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Dans une série où les dragons projettent leur ombre terrifiante sur une armée pétrifiée, où la forêt est peuplée de créatures ancestrales et où les arbres ont de la mémoire, où des clans de nobles des quatre coins du monde se livrent une guerre sans merci pour le trône, notre attention est quelque peu détournée des éléments moins spectaculaires qui font pourtant sa richesse.
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Game of Thrones est une saga fantastique (dans les deux sens du terme) et un divertissement à très gros budget. Mais elle ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans un souci absolu du détail et une recherche constante de la perfection à l’écran. Les effets spéciaux, la musique, les décors et surtout, ce qui nous intéresse ici, les costumes, sont autant de rouages dans cette machine bien huilée.
Les costumes comme langage
On a pu le voir avec Ane Crabtree, costumière sur The Handmaid’s Tale et Westworld : chaque pièce raconte une histoire. Et dans le cas de Game of Thrones, chaque robe, chaque tunique, chaque accessoire ou ornement, est le marqueur, à un instant T, de l’essence de celui ou celle qui le porte. On a donc voulu mettre bout à bout ces costumes, en se concentrant sur les trois héroïnes de la saison 7, Sansa, Cersei et Daenerys, pour constater que l’évolution de ces trois femmes ne se manifeste pas uniquement dans l’écriture. Leurs trajectoires respectives s’affichent dans chacune de leurs tenues depuis le début de la série.
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Des costumes créés de toutes pièces par Michele Clapton et l’équipe de 80 à 100 personnes qu’elle supervise. La designeuse, qui bosse aussi sur ceux de The Crown, travaille sur Game of Thrones depuis la saison 1, et en étroite collaboration avec ses showrunners, David Benioff et D.B. Weiss. Bien que la série se déroule dans un monde fictif, Michele Clapton doit se plier à certaines contraintes de réalisme. Les vêtements doivent être inspirés, peu ou prou, du Moyen Âge, mais doivent surtout refléter l’environnement dans lequel les personnages évoluent.
“Vous prenez en compte le climat, vous regardez quelles ressources sont accessibles, comment ils pourraient créer leurs costumes, avec quelles teintures, quels matériaux… En établissant ces règles, ça vous donne des paramètres pour ne pas être trop à côté de la plaque”, déclarait-elle dans un article du Time.
Une fois ces critères établis, les costumes deviennent un langage à part entière. Ils font partie intégrante de la trajectoire des personnages, et c’est d’autant plus manifeste quand les personnages en question connaissent une destinée hors norme.
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Qu’il s’agisse de Sansa, frêle fillette plus attirée par les usages de la cour du roi Robert Baratheon que par les parties de chasse à Winterfell, devenue, par les terribles épreuves traversées, une lady respectée prête à défendre coûte que coûte son héritage ; ou de Cersei, qui, à force de tirer les ficelles en coulisses, a fini par instaurer son règne de terreur à Westeros ; ou enfin de Daenerys, la noble jeune femme vendue comme du bétail à une horde de nomades qui s’est hissée au sommet de la pyramide de Meereen et est attendue comme le messie par les peuples opprimés.
De potiche martyrisée à Dark Sansa
Quand on rencontre Sansa Stark pour la première fois, à Winterfell, on ne se doute pas une seconde du destin qui l’attend. On mise tout sur ses frères Robb et Jon Snow, et en particulier sur la petite Arya, une vraie dure à cuire et de la graine de rebelle. Sansa aime la broderie et les convenances, les couleurs plutôt que les tonalités sombres arborées par les membres de sa famille, bref, elle s’accommode mieux du style de vie des Lannister que des siens. Elle finira par voir en Cersei Lannister une mentor. Sa robe bleu pâle la distingue immédiatement de ses congénères. Elle signale de cette façon qu’elle a plus sa place à Port-Réal. Sur sa robe, on remarque que l’encolure est ornée de nœuds en tissu.
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“J’ai mis tous ces nœuds pour qu’elle représente une fille prépubère”, précise Michele Clapton au Time.
La façon dont elle s’habille est un véritable moyen d’expression pour Sansa, mais c’est aussi un camouflage. À Port-Réal, elle arbore les coiffures et les vêtements ornés en vogue à la capitale et à la cour de Robert, puis de Joffrey Baratheon. Elle commence déjà à s’adapter, un trait de caractère qui deviendra bien plus qu’une coquetterie pour elle : une question de survie.
“Lors de son mariage avec Tyrion, elle porte un corset qui enveloppe son corps, ce qui exprime son sentiment d’être prise au piège par les Lannister. Ça me paraissait important de le matérialiser, notamment parce qu’elle a le seau des Lannister derrière la nuque”, Michele Clapton, toujours dans l’article du Time.
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Après être passée entre les mains, souvent sadiques, des hommes qui convoitent l’alliance et le pouvoir que représente son nom, elle décide de briser ses chaînes pour (re)devenir Sansa Stark. Mais son émancipation n’est pas encore totale puisqu’elle subit l’influence de Littlefinger. C’est tout de même à son contact, abusif et manipulateur, qu’elle va adopter un nouveau comportement et avec lui, un nouveau look.
Dark Sansa est née. Lorsqu’on la revoit en saison 7, elle a définitivement adopté l’allure des Stark. Elle est de retour à Winterfell et a gagné le respect de ses sujets. Elle arbore la fourrure de son clan, une robe qui fait presque office d’armure, la chaîne et l’anneau… Tout ce qu’elle a traversé et ce qu’elle est se révèle entre les coutures de son costume. Il est sa force et sa protection.
Cersei, de belle manipulatrice à redoutable souveraine
Au début de la série, en tant que femme du roi, Cersei est belle, élégante. Ses robes sont ornées de broderies, féminines et cintrées à la taille, et dévoilaient parfois ses épaules. Mais elle montre aussi une certaine forme de pudeur. Ce qu’elle cache, ce n’est pas tant sa peau que la relation incestueuse et fougueuse qu’elle entretient avec Jaime, son frère jumeau. En public, Cersei est dans le contrôle et l’opulence, ses longs cheveux blonds souvent tressés de façon acrobatique.
Avec l’arrivée de Margaery Tyrell à la cour, la régente va porter de plus en plus de robes ornementées pour asseoir son autorité et exposer la richesse de son clan. Elle est piquée au vif de voir sa némésis montrer tant de peau et lui balancer sa jeunesse en pleine figure. Au fil des saisons, et particulièrement les dernières, elle abandonne ce style. Et comme pour Sansa, ce changement se fait par la force des choses. Les épreuves vont la façonner.
C’est l’un des reproches que l’on a beaucoup fait à Game of Thrones, cette façon dont les violences, sexuelles en particulier, sont utilisées pour “endurcir” nos héroïnes. Ses vêtements se feront plus sombres en saison 6, elle portera d’épaisses tenues de cuir qui vont masquer ses formes et établir une silhouette plus anguleuse, plus structurée, une tenue quasi militaire, avec des épaulettes imposantes. Sa robe a été raccourcie pour montrer qu’elle est moins vulnérable et peut se déplacer avec plus d’aisance. Sa coupe de cheveux, bien sûr, va enclencher ce processus de transformation.
“Le noir était un choix évident. Oui, c’est pour marquer le deuil de ses enfants et de son père, mais c’est aussi tellement plus que ça. Pour moi, ça représente ce qui est mort au fond d’elle : son insatiable soif de pouvoir, quel qu’en soit le coût. L’effet multi-couches rendu par les superpositions de cuir et de brocarts argentés donne un résultat complexe, impliquant qu’il n’est jamais simple de réussir”, Michele Clapton, dans Vanity Fair.
Comme si, pour elle, accéder au pouvoir signifiait renoncer à sa féminité. Margaery en jouait ouvertement, c’était une arme de séduction massive. Cersei a toujours eu ces méthodes en horreur. Ironiquement, pour en arriver là, elle a perdu tous ses enfants. Fallait-il tuer la mère pour qu’elle devienne reine ? Ou plutôt, pour devenir roi, puisque à la fin de la saison 7, en deuil, le cœur brisé mais sur le trône, elle répudie l’amour de sa vie, et son allure rappelle celle de Tywin Lannister, son père.
“Bien entendu, quand elle est devenue reine, je savais instantanément qu’elle devait porter quelque chose qui renvoie à son père. Elle n’a plus besoin d’essayer d’user de sa féminité parce qu’elle a atteint son but. Elle a toujours pensé qu’elle valait autant qu’un homme et je voulais montrer cela. Au tout début, c’était un oiseau en cage, et c’est pour cela que j’ajoutais des broderies d’oiseaux aux côtés de celles des lions”, Michele Clapton, toujours dans Vanity Fair.
Daenerys, de réfugiée à briseuse de chaînes
La troisième héroïne à briguer le trône et à prendre sa revanche sur les hommes, c’est bien sûr Daenerys. Elle a connu une évolution aussi nette que ses deux autres consœurs, de réfugiée qui a su gagner la confiance des Dothrakis à Mère des dragons, pour finir par devenir une conquérante redoutée, libérant les esclaves sur son passage et ralliant à sa cause des alliés de poids. Peu après son mariage à Khal Drogo, la jeune Khaleesi portait des tenues pratiques et rudimentaires, souvent en lin et en cordages, étudiées pour les longs et pénibles voyages à cheval. Le climat étant chaud et sec dans ces steppes reculées, les hauts laissent les épaules découvertes.
Quand elle renverse le régime en place à Meereen, elle reprend sa place sur un trône. Elle s’habille donc désormais en conséquence, avec des robes élégantes, de couleurs claires ou pastel (de préférence dans les tons bleu et blanc), avec des décolletés plongeants. Elle réapprend aussi à être séductrice, avec Daario, mais ses vêtements doivent d’abord refléter son pouvoir fraîchement gagné. En amour comme en politique, elle tient les rênes. Cette autorité nouvelle, elle la porte jusque sous sa robe avec des pantalons et des bottes bien cachés (mais bel et bien présents). Pour Daenerys, son arme secrète se planque, littéralement, sous ses atours féminins.
“Elle a toujours cette peur de devoir tout quitter à tout moment, donc cela lui donne la liberté de pouvoir s’échapper et courir si besoin”, Michele Clapton pour le Telegraph.
En fin de saison 6, alors qu’elle navigue vers Westeros, elle porte encore une robe aux épaules dégagées, mais celle-ci est différente des précédentes, marquant un changement radical dans sa politique de conquêtes. Cette tenue est noire, avec des touches de rouge : les couleurs des Targaryen. Avant cet instant, Daenerys n’était pas pleinement la digne héritière de son clan. Elle donnait le change dans l’apparat et le protocole, en se faisant appeler par tous ses noms et en faisant preuve d’autorité en public, pour douter, dans la minute qui suit, de ses décisions.
Désormais, même si elle recueille toujours les précieux conseils de Tyrion et Varys, elle fait ses propres choix et assume sa soif de pouvoir, pas seulement pour briser les chaînes des opprimés, mais pour réclamer ce qui lui est dû. Ce qui est dû à sa famille. À Peyredragon, la terre de ses ancêtres, sa poitrine se couvre d’écailles de cuir et les couleurs se font plus sombres, et plus monochromes, mais toujours avec quelques pointes de rouge. Michele Clapton ajoute alors une touche finale à la transformation :
“Je ne voulais pas qu’elle ait une couronne, je voulais qu’elle porte une chaîne. […] J’aime l’idée qu’elle arbore tout ce qu’elle peut pour montrer son statut mais qu’elle refuse de mettre la couronne, parce que ce serait inapproprié de la porter avant son heure”, Michele Clapton pour Insider.
Car avant d’assumer pleinement son pouvoir, et son statut de reine, Daenerys a une dernière bataille à mener pour s’asseoir sur le trône de fer. Au début, elle errait, trimballée d’un point à un autre par des hommes, elle n’avait alors pas de but, ni d’identité. Désormais, comme Cersei, elle voit aussi sa silhouette changer, avec, en saison 7, une allure plus proche d’une cheffe militaire. “Son nouveau look, comme celui de Cersei, est censé projeter de la force. […] Elles sont des leadeuses”, déclarait Michele Clapton, toujours dans Insider. Le face-à-face de ces deux guerrières et fines stratèges, en saison 8, tout comme l’ascension de Sansa, promet d’être épique.