Thibaut Kinder livre une collection de photos numériques qui, malgré leur amateurisme, sont d’une grande poésie.
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Autodidacte, l’artiste français Thibaut Kinder a commencé à s’intéresser à la photographie amateure dès ses débuts. Depuis 2014, il collectionne pléthore de vieilles cartes SD (Secure Digital) qu’il déniche sur des marchés de biffins et les magasins d’électronique d’occasion.
À ce moment-là, il se lance dans un projet intitulé Exhumed Photographs (“Photographies exhumées”) qui regroupe alors des milliers de clichés d’inconnus, qu’il poste ensuite sur Tumblr et Instagram. S’enchaînent des expositions et un ouvrage, An Egyptian Story, aujourd’hui publié aux éditions Lendroit.
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Dans l’antre visuel d’inconnus
Dans ces images anecdotiques et intimes, Thibaut Kinder voit une grande poésie : des photos floues, imperceptibles ou tout simplement ratées de couchers de soleil ou d’arbres, des banquettes arrière photographiées sur la route des vacances en famille, des images de sites touristiques ou prises en bas de la cité… Le tout avec son lot de bruit photographique.
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L’abstraction est de mise, Kinder ne fait pas dans le sensationnel ou l’humour, et il fallait y mettre un peu d’ordre.
“Le passage au numérique et les capacités de stockage offertes par la carte Secure Digital ont transformé notre façon de prendre des photos, en faisant notamment de chacun d’entre nous des apprentis photographes – plus ou moins compulsifs. Ces cartes SD, adaptées à la multitude d’appareils qui nous entourent deviennent des réceptacles à vocations multiples.
Sébastien Leseigneur les qualifie de ‘data fourre-tout idéal’, sur lequel on a tendance à oublier ce qu’on y dépose. Mais, à l’instar de chaque mot publié sur Internet, chaque email envoyé, nos moindres faits et gestes digitaux sont archivés, conservés bon gré mal gré et ce, au-delà de toute suppression. Après un passage dans un logiciel de récupération de données, les cartes abandonnées révèlent rapidement et simplement leurs données, supprimées mais pas effacées”, explique-t-il.
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Remplaçante de la pellicule photo, la carte SD a été créée au début de l’an 2000 par Panasonic, SanDisk et Toshiba. Depuis 2010, elle est devenue le standard de stockage pour tous types de données numériques : appareils photo numériques, caméscopes, GPS, consoles de jeux vidéo, smartphones. “C’est un support composite sur lequel on a tendance à oublier ce qu’on y dépose, surtout si on mixe les usages d’une même carte”, précise Sébastien Leseigneur, le commissaire associé au Centre de la photographie de Genève, lors d’une expo de la série Exhumed Photographs en 2017.
“Un monde dans lequel le portable n’avait pas encore le monopole de la photo souvenir”
Aujourd’hui, l’archive de Kinder rassemble près de 180 000 images au total, issues de centaines de cartes SD différentes. Par leur biais, le photographe interroge la notion de mémoire et de sa survie :
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“Face au tsunami visuel produit quotidiennement, de plus en plus de producteurs d’images deviennent des espèces d’archivistes-éditeurs […]. L’approche de Thibaut Kinder n’est pas si éloignée de celle de l’Allemand Hans-Peter Feldmann qui déclarait en feuilletant un magazine de mode : ‘Il n’y a rien d’intéressant là-dedans. Tout est trop évident, trop premier degré. J’aime quand il y a un peu plus de complexité’.”, déclare Sébastien Leseigneur, avec justesse.
Dans son élan artistique, Thibaut Kinder propose une nouvelle vie, plus longue, à ces pixels tombés dans l’oubli. Et s’il en a fait un livre – dans lequel il a sélectionné et réarrangé des images parmi 14 640 clichés, dispatchés dans 14 cartes SD –, c’est parce qu’il voulait “opposer au flux continuel des réseaux sociaux un autre rythme”. Peut-être qu’à travers les pages de cet album photo, vous trouverez une vieille photo de vous et de vos vacances d’été 2004.
Vous pouvez retrouver ces photos dénichées par Thibaut Kinder dans l’ouvrage An Egyptian Story, publié aux éditions Lendroit.