Rencontre : Madame Huguette, celle qui enfermait les monstres dans des pièges

Publié le par Lise Lanot,

Nous avons rencontré Madame Huguette, une artiste à l'âme d'enfant qui espère transmettre son optimisme grâce à son travail.

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Madame Huguette est officiellement née il y a trois ans. Cependant, elle sommeille dans l’esprit d’Hélène Depotte depuis toujours. D’abord prof d’histoire de l’art, du design et de l’architecture, elle a un jour “décidé d’être courageuse” et de donner vie à son amour de l’art et de la création sous les traits de Madame Huguette, un nom en hommage à sa grand-mère. Forte d’une maîtrise en histoire de l’art, d’un passage aux Beaux-Arts et de plusieurs expositions de ses dessins (notamment dans la galerie belge Guy Pieters), Hélène Depotte vit, grâce à Madame Huguette, un univers loufoque et décalé qui correspond à son caractère “très curieux, boulimique et franchement hyperactif”.

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Son travail répond à sa volonté constante de voir le monde avec des yeux d’enfants. C’est sans doute également pour cela qu’elle les aide à se débarrasser de leurs peurs (tels que les monstres qui traînent sous le lit) et à appréhender leurs souffrances. Ses œuvres, qui oscillent entre légèreté et sujets graves, rappellent les contes de notre enfance – Tim Burton, Lewis Carroll, René Magritte et Monstres et Cie. Rencontre avec une âme créative dont l’imaginaire est un véritable cabinet de curiosités.

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“Forget me not”. (© Madame Huguette)

Konbini arts : Bonjour Madame Huguette. Que raconte votre univers ?

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Madame Huguette : Essentiellement, j’aime raconter des histoires. On vit dans un monde dur, lourd, agressif. On se renferme davantage sur soi qu’on ne va vers les autres. Mon travail se base, dans un sens extrêmement large, sur les mythologies.

Je considère que qui qu’on soit, quelles que soient nos origines et notre culture, on a un patrimoine commun d’histoires – qu’elles soient religieuses, issues de contes de fées, de légendes grecques, romaines ou égyptiennes, j’en passe et des meilleures. Ces histoires nous expliquent comment faire pour être meilleur, pour être bien dans sa vie. Je me dis que si on remet au goût du jour ces histoires, on peut essayer, sans prétention, de réfléchir au monde et de dire : “Soyez heureux.”

Vous êtes donc autant une collectionneuse d’objets qu’une collectionneuse d’histoires ?

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Tout à fait. Cela a commencé il y a très longtemps. J’ai deux enfants qui sont maintenant grands, mais quand ils étaient petits, j’inventais des défis le soir. Cela consistait à raconter une histoire avec ce qu’il s’était passé dans leur journée pour créer quelque chose de magique, sous forme de résumé du jour.

“La Belle au bois dormant”. (© Madame Huguette)

C’est quelque chose que vous continuez à faire aujourd’hui, notamment avec vos “pièges à monstres” qui aident les enfants à accoucher de leurs peurs ?

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Oui, et ces pièges sont d’ailleurs nés avec mes enfants, même s’ils n’avaient pas cette allure-là à l’époque. Quand ils faisaient des cauchemars, ils me racontaient ce qui leur faisait peur et moi je dessinais leurs monstres. Cela a donné lieu à une série de dessins A4 qu’on rangeait ensuite dans un grand livre. C’était le Dictionnaire des lutins et des farfadets qui embêtent les enfants. C’est resté dans des cartons pendant des siècles, jusqu’à ce que mes meilleurs amis aient une petite fille, Ninon.

Elle aussi a des terreurs nocturnes. Elle m’a raconté ses peurs et j’ai commencé à lui créer des petites poupées, la personnification de ses monstres à elle. Je lui disais que c’était des appâts pour attirer ses semblables pour que ses parents les attrapent. Elle m’a dit ça ne suffisait pas, que son papa et sa maman dormaient la nuit et ne pouvaient pas les attraper.

“Doudounator”. (© Madame Huguette)

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C’est comme ça que j’ai eu l’idée de créer des pièges. J’utilise des cages de transport pour les oiseaux que j’ai chinés dans des vide-greniers et que j’ai transformées avec des morceaux d’horloge, des compteurs de réfrigérateur, des morceaux de circuits imprimés ou d’ordinateurs. J’ai fini par me dire que ça pouvait devenir un objet “utile” dans la chambre et c’est donc devenu des veilleuses, à brancher sur secteur.

On place le monstre à l’intérieur, on l’allume et le monstre appâte ses semblables qui se trouvent enfermés à l’intérieur. Récemment, j’ai imaginé une veilleuse portable qui fonctionne sur pile, parce que Ninon m’a dit qu’elle n’avait pas le droit d’apporter son piège lors de ses soirées pyjama.

“Le cœur de mon univers, c’est une volonté tenace de rester optimiste et de partager cette volonté.”

J’adore la fraîcheur des enfants et leur capacité à dire les choses sans toute la culture et les codes moraux que nous, les adultes, avons engrangés. Il n’y a pas de frein, ils ont une totale liberté que j’espère retransmettre dans mon travail. Je dois ne pas avoir grandi suffisamment.

“L’Arponator S88”. (© Madame Huguette)

Je cherche cette couleur et cette tendresse qui manquent de plus en plus cruellement au monde et qui permettent d’arrêter d’être sérieux, parce qu’être trop sérieux, ce n’est pas rigolo. Le cœur de mon univers, c’est une volonté tenace de rester optimiste et de partager cela.

Votre univers mêle l’optimisme de l’enfance à des sujets parfois funèbres, pourquoi ce choix ?

Mais parce que la mort fait partie de la vie. J’ai eu la chance de grandir dans une famille bouddhiste et on a appris très tôt que la mort faisait partie de la vie, qu’il ne fallait pas en avoir peur et qu’il fallait profiter de l’instant présent, sans regrets. C’est vrai que certaines de mes pièces sont douces-amères, légèrement tristes – parce que la mort, même si elle fait partie de la vie, reste triste –, mais il faut accepter ces moments douloureux.

Ça aide à avancer, à mieux comprendre les choses et ça doit être présent. En ce moment, je fais une série sur Alice au pays des merveilles. Il y a des pièces assez grinçantes. Le lapin blanc, je l’ai transformé en Hamlet, par exemple.

“Hope”. (© Madame Huguette)

Vos références semblent aller de Lewis Caroll à Magritte, en passant par Tim Burton. Qu’est-ce qui vous inspire ?

Absolument tout, en général. Je suis tombée dans Proust assez tôt, c’est une de mes grandes références littéraires. Lewis Carroll n’a jamais quitté ma table de nuit, Alice n’est jamais bien loin. Toute la littérature sur les contes de fées fait partie de mon environnement littéraire.

“Partir du plus simple et du plus vulgaire pour parvenir à quelque chose d’éminemment philosophique, je trouve ça immense.”

Mon artiste préféré, c’est Marcel Duchamp, qui avait cette propension à prendre un objet, le signer et en faire une œuvre d’art. Partir du plus simple et du plus vulgaire pour parvenir à quelque chose d’éminemment philosophique, je trouve ça immense. Pour le reste, je suis restée coincée dans la peinture du XIXe, parce que pour moi, le plus grand peintre au monde, c’est Manet. Cela dit, je me refuse de considérer tel artiste meilleur qu’un autre. Il n’y a pas de hiérarchie dans ma tête.

“Lost in Translation”. (© Madame Huguette)

Votre univers est composite, tout comme vos œuvres. Comment les créez-vous ?

Je suis en perpétuelle recherche d’objets, sans jamais vraiment savoir ce que je cherche. En fonction des rencontres avec des objets, cela donne de nouvelles séries. Je les choisis au coup de cœur : je vois une image et elle me raconte une histoire : “Tiens, ce chien a une tête de Batman” ou “Oh, on pourrait imaginer que ce garçon se bat contre un carnivore”.

C’est très aléatoire. J’ai un disque dur rempli d’une collection d’images dans laquelle je fouille comme dans un album de photos de famille. Lorsque je brode des images, je transfère ces photos chinées par impression sur tissu. Une fois que le processus technique est fait, je réfléchis à tout ce que je vais pouvoir leur faire de mal (rires), aux costumes que je vais ajouter, etc.

“Le Réveil de la Belle au bois dormant”. (© Madame Huguette)

Ensuite, je brode au point lancé, c’est une forme de coloriage. C’est une technique au trait croisé qui vient du dessin et de la gravure : plus on croise les traits plus on obtient du noir. Il n’y a pas de dessin de contour, juste des traits croisés qui font apparaître des teintes plus ou moins grises et noires. C’est une technique que m’a apprise ma grand-mère, c’est un hommage.

Comment choisissez-vous vos thèmes ?

Ma série sur les Héros à quatre pattes vient de ma passion pour les chats. Pour moi, une maison sans chat est une maison sans âme. Je voulais rendre hommage à cet animal d’une beauté absolue, qui a la capacité de venir quand il le souhaite, de prendre les mauvaises énergies, donc je les ai transformés en super-héros. Je l’ai étendue aux chiens, parce que ma fille est diabétique et son chien lui signale si elle est en hypo- ou en hyperglycémie.

“Il faut arrêter de dire que l’art, c’est un truc supra-compliqué pour les gens hyper-intelligents. C’est simple, l’art, il suffit juste d’y mettre de l’émotion.”

Votre vie est donc à lire en filigrane de vos œuvres ?

Je crois que c’est le cas pour tous les créatifs. Je pense que c’est parce que j’ai une vie extrêmement ordinaire et proche de celle des autres, parce que j’accepte de mettre dans mon travail ce qui me touche moi, que les autres peuvent s’y reconnaître. Il faut arrêter de dire que l’art, c’est un truc supra-compliqué pour les gens hyper-intelligents. C’est simple, l’art, il suffit juste d’y mettre de l’émotion.

“Valentin’s Voodoo Box”. (© Madame Huguette)

Je refuse de me prendre au sérieux. D’ailleurs, je dis que je suis créa’ et pas artiste. Moi, ce que je crée, je veux que chacun puisse se l’approprier. Même si certains sujets que j’aborde sont sérieux, c’est d’abord du plaisir. On atteint mieux les gens en les faisant sourire. Il faut être optimiste. C’est avec du bonheur et des sourires qu’on s’en sort. Le pessimisme est un très mauvais moteur.

Sur votre site, vous expliquez que vos pièces sont uniques, mais qu’on peut “déposer des requêtes” ?

Il n’y a pas deux fois la même pièce. Je n’accepte pas les commandes où on me dit : “Vous faites ça, ça ou ça.” J’accepte lorsqu’on me propose de créer à partir d’un objet. Cela arrive assez régulièrement. Ça ne se termine pas forcément par une pièce, mais ça se termine au moins par une rencontre.

“Georges”. (© Madame Huguette)

Une jeune femme est venue il n’y a pas très longtemps, elle avait perdu sa grand-mère qui lui avait légué une poupée en cire datant des années 1920. Une espèce de marquise, une chose très étrange et très jolie, mais dans un état absolument lamentable. Elle voulait la garder sans pouvoir la conserver dans cet état-là. Donc je travaille à un relooking de la demoiselle, ça va se faire tout doucement. Tout est possible.

“Tout est possible”, c’est un peu votre mantra ?

Oui ! Dans Alice au pays des merveilles, l’une des répliques du Chapelier Fou c’est : “Rien n’est impossible, il suffit de l’avoir décidé.”

“Autopsie du Prince charmant”. (© Madame Huguette)
“Cor Meum”. (© Madame Huguette)
“Le Traquouilleur Multiplex”. (© Madame Huguette)
“Le Grand Méchant”. (© Madame Huguette)
“Harponateur S93”. (© Madame Huguette)
“Le Petit Méchant rouge.” (© Madame Huguette)

Vous pouvez retrouver l’univers de Madame Huguette sur son site.