Live ! Work ! Pose ! C’est par ces trois mots, qui résument si bien son parcours d’artiste queer, que Billy Porter nous accueille à chaque nouvel épisode de la série Pose. À la fois acteur, chanteur et performeur, il est ce qu’on appelle à Hollywood une “triple threat”. Une triple menace qui, à bientôt 50 ans, obtient seulement maintenant la reconnaissance d’une industrie qui a longtemps eu peur de son anticonformisme.
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Né à Pittsburgh le 21 septembre 1969, il grandit avec sa mère lourdement handicapée, sa sœur, et son beau-père violent et homophobe qui abuse de lui de ses 7 à 12 ans. Son enfance difficile, il en a fait de l’art. En 2005, il écrit et joue son one man show autobiographique Ghetto Superstar (The Man That I Am), dans lequel il décrit les humiliations, le poids de la religion (il était prêcheur de sa paroisse à l’âge de 11 ans !), et les mauvais traitements de cette figure paternelle, Bernie, qui voulait faire de lui un “vrai mec” en lui montrant des pages de Hustler, le magazine porno de Larry Flynt.
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Mais Billy est queer as fuck. À 17 ans, il quitte le foyer familial avec un seul mot en tête, un véritable mantra : “authenticity”. Rester fidèle à soi-même, pour un homme noir et gay dans les années 1990, ça indique une sacrée force de caractère. C’est justement cette période qui est dépeinte dans la saison 2 de Pose, qui vient de débuter sur FX (et sur Canal+ chez nous).
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Les ballrooms de New York sont des lieux de fête, d’extravanganza et de communion. Une parenthèse enchantée dans un monde où l’épidémie du sida fait des ravages dans la communauté gay. Même s’il a l’âme d’un MC, comme le maître de cérémonie Pray Tell qu’il incarne dans la série, Billy Porter admet n’avoir jamais mis les pieds dans ces soirées. “J’étais adjacent à tout ça”, raconte-t-il chez Stephen Colbert.
La série met un point d’honneur à montrer que cette petite communauté soudée ne laisse personne sur le carreau. Et sa famille de cœur, Billy Porter l’a trouvée dans le milieu du spectacle et des comédies musicales.
Les lumières de Broadway
Dès qu’il termine ses études d’arts, Billy Porter part à la conquête de New York en tant que danseur et chanteur. En 1994, Broadway lui ouvre les bras… juste un petit peu : il décroche un second rôle dans la comédie musicale Grease, puis quelques autres ici et là, mais rien de déterminant pour le reste de sa carrière. Bien sûr, on lui propose parfois des rôles de “vrai mec” que n’aurait pas reniés Bernie, coincés dans une certaine idée de la masculinité hégémonique. Il les refuse tous. C’est précisément ce qu’il a fui et laissé derrière lui à Pittsburgh : son beau-père et tout ce qu’il représente. Rentrer dans le moule, très peu pour lui. Mais les rôles qui défient les normes de genre sont rares. Et il ne semble pas y avoir d’autres choix pour un homme à l’écran que “mâle alpha hétéro” ou “gay flamboyant”.
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“Vous savez, il y a deux couches : le fait d’être une personne de couleur à Hollywood, et le fait d’être… une queen. Personne ne voit autre chose en vous. Si ‘flamboyant’ n’était pas dans la description du rôle, on ne me verrait nulle part, jamais. Ce qui ne me dérangerait pas autant si ça marchait aussi dans l’autre sens.
Mais ce n’est pas le cas. Parce qu’un homme hétéro qui joue un gay, tout le monde va vouloir lui donner une récompense. Merci de nous gratifier de votre présence hétérosexuelle ! C’est fatigant à la longue. Donc voilà où j’en suis : je ne peux pas avoir les rôles gays, je ne peux pas avoir les rôles hétéros.”
Voilà ce qu’il déclarait en juin dernier, sans trembler, devant un parterre de confrères hétéros lors d’une table ronde organisée par The Hollywood Reporter. Hugh Grant a joué un homme gay dans le placard dans A Very English Scandal, idem pour Richard Madden, actuellement à l’affiche de Rocketman, dans lequel il incarne l’amant d’Elton John. Ce dernier affirmait un mois plus tôt que, s’il estime qu’il faut plus de diversité et de représentations à l’écran, il croit fermement que “le meilleur acteur décroche le rôle”, peu importe qu’il soit gay, hétéro, ou trans.
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Diego Luna, également présent lors de cette table ronde, interprète une femme trans dans Berlin, I Love You, un film choral sorti en début d’année. Billy Porter, à ce moment précis, est la preuve que leurs privilèges d’hommes perçus comme hétérosexuels (et blancs en majorité) ont des conséquences. Leur liberté de choix est une entrave à la carrière d’acteurs et d’actrices issu·e·s des minorités. C’est tangible, et ils le savent, comme en témoignent leurs sourires gênés. The tea is served, honey.
En 2013, Billy Porter est à l’affiche de la comédie musicale culte Kinky Boots. Il y joue Lola, une drag-queen qui croise la route de Charlie, le propriétaire d’une fabrique de chaussures héritée de son père. Pour sa performance, il remporte la consécration ultime du milieu : un Tony Award. Outre sa carrière théâtrale, il enregistre quatre albums, mais les rôles intéressants sur le petit ou le grand écrans se font toujours désirer.
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“Je ne peux pas rester dans cette position où je mendie en permanence”, a-t-il déclaré en se souvenant de ses moments de galères, lors de la même table ronde du Hollywood Reporter.
The category is… success
La télé semble le bouder, et ne lui offre que de vagues apparitions dans des cop shows fadasses ou des séries médicales sans intérêt. Et alors qu’il est prêt à mettre un terme à sa carrière, il reçoit un coup de fil providentiel : Ryan Murphy, magnat des séries et parrain des LGBT à la télé, veut qu’il auditionne pour son prochain projet. Le showrunner et maître du camp, avait déjà une ribambelle de succès à son actif, mais il n’avait pas encore signé son chef-d’œuvre : Pose.
Il a cocréée cette série avec son partenaire de toujours, Brad Falchuk, mais aussi Steven Canals, et les trois hommes partagent l’écriture avec Our Lady J et Janet Mock, deux femmes trans dont l’expérience sera essentielle à la genèse de Pose.
Et puisque leur représentation est aussi importante dans la writers’ room que devant la caméra, la série bat aussi le record du plus grand nombre de personnes trans dans une fiction télé. Du jamais vu donc, et un risque qui paye : la critique est conquise et le public fidèle. Avec Pray Tell, Billy Porter décroche le rôle de sa vie :
“J’ai fait tout ce que les gens voulaient que je fasse au début de ma carrière, et ça n’a pas marché. J’ai échoué en étant quelqu’un d’autre. Ce qui marche aujourd’hui pour moi, c’est, comme je l’ai toujours su, ce que j’aurais toujours dû faire dès le commencement”, dit-il au magazine Rolling Stone.
Fashion icon
Ironiquement, c’est en étant lui-même que Billy Porter rayonne aujourd’hui. On voulait l’enfermer dans des rôles de gay flamboyant ? Il explose les carcans en s’affichant sur les tapis rouges dans des tenues qui remettent en question l’idée même de mode genrée. Toujours grâce à Ryan Murphy, la même année, il joue aussi Behold Chablis (un puissant sorcier dont la garde-robe n’a rien à envier à celle de Pray Tell) dans American Horror Story: Apocalypse.
Non content d’avoir pris sa revanche sur Hollywood, Billy Porter compte bien prendre la place qui lui est due. Lors des photocalls des diverses cérémonies de récompenses, il ne fait pas que poser, il se met en scène. L’aspect spectacle de l’exercice n’a plus de secret pour lui. Pour la dernière cérémonie des Oscars, il associe un haut de smoking avec un énorme jupon en velours noir, une création de Christian Siriano. Après presque un siècle de costards/nœuds pap’ plus boring les uns que les autres, c’est beau à en pleurer.
“J’ai toujours aimé la mode. Et je crois que, en particulier sur les questions de genre, nous avons dépassé l’idée que les femmes portant des pantalons sont un problème. Une femme qui porte un pantalon, c’est puissant, tout le monde l’accepte, et c’est parce qu’on l’associe au patriarcat, au fait d’être masculin. Mais à la seconde où un homme met une robe, c’est dégoûtant. Qu’est-ce que ça signifie ? Que les hommes sont forts et les femmes sont dégoûtantes ? J’en ai marre de ça. Je suis un homme avec une robe, et si j’ai envie d’en porter une, c’est exactement ce que je vais faire”, a-t-il déclaré à Stephen Colbert.
En mai dernier, et alors qu’on pensait avoir tout vu après l’arrivée spectaculaire de Lady Gaga, le temps s’arrête lorsque Billy Porter fait son entrée sur le tapis rose du MET Gala. Porté par six Adonis torse nu, tel un pharaon, l’acteur est au firmament. Et, quand il foule enfin les marches, c’est pour déployer ses ailes, dorées comme le reste de sa tenue, imaginée par les designers Phillip et David Blond. Plus camp, tu meurs.
Il remet le couvert pour les Tony Awards en juin dernier, en dévoilant une autre interprétation de son combo gagnant smoking + robe, créée cette fois par Celestino Couture : l’ensemble est rouge et rose, et le jupon est constitué de tulle et de tissu provenant des rideaux ayant servi de décor à Kinky Boots. Un bel hommage à la comédie musicale qui l’a propulsé à Broadway, à l’occasion de la cérémonie qui récompense le meilleur de l’année théâtrale. Mais la forme de cette traîne, ornée de 30 000 cristaux de Swarovski est tout sauf anodine, comme il l’a expliqué au Hollywood Reporter :
“Lors des essayages, on a imaginé lui donner une forme d’utérus, de façon subtile bien sûr. Et j’ai trouvé l’idée géniale, parce que les droits des femmes sont menacés actuellement. Je milite pour toutes celles et ceux touché·e·s par les inégalités. Aucun·e de nous n’est libre tant que tout le monde ne l’est pas ! Je voulais afficher mon soutien à toutes les personnes discriminées, l’unité nous rend puissant·e·s. Ce gouvernement essaye de priver les femmes de leur droit de choisir et c’est inacceptable. Non !”
Aujourd’hui, enfin, on lui tend le micro et on le met sous le feu des projecteurs, et celui-ci se sert de cette incroyable (et inespérée) plateforme pour faire passer des messages de tolérance et de désobéissance symbolique (messieurs, portez des robes si le cœur vous en dit !). Ce n’est pas Billy Porter qui a mis trente ans à conquérir le monde, c’est le monde a mis trente ans à découvrir Billy Porter.