Un squelette lui coiffe les cheveux, un monstre la tient par l’épaule, une statuette précolombienne Nayarit (appartenant vraisemblablement à la collection de son ex-mari Diego Rivera) semble lui manger le bras, la table saigne, deux enfants les regardent, sa biche Granizo est présente, tous sont attablés sur une scène de théâtre… La Mesa Herida (“la table blessée”) est un tableau de Frida Kahlo datant de 1940 et la représentant à table avec ses démons.
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Elle s’est attelée à la création de cette peinture peu après son divorce avec Diego Rivera en 1938, pour rendre hommage à son identité mexicaine et symboliser l’état de son corps et de son esprit en souffrance. Les protagonistes étranges que l’on voit dans La Mesa Herida ne sont pas si étrangers et ont déjà été introduits en 1938 dans son œuvre Los Cuatro Habitantes de Mexico.
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Itinéraire d’une disparition
En 1945, l’artiste mexicaine avait fait don de l’œuvre “en signe d’amitié” à la Soviet Union pour l’ajouter à une salle dédiée à l’art mexicain du Museum of Western Art de Moscou. Selon l’International Foundation for Art Research Journal, elle n’aurait jamais été placée dans cette salle, car elle aurait été jugée “d’art décadent bourgeois” par les Soviétiques qui ont préféré la stocker.
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C’est après sa mort en 1954 que les spécialistes perdent la trace de cette peinture à l’huile, après qu’elle a été prêtée pour une exposition itinérante à travers plusieurs pays soviétiques. La dernière fois qu’on a vu l’œuvre, c’était en 1955, à la Galerie nationale d’art de Zachęta, à Varsovie, en Pologne, puis elle s’est évaporée. Il existe aujourd’hui une réplique de La Mesa Herida, exposée au Kunstmuseum Gehrke-Remund, en Allemagne.
En juin 2019, on a de nouveau entendu parler de ce tableau. Un homme a été arrêté par les autorités mexicaines, car il prétendait l’avoir vendu. Selon ses dires, il aurait été envoyé à un acheteur à Londres en échange de 20 millions de pesos mexicains. L’enquête a été classée comme fraude, puisque les autorités n’ont jamais pu voir la couleur du chef-d’œuvre et le suspect n’a jamais pu prouver sa possession.
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Rebondissements
Disparue depuis 65 ans, l’œuvre grand format pourrait se trouver dans un entrepôt à Londres, selon Cristian López, un collectionneur qui prétend représenter le propriétaire du tableau. À l’Associated Press, il affirme que le tableau a été authentifié par des spécialistes – sans les citer – et qu’il se prépare à le vendre pour 40 millions d’euros. Les expert·e·s pensent que cela pourrait être une fausse alerte et un faux, comme l’affaire de 2019.
Helga Prignitz-Poda, qui fait partie des nombreux·ses chercheur·se·s travaillant sur La Mesa Herida, ne croit pas un mot de López : selon l’historienne de l’art, la peinture retrouvée diffère de l’originale en termes de détails et de matériel utilisé. En effet, celle du collectionneur a été peinte sur une toile, tandis que l’originale a été peinte sur du bois. Susana Pliego, une autre historienne, déplore la “Fridamania” qui a pris possession du marché de l’art, dans lequel de nombreux faux Frida Kahlo circulent : l’artiste n’aurait produit que 200 peintures avant sa mort.
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Le collectionneur d’art Hans-Jérgen Gehrke, qui opère pour un musée dédié à Frida Kahlo dans le sud-ouest de l’Allemagne, considère cette alerte “ridicule” et trouve invraisemblable qu’un petit businessman espagnol de 22 ans soit le gardien de cette œuvre disparue depuis tant d’années. “Il y a des milliers de faux Frida Kahlo. Elle est certainement l’artiste qui a le plus peint après sa mort que pendant sa vie.”