Ça fait bien longtemps que je n’ai plus 16 ans. Et pourtant, la série 13 Reasons Why m’a ramenée illico à mes années coups de coeur. Attention, spoilers.
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L’adolescence. Une période à la fois magique et terrifiante. Celle des premières fois, où l’on ressent tout plus fort, pour le meilleur et parfois pour le pire. Ce moment où l’on forgera une partie de notre identité à travers nos premières expériences amicales, sexuelles, amoureuses… Certains traverseront le collège et le lycée dans un relatif anonymat, et se forgeront plus tard. D’autres auront de bons souvenirs, et puis il y aura la dernière catégorie, les malchanceux qui auront du mal à oublier la cruauté, le manque de solidarité, l’impuissance ou l’indifférence. Quelle que soit la catégorie de personnes à laquelle vous appartenez, 13 Reasons Why est une série indispensable pour mieux comprendre son prochain.
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Qu’on s’entende bien : la série de Brian Yorkey ne coche pas toutes les cases du spot de prévention contre le suicide et autres sujets sensibles abordés. Et c’est bien normal, il s’agit d’une fiction. Elle a en revanche le grand mérite de suivre la trajectoire d’une jeune fille, Hannah Baker, qu’une succession d’événements (du plus anodin au plus grave) va conduire à commettre l’irréparable. En suivant cette histoire à hauteur d’ado, 13 Reasons Why permet de toucher plus directement les personnes concernées.
La notion de consentement
La notion de consentement se retrouve au cœur de plusieurs épisodes du show, et c’est très important. Je n’ai JAMAIS entendu parlé de ce terme durant mes années lycée, alors imaginez les garçons. Dans l’épisode 11, Clay et Hannah en viennent quasiment à avoir des rapports sexuels. Mais avant cela, le jeune homme, qui a certes merdé à un autre niveau (en ne montrant pas ses sentiments, en n’ayant aucune conscience de la détresse d’Hannah de son vivant alors qu’il l’aimait), lui demande : “Es-tu sûre ?”. Trois petits mots, qui ont une importance capitale.
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A contrario, dans les terribles épisodes 9 et 12, qui voient Jessica et Hannah subir un viol, Bryce ne demande pas son avis à ses deux victimes. Encore plus glaçant : quand Clay le confronte face à ses actes odieux (S1 E12), il répond : “Elle avait envie de moi. Elle m’a quasiment supplié de la baiser. Si c’est du viol, alors toutes les filles de cette école veulent être violées.” Des propos à vomir.
On se retrouve là avec deux exemples clairs comme de l’eau de roche : celui qui a tout compris et celui qui n’a rien compris. Mais on sait que la vraie vie se situe malheureusement entre les deux, dans des circonstances floues (“on était tous les deux bourrés”, “elle a pas dit non”). Voilà pourquoi la notion de consentement est indispensable. 13 Reasons Why montre aux garçons qu’il faut toujours demander et aux filles qu’elles ont le droit de dire non. Au fil des épisodes, on comprend mieux ce que recouvre cette notion de culture du viol. Aucunement aidées par les figures d’autorité (profs, conseillers, coachs…), Jessica et Hannah se retrouvent seules face à leur traumatisme. La première tombe dans l’alcoolisme quand la seconde mettra fin à ses jours après avoir tenté d’en parler avec un conseiller à côté de la plaque (S1 E13).
La série frappe très fort dans sa représentation du viol : Jessica aurait pu être sauvée deux fois, par son petit-ami et par Hannah. Mais le premier se voit acculé par une application criminelle d’une sorte de “bro code” (Bryce est son pote riche, il l’a aidé maintes fois), et la deuxième se retrouve tétanisée, trop traumatisée par ses propres expériences pour réussir à défendre son amie. Un moment très dur à regarder. Puis, concernant le viol d’Hannah, la caméra ne lâche quasiment pas son visage sans expression, et l’on comprend à cet instant, que la jeune femme a perdu toute raison de vivre.
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Avant même d’en arriver à cette situation tragique, la culture du viol débute par l’objectification des filles alors qu’elles sont en train de devenir de jeunes femmes. Dans 13 Reasons Why, elle est représentée par ces listes qui traînent sur les plus beaux culs de la classe, ces mecs qui passent un moment sympa avec une fille et qui pensent pouvoir mettre la main au panier, tranquille, ces rumeurs dévastatrices sur cette nana qui serait “une fille facile” (ce qui en fait une cible pour les gros cons). Le genre de choses qui arrive trop souvent dans la vraie vie. Avouez-le, vous connaissiez tous une fille réputée “facile” dans votre lycée. C’était même peut-être vous et ce n’était probablement pas fondé. Voilà une série qui peut éveiller les consciences des garçons comme des filles.
“Mostly, boys are assholes. But girls ? Girls can be evil.*”
Obnubilées par leur cote de popularité ou leur nouveau crush, les filles ne sont pas non plus des anges, ni dans la vraie vie, ni dans la série. Cette dernière s’attaque à plusieurs reprises au niveau de bitcherie des filles entre elles, aux premières et douloureuses désillusions amicales. Elles peuvent laisser longtemps des traces. Le personnage de Jessica préfère gifler son amie et la délaisser par peur qu’elle ne lui pique son copain plutôt que de communiquer avec elle, ou de la croire avant les rumeurs. Pour camoufler son homosexualité, Courtney sacrifiera aussi en un battement de cils son amitié naissante avec Hannah. Pire, elle participe au “slut-shaming” dont est victime Hannah, en faisant courir la rumeur qu’elle est une fille facile pour détourner l’attention d’elle-même.
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Au contraire, Hannah montre la nécessité des alliances féminines : en ramenant chez elle une Jessica ivre morte le soir du bal de promo, alors que les deux ne sont même plus amies, elle lui évite une fin de soirée qui avait toutes les chances de mal finir. Avant que tout ne parte en sucette avec Sheri, cette dernière aussi a le réflexe de ramener une Hannah passablement éméchée chez elle. Si une seule des “amies” qu’Hannah a connue (Courtney, Jessica, Sheri…) était restée auprès d’elle, on peut arguer que l’adolescente serait toujours en vie.
Une autre raison pour laquelle Hannah aurait pu renoncer à se suicider est si elle avait eu conscience de la peine qu’elle s’apprêtait à infliger à ses parents. L’interprétation du père et de la mère d’Hannah (Brian d’Arcy James et la déchirante Kate Walsh), leur combat contre les autorités pour tenter de comprendre comment leur fille en est arrivé là, mais aussi les multiples tentatives des parents de Clay pour communiquer avec lui sont là pour nous rappeler que la plupart des parents font ce qu’ils peuvent. Ils se retrouvent dans une position extrêmement compliquée : tout en laissant leur enfant en passe de devenir adulte s’épanouir et conserver son jardin secret, ils doivent s’assurer que celui-ci va bien. Et dans certains cas, comme le dit Hannah elle-même, les signes sont minimes pour les parents, qui ne connaissent pas la vie sociale de leur enfant.
Il faudra déployer des trésors d’ingéniosité pour savoir si l’adolescent n’est pas victime de harcèlement scolaire (le “bullying”, soit subir un comportement agressif, des violences psychologiques et physiques au quotidien de la part des autres collégiens). La série le montre bien : dans un groupe, vous aurez affaire à une ou deux brutasses qui mènent la danse (Bryce, Montgomery), mais sans leurs moutons, ils perdent de leur pouvoir. Je parle des Zach, Justin, Marcus & co, de ces ados plutôt normaux, qui laissent faire leur pote parce qu’ils ne se sentent pas assez concernés ou qu’ils ont été blessés (Zach se fait rejeter par Hannah). Si ces ados-là, et il y en a un paquet IRL, se retrouvaient à regarder 13 Reasons Why dans une salle de classe, cela provoquerait un débat probablement complexe mais salvateur, et des prises de conscience.
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Pour que le suicide ne soit jamais une solution
Certains ont reproché à 13 Reasons Why d’être une série dangereuse, qui glamourise l’acte de se suicider. Je peux comprendre que l’aspect accrocheur ou même voyeur de la série (comment en est-elle arrivé là ? ; comment va-t-elle le faire ?) puisse faire tiquer, en revanche, ne pas parler du suicide des adolescents en dehors des fascicules dans les cabinets des psys, c’est tout aussi dangereux et lâche. Avec 15 % du total des décès, le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 15/24 ans (la première, ce sont les accidents de la circulation, sujet également illustré dans la série par la mort de Jeff).
La scène du suicide d’Hannah n’est pas glamour. Elle est carrément insoutenable à regarder. L’histoire d’Hannah, celle belle jeune fille, pleine de vie au début de la série, drôle et intelligente, est un gâchis monumental. On a tous envie de sauver Hannah d’une manière ou d’une autre au fil des épisodes.
Quand j’avais 16 ans, je n’avais pas conscience de tout ça. J’ai été victime de slut-shaming, de harcèlement scolaire. J’ai été très mal dans ma peau, comme tant d’autres Hannah et Alex de la vraie vie. Si j’avais regardé 13 Reasons Why au lieu de Farinelli ou du film d’horreur préféré de mon prof d’espagnol (Braindead pour les curieux), je me serais sentie plus forte.
J’aurais peut-être osé parler aux filles ou aux mecs qui me semblaient sympas, mais restaient à bonne distance. J’aurais moins détesté mes parents. Alors, oui, il y a des scènes très dures dans 13 Reasons Why, mais après tout, si on peut nous montrer des mecs qui défoncent des gens sans aucune raison en riant (oui, du coup, Braindead m’a un peu traumatisée), on peut aussi montrer à un public adolescent une série qui a du sens et qui leur parle directement de leurs problèmes.
*”La plupart du temps, les mecs sont des crétins. Mais les filles ? Les filles peuvent être diaboliques“