Sofiya a 20 ans. Elle est née en Ukraine, mais vit en France depuis son jeune âge. Photographe, elle navigue entre le mannequinat et les jobs alimentaires pour boucler ses fins de mois. Elle pratique sa passion depuis ses 13-14 ans et la nourrissait, durant l’enfance, en documentant les concours hippiques auxquels elle aimait participer.
Publicité
Puis la fête est arrivée, les premières fois, les excès, l’adolescence… Elle perd le fil de sa passion et reprend plus tard, à 17 ans. Son appareil photo ne l’a plus jamais quittée depuis ; la jeune artiste aime immortaliser les détails et la beauté du quotidien, ses proches, les marginaux·les.
Publicité
Il y a quelques mois, en février dernier, soit peu de temps avant le confinement, Sofiya Loriashvili a intégré par choix un centre de désintoxication en Ukraine, tout pour échapper aux hôpitaux psychiatriques dans lesquels elle avait déjà souffert. “Les raisons qui ont fait que je suis allée aussi loin pendant autant de temps étaient, je pense, la durée et l’intensité de mes consommations de stupéfiants”, nous explique-t-elle. “Il devenait évident que ce n’était pas juste une période, que ce n’était pas juste pour m’amuser, que ça n’allait pas me passer. Il était évident qu’il y avait un problème et que toute seule, je ne m’en sortais plus.”
Publicité
“Le jour où la fête était finie n’existait plus, le jour où toutes les relations que j’entretenais devenaient toxiques et malsaines, quand j’en arrivais à me pisser dessus dans mon sommeil et que les seules fois où je sortais de chez moi, c’était pour choper ma dose, ce jour-là, j’ai demandé de l’aide”, écrit-elle sur Vice.
“Mon appareil photo était la seule chose qui me raccrochait à la réalité”
Là-bas, elle se met à documenter son quotidien, un quotidien qui sera le sien durant six mois. La photographe ukrainienne décrit “une microsociété” : “C’est comme la vraie vie, mais sans l’accès aux drogues, à l’alcool et avec seulement une quarantaine de personnes.”
Publicité
“Je pense que le but, c’est de recréer un semblant de vraie vie pour nous apprendre à faire face à nos émotions, qu’elles soient négatives ou positives, sans drogues. Parce que oui, ce n’est pas seulement quand tout va mal qu’on consomme, c’est aussi quand tout va bien. Je pourrais m’étaler sur des pages et des pages, mais je vais dire que je n’en garde que des bons souvenirs. J’ai réappris à vivre sans consommation, et c’est grâce à ce lieu”, détaille-t-elle.
Dans sa lutte contre ses addictions, son appareil photo lui apparaissait comme “la seule chose qui [la] raccrochait à la réalité”. Son ambition pour intégrer une école de photographie après ce chapitre de sa vie l’a menée à réaliser une série de portraits des personnes internées.
Publicité
“Habituellement, je ne suis pas à l’aise et je suis trop timide pour demander à des personnes de les prendre en photo, ça m’a demandé un effort surhumain de faire cette série, mais j’avais un prétexte : mon ‘concours’.”
Ce passage à vide de sa vie lui a permis de sortir de sa zone de confort, d’avoir “une échappatoire quand le ‘trop de thérapie’ dans [s]on quotidien se faisait sentir”, un moyen de penser à autre chose, de rêver.
Publicité
“Honnêtement, toutes mes séries photo, je les fais pour moi. Parce que si je ne les fais pas, je ne fais rien et je plonge. Mais ce serait un hommage, peut-être, à la période la plus heureuse de ma vie. Parce que jusqu’à présent, c’était réellement les six mois les plus heureux et les plus sains. C’est aussi une façon de rappeler ou d’apprendre à certains que la dépendance est une maladie et non un choix.”
Des rencontres et des souvenirs
Parmi tous les visages qu’elle a figés, elle s’arrête sur ses deux derniers mois passés avec Alexey, un homme qui est devenu son ami. Un des clichés le représente dans la cuisine du centre. Cette image est empreinte d’un souvenir qu’elle chérit.
Elle nous raconte qu’elle a fait sa connaissance alors que la cuisine manquait de personnel et qu’il y était déjà embauché. Cette activité a su tromper son ennui.
“J’étais super heureuse, on vivait des journées de fou rire. C’était tellement inhabituel pour moi de rire autant et sans substances. Un jour, on était tous les deux ‘down’, on envoyait chier tout le monde. On s’est enfermés dans la cuisine et la salle à manger (puisqu’on avait accès aux clés), on a réussi à éclater une fenêtre et on s’est enfuis.
On n’avait aucune idée de là où on était, où on allait, mais on a marché deux heures dans un bois jusqu’à arriver à côté de l’autoroute, sur laquelle on s’est fait choper en cinq minutes par le personnel. En fait, on était à seulement quinze minutes à pied du centre”, se souvient Sofiya.
Parmi ses centaines de rencontres, elle retient tout particulièrement celle d’un homme à qui elle dédie cette série, “un homme avec qui j’ai créé un lien très fort, mais qui n’a pas survécu”, nous exprime-t-elle avec émotion. “Je m’en suis beaucoup voulu de sa mort, de ne pas avoir eu le temps de lui dire certaines choses, d’avoir été trop égoïste et de ne pas avoir su le protéger, c’est un peu ma façon de lui dire au revoir.” Aujourd’hui, la fête est finie et Sofiya regarde vers l’avenir.
Vous pouvez suivre le travail de Sofiya Loriashvili sur son compte Instagram.