant qu’à l’époque de cette affaire, il n’y avait aucune compassion pour la famille de la victime. Qu’elle ait été tuée ou pas par lui, il y a toujours deux familles irrémédiablement détruites par cette tragédie.
Une mère est partie pour toujours, laissant des enfants orphelins. Étant moi-même père de trois enfants et marié de longue date, cette affaire m’a touché d’une manière viscérale, 20 ans plus tard. Je me souviendrai toute ma vie de cette scène tournée dans un vrai cimetière. C’était quelque chose de très lourd.
Incarner O.J. Simpson alors que vous avez suivi cette affaire, et peut-être même vu la fameuse course-poursuite en direct à la télévision, ce doit être un étrange sentiment…
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Incarner un homme qui existe réellement, c’est quelque chose qui vous prend aux tripes. J’ai écouté les archives audio d’O.J. au fond de sa Bronco, qui parle avec les policiers. On sent la détresse dans sa voix. J’ai compris qu’il était vraiment suicidaire. Ma performance devait refléter cette vérité.
Je suis passé par une crise de psychose. Alan Rickman, qui est malheureusement décédé cette année, avait donné une très belle interview à propos de l’art de jouer, et de comment nos cerveaux peuvent convaincre nos corps que le traumatisme fictif que l’on incarne est réel. C’est grâce à cela que l’on peut pleurer, tout donner et que l’on a tant de mal à se remettre après avoir interprété un personnage sombre. Ça imprime votre âme. Je n’oublierai jamais le tournage de cette scène sur l’autoroute. C’était le moment le plus intense du tournage.
Je pense que mes performances les plus puissantes sont celles issues de personnes ayant réellement existé. Carl Brashear dans Les Chemins de la dignité, James Robert Kennedy dans Radio et maintenant O.J. Simpson.
“En tant qu’artiste, c’est notre job de faire réfléchir aux maux de la société”
Le personnage d’O.J. Simpson m’a fait penser à celui de Rod Tidwell dans Jerry Maguire.
Oui, pour moi, cette performance est la deuxième partie de la vie de Rod Tidwell. Quand j’ai fait mes recherches sur les athlètes américains professionnels, j’ai été frappé par ce qui arrive souvent aux jeunes talents, quand on comprend qu’ils ont la capacité d’envoyer une balle à l’autre bout du terrain ou de courir plus vite que les autres. Le système les récompense, mais socialement, ils arrêtent de grandir.
Tout ce qu’ils font alors, c’est se concentrer sur le sport, puis ils se créent une carrière, gagnent beaucoup d’argent. Tous les gens qui les entourent — les parents, les professeurs, les copains, les coachs — les encouragent. Mais quand ils retournent dans la société après avoir fini leur carrière, ils ont toujours la mentalité d’un enfant. On ne leur a jamais donné d’obstacles, ils n’ont jamais eu de relations compliquées et ne savent pas comment gérer tout cela. Voilà pourquoi vous vous retrouvez avec des égocentriques qui parlent d’eux à la troisième personne. Mon personnage dans Jerry Maguire était une émanation comique de ce genre de parcours, celui d’O.J. Simpson en est la facette tragique. Cette profession est violente.
Hollywood a ce talent de digérer rapidement l’histoire récente des États-Unis et d’aborder ainsi des sujets qui fâchent. Pensez-vous que l’affaire O.J. Simpson prenne une résonance particulière dans l’Amérique d’aujourd’hui ?
Oui, je pense qu’on peut établir un lien direct avec les brutalités policières récentes et la corruption du système. Je pense aux manifestations de Ferguson. Cette série s’inscrit dans un débat au long cours, qui a lieu depuis 20 ans, mais qui est passé de l’arrière au premier plan. En tant qu’artiste, c’est notre job de faire réfléchir aux maux de la société. Ça ne permet pas de régler le problème, mais au moins de l’identifier.
Je pense que c’est pour ça qu’on a tant d’appétit pour les faits historiques. On revient en arrière et on peut observer ce qui est allé de travers. Dans American Crime Story, il ne s’agit pas que du procès, mais de tout le système judiciaire et des gens impliqués dans cette affaire : les avocats, le comportement inapproprié de certains policiers, la façon dont les preuves ont été traitées… C’est comme ça qu’on représente l’histoire et qu’on trouve des solutions pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Des films comme Hôtel Rwanda ou Le Dernier Roi d’Écosse et des séries comme Making a Murderer sont essentiels, car nous essayons toujours d’être meilleurs.
La première saison d’American Crime Story débute ce jeudi sur Canal + à raison de deux épisodes par soirée. Elle est aussi disponible sur Canal+ à la demande.