Avec Castle Rock, Stephen King et J.J. Abrams conjurent le frisson d’Halloween en plein été

Publié le par Adrien Delage,

© Hulu

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En 1974, Stephen King publiait son premier roman, Carrie. Depuis, le romancier américain a enchaîné les prix littéraires et les best-sellers jusqu’à obtenir le titre sacré de maître du fantastique. En quelques décennies, son œuvre est devenue une véritable mine d’or pour les scénaristes du grand et du petit écran, offrant le meilleur (Shining, Mr. Mercedes) comme le pire (Les Démons du maïs, la série The Mist de 2017) en termes d’adaptation. En 2018, deux jeunes écrivains ont décidé de transformer cet univers horrifique en une véritable fresque sérielle : Castle Rock.

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On a rarement vu plus alléchant sur le papier. Sous l’aval et avec la contribution de Stephen King, Sam Shaw (Masters of Sex) et Dustin Thomason (Lie to Me) ont eu l’idée originale de réunir tous les éléments emblématiques de cette littérature dans la petite ville fictive du Maine. Pour produire ce melting-pot massif, les deux scénaristes s’attirent les faveurs de Bad Robot, la boîte de production d’un certain J.J. Abrams… Les trois premiers épisodes de ce projet ambitieux viennent d’être mis en ligne sur Hulu et on sent venir d’ici la série de l’été.

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L’histoire se déroule donc dans la bourgade glauque de Castle Rock, vestige d’une Amérique oubliée, en ruines et plutôt conservatrice. La ville est principalement animée par la prison de Shawshank, un centre de détention debout depuis plus de 150 ans. Dans les années 1980, une aile du bâtiment a brûlé et est restée en cendres jusqu’à nos jours. Mais après le suicide de l’actuel directeur de la prison, un officier se rend sur place et découvre un homme dans un état très faible, muet et apeuré, dans une cage au fond d’un trou insalubre.

Incapable de l’identifier, la nouvelle patronne de Shawshank décide d’étouffer l’affaire. Mais le gardien qui a fait la découverte prévient un certain Henry Deaver, un avocat spécialisé dans les peines capitales, pour s’occuper du cas du mystérieux inconnu qui sait uniquement épeler son nom. Henry retourne alors dans sa ville natale pour comprendre rapidement que des phénomènes sinistres voire surnaturels se déroulent à Castle Rock, et ce depuis son arrivée mystérieuse trente ans auparavant…

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Dark is the new summer

Le lancement de Castle Rock témoigne avant tout d’une nouvelle tendance dans le monde du petit écran : balancer une série événement sombre, cryptique voire nostalgique en plein été. Netflix avait initié le mouvement en 2016 avec Stranger Things, suivi par Cinemax (Outcast), AMC (Preacher) voire Paramount Network avec la décevante The Mist. La période estivale est plutôt vierge en termes de nouveautés et donc propice au buzz. Si Castle Rock est moins mainstream que les kids du Monde à l’envers, elle a tout pour devenir le show immanquable de cet été.

Que l’on soit amateur ou non du style J.J. Abrams et de ses célèbres effets lens flare, impossible de douter de sa patte d’artiste qu’il injecte dans ses productions. Depuis Lost (et même Alias, diront les puristes), l’homme exploite la mystery box comme Zeus manipule la foudre. Capable de donner des conférences sur ses outils scénaristiques, J.J. Abrams a un don pour créer un univers sibyllin que le spectateur prendra un plaisir, parfois maladif, à décrypter et à analyser pour en saisir toute l’histoire.

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De toute évidence, Castle Rock s’inscrit dans cette veine des séries dites high concept. On retrouve le style d’écriture incisif d’Abrams (pourtant seulement producteur exécutif sur le show) quand il s’agit de créer des situations et des personnages obscurs, soudés par un lien qu’ils ignorent mais qui les mène vers la même finalité (poke les candidats de Jacob dans Lost). Par ailleurs, Castle Rock se fait plaisir sur l’utilisation de différentes temporalités pour incorporer du mystère dans le récit à travers des flash-back toujours passionnants à découvrir, pour le moment plus accessibles que les voyages temporels de Dark et de Westworld.

Horreur et contemplation

Si la série d’Hulu coche parfaitement les cases “culture du mystère” et “exécution calibrée d’un pilote”, elle est aussi très appliquée sur sa réalisation. La mise en scène de Michael Uppendahl (American Horror Story), réalisateur des deux premiers épisodes, est davantage au service de la contemplation que du spectaculaire. Ainsi, Castle Rock distille de légers éléments extraordinaires, voire carrément surnaturels, dans une situation d’une banalité affligeante voire carrément clichée (un trou paumé d’Amérique où les habitants ont tous un pète au casque). Quant à la photographie, voluptueuse, glaçante et lugubre, elle se rapproche du travail d’Adam Arkapaw sur la première saison de True Detective et ses décors en lente décomposition.

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Dans le pilote de Castle Rock, la sauce prend d’entrée de jeu et s’harmonise parfaitement avec les thématiques littéraires de Stephen King : l’ordinaire hanté, un cataclysme qui surgit des ténèbres sur une communauté entière, des personnages en souffrance interne… Cette réalisation contemplative et angoissante instaure un climat sinistre, voire carrément morbide. Un peu à la manière de Jean-Marc Vallée sur Sharp Objects, où des fantômes semblent surgir des recoins les plus sombres de l’écran. Sauf qu’avec le maître de l’horreur, on a déjà fait le pari de se retrouver véritablement face à un spectre…

D’ailleurs, la série fantastique ne se gêne pas pour nous surprendre. Michael Uppendahl se fait plaisir avec quelques jump scare bien sentis, dont un qui met en exergue le physique cadavérique de Bill Skarsgård (déjà terrifiant dans la peau de Pennywise dans le remake de Ça). Par ailleurs, ces personnages déprimés et hantés par leur passé sont incarnés par des acteurs excellents, du sympathique Terry O’Quinn (Locke dans Lost) à la révélation André Holland (Moonlight) en passant par des vétérans comme Sissy Spacek (Carrie au bal du diable).

Deux petits points noirs viennent toutefois plomber le ciel grisâtre de Castle Rock. Bien qu’intrigant et flippant, le pilote est assez confus dans la direction que prendra la série. On ne sait pas trop où nous emmène ce récit choral, ni le véritable MacGuffin que poursuivent Henry et l’inconnu de Shawshank.

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Ensuite, le show a trop souvent tendance à regarder et à nous expliquer son passé, comme si Castle Rock ne vivait qu’à travers les bouts de récits de Stephen King (même si les fans du romancier prendront un grand plaisir à dénicher toutes les références à son œuvre). Il faudra que la série trouve sa propre histoire originale dans les futurs épisodes si elle veut s’imposer comme the next big thing. Une chose est sûre, les deux King du fantastique ont frappé fort pour leur première collaboration.

En France, la première saison de Castle Rock reste inédite.