Guerre du streaming oblige, NBCUniversal a emboîté le pas à WarnerMedia pour lancer sa plateforme cette année. En plus de rapatrier et capitaliser sur ses licences phares (Friends, The Office, Parks and Recreation…) pour attirer des abonnés, Peacock proposera des séries originales dans son catalogue. La première œuvre en lice est un show ambitieux, une adaptation moderne du Meilleur des mondes, le roman mythique d’Aldous Huxley. Un projet de longue haleine dont les fondements remontent à 2015 et à l’origine prévu pour une diffusion sur un network.
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Brave New World, le titre original du livre, dresse le portrait d’une société dystopique qui connaît une paix et une prospérité pérennes. Les notions d’argent, vie privée, ou encore le concept d’Histoire mais aussi de la monogamie ont été bannis au profit d’un État mondial et de la puissance du corps social au-delà de toute individualité. Ainsi, les humains évoluent dans un monde où la guerre, la pauvreté et les maladies n’existent pas. La souffrance a également été éradiquée grâce à des psychotropes, que les citoyens avalent ponctuellement comme une bonne tasse de café.
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Dans cet univers d’ultra-consumérisme et de libertinage, deux individus, Bernard Marx et Lenina Crowne, vont pourtant remettre en question la rigidité de cette société. Lui est en quête d’une famille pour combler sa solitude tandis qu’elle veut braver les interdits en offrant son cœur et son corps à une unique personne. Pour assouvir ses désirs secrets, le duo décide de voyager dans les terres sauvages, où l’ancienne civilisation est encore fonctionnelle, mais va se confronter à une révolte sanglante menée par les laissés-pour-compte. Là, il fera la rencontre de John, un des sauvages qui accepte de les protéger.
Une adaptation plus Bêta qu’Alpha
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Pour un lancement aussi important, Peacock devait marquer le coup et a donc mis les moyens. Visuellement, Brave New World est une franche réussite. Si la série n’a pas le charme et l’inventivité d’un Westworld, elle propose une New London futuriste et utopique dans laquelle il est possible de s’y plonger. De l’autre côté, les terres sauvages, désertiques et inquiétantes, s’inspirent en grande partie de la franchise Mad Max. Avec quelques bonnes idées, comme ce parc d’attractions où les spectacles sont en réalité des aspects de notre culture désormais prohibée (le mariage, les animaux, la guerre), Brave New World rend son univers dystopique plausible et plaisant à parcourir.
Mais contrairement au roman d’Aldous Huxley, elle pèche dans l’écriture de ses personnages. Là où John le Sauvage (Alden Ehrenreich, le nouveau Han Solo de la saga Star Wars) servait de point d’ancrage au lecteur, il devient vite un héros agaçant et émotionnellement pauvre dans l’adaptation. A contrario, le duo formé par Bernard et Lenina est très vite attachant, bien aidé par l’alchimie entre Harry Lloyd (Viserys Targaryen dans Game of Thrones) et Jessica Brown Findlay (Black Mirror). En somme, la qualité d’interprétation est un cran au-dessus des productions traditionnelles de network.
Brave New World perturbe aussi dans ses décisions narratives. Dans la société eugéniste décrite, il subsiste trois règles fondamentales : pas de vie privée, pas de famille et pas de monogamie. De cette privation des libertés individuelles, le showrunner David Wiener (Homecoming) et ses scénaristes semblent n’en retenir qu’un seul aspect : le sexe. Ainsi, le show multiplie les scènes d’orgies et de jouissances groupées dans une gratuité à toute épreuve, sans jamais qu’une puissante émotion à la Sense8 ne traverse ces séquences. Les dialogues, qui ont perdu leur poésie shakespearienne, tournent fréquemment autour des désirs sexuels des personnages, si bien que la profondeur philosophique du roman a tout bonnement foutu le camp.
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Certes, certain·e·s spectateur·ice·s y trouveront une satisfaction de voyeuristes, tout comme dans les scènes de violence, qui surprennent pour une production NBC. Mais Brave New World ne justifie jamais autrement ses prises de décisions que par la nécessité d’un rebondissement narratif pour faire avancer l’intrigue. Les critiques d’Aldous Huxley sur la hiérarchie des castes, la philosophie communiste et la civilisation industrialisée ont complètement disparu du script, au profit d’un récit rythmé et divertissant mais finalement assez pauvre en sous-texte.
Après avoir visionné la moitié de la saison, on se demande où Brave New World souhaite nous emmener. Elle n’explore jamais en profondeur les raisons qui ont donné naissance à ce monde collectiviste, ni même les motivations qui poussent le reste de la population à vivre dans cette illusion. Les scénaristes tenaient pourtant là une pépite sur le déterminisme et des notions de totalitarisme contemporain.
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Là encore, on préférera les rouages certes complexes mais tellement plus fascinants de Westworld, qui a saisi que les enjeux de son concept passent d’abord par une introspection de ses personnages. Ou tout simplement se réfugier dans les 285 pages du chef-d’œuvre d’anticipation, qui n’ont pas pris une ride, près de 90 ans après sa publication.
La première saison de Brave New World reste inédite en France.