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Sans blockbuster majeur tels que Game of Thrones ou Stranger Things, l’année sérielle 2018 pourrait sembler bien fade. Ce serait sous-estimer le petit écran, source intarissable de créativité en matière de storytelling, qui n’a plus rien à envier au septième art. Des dizaines de petites pépites vont éclore cette année, et c’est Starz qui ouvre le bal avec Counterpart, un thriller SF plus qu’alléchant sur le papier.
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J.K. Simmons (Whiplash, Oz) se dédouble dans la série pour incarner deux versions d’Howard Silk, un agent rattaché à une agence de l’ONU qui travaille pour une mystérieuse organisation d’espionnage. Après 30 années de bons et loyaux services sans grands succès de carrière, Howard découvre enfin la vérité derrière cette société écran. En réalité, elle cache et préserve un portail menant vers un univers parallèle, un monde miroir de la Terre que nous connaissons.
Howard est le premier humain à faire la connaissance de son sosie, physiquement parfaitement similaire mais au caractère relativement différent. Lui et son double s’embarquent dans une enquête dangereuse où des tueurs à gages venus du monde parallèle cherchent à assassiner des civils de l’autre côté pour des raisons inconnues, mais étroitement liées à Howard et la société secrète pour laquelle il travaille.
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Le J.K. Simmons show
Avec un acteur oscarisé de la trempe de J.K. Simmons, Counterpart donnait déjà l’eau à la bouche. Et dans son double rôle, le bonhomme est impérial. Repéré dans les salles obscures de Broadway dans les années 1990, le comédien longiligne a gardé ce charisme et cette variété d’expressions faciales qui lui permettent de se fondre littéralement dans la peau des deux Howard Silk.
Le premier que nous apprenons à connaître est un homme pragmatique et assez solitaire, dont la femme est plongée dans le coma depuis un grave accident de voiture. Éreinté par le poids des années et un boulot répétitif dont il ignore l’objectif et les enjeux, cet Howard n’est pas si éloigné d’un certain Rust Cohle. À l’inverse, son double n’a pas sa langue dans sa poche, a connu une carrière fructueuse et a perdu toute forme d’empathie après la mort de sa femme, qu’il cherche à protéger dans le monde du premier Howard.
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La dualité des deux personnages, malgré leur ressemblance physique parfaite, est troublante et brillamment interprétée. Que ce soit dans sa gestuelle, ses mimiques et son regard, J.K. Simmons parvient dès les premières minutes du pilote à créer une rupture entre les deux versions d’Howard aux yeux du spectateur. Magnétique(s), il(s) crève(nt) l’écran dans chacune des scènes et nous offre(nt) d’intenses moments de bizarreries métaphysiques, comme lorsque le tandem s’entretient en face-à-face, assis dans le canapé du salon, un confort à la fois familier et complètement étranger dans leur esprit.
D’une certaine manière, la série du jeune scénariste Justin Marks (Le Livre de la jungle) nous plonge dans l’introspection du personnage duel d’Howard Silk, qui se confond avec des aspects méta et brise le quatrième mur lorsqu’ils comparent leurs existences. Comme Graeme Manson (Orphan Black) avec Tatiana Maslany, Noah Hawley (Fargo) avec Ewan McGregor ou encore David Simon (The Deuce) avec James Franco récemment, le créateur de Counterpart est fasciné par le dédoublement des personnages, ce qui les rapproche et les oppose paradoxalement.
À travers les réflexions intérieures de ses deux héros, Justin Marks nous parle de cinéma et rend hommage aux acteurs et à leur capacité quasi surhumaine de se glisser dans la peau d’un personnage. Comme si finalement, le plus compliqué à jouer était soi-même. Pour être honnête, la performance de J.K. Simmons est tellement ébouriffante qu’il mérite déjà une nomination aux Emmy Awards 2018.
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Une élégance à toute épreuve
Minutieusement écrit et réalisé, le pilote de Counterpart est un cas d’école de scène d’exposition. On s’engouffre dans le portail magique de la série comme Alice dans le terrier du lapin. Héritier inavoué de J.J. Abrams et Damon Lindelof, Justin Marks cultive la science du mystère comme (les débuts de) Lost et Fringe savaient le faire, avec sous-entendus, hors champ et appels à l’imaginaire du spectateur.
Le show est également un petit bijou de classicisme de mise en scène, et c’est tout sauf un défaut. La photographie aux couleurs froides évoque l’aspect policier de la série, et est soutenue par une BO tantôt à cordes harmonieuses, tantôt crispante dans les scènes de suspense.
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Par instants, la caméra de Morten Tyldum (Imitation Game), le réalisateur du pilote, est frappée de fulgurances fincheriennes, adoptant un style chirurgical. C’est le cas dans cette longue et voluptueuse séquence d’introduction, où Howard pénètre dans l’enceinte glaçante de son entreprise, avant de répéter avec soin les mêmes gestes depuis 30 ans.
Au final, ce qui ressort le plus de Counterpart est simplement son élégance. L’harmonie maîtrisée des éléments, dont la partition brillante de J.K. Simmons et la mythologie de la série qui s’installe lentement mais avec une fluidité d’écriture déconcertante, est envoûtante. On pourrait reprocher à la série, par sa mise en scène, sa musique et son traitement du personnage d’Howard Silk, de sortir un peu facilement la carte du pathos. Mais comment lui en tenir rigueur quand Simmons est capable de vous émouvoir en seulement un plan en travelling arrière où il s’enfile un verre de scotch, sur la voix soul et suave de James Carr ?
En France, la première saison de Counterpart est diffusée sur OCS Max en US+24.