Il y a dix jours, j’ai décidé de suspendre mon compte Instagram. L’appli prenait juste trop de place dans ma tête. Avec mes 3 500 abonnés, j’en avais principalement une utilisation professionnelle : je regardais les nouvelles photos de mes collègues photographes du monde entier ; eux regardaient les miennes. Je suivais aussi quelques-uns de mes amis.
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Depuis 2014, je m’astreignais à environ une publication par semaine, en postant principalement des exclusivités qu’on ne trouve pas dans mes expos ou sur mon site Web. J’ouvrais l’appli dès que des petits temps morts s’installaient dans la journée, je ne saurais pas trop dire combien, peut-être une vingtaine de fois par jour.
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Le like, à la fois irrationnel et rassurant
Il y a quelque chose qui m’affectait tout particulièrement : les likes. Quand tu en as beaucoup, tu te sens bien. Mais quand ils ne sont pas au rendez-vous, ça devient vite la lose. Ce bonheur artificiel sans cesse menacé de dépréciation sur les réseaux sociaux, on en a déjà beaucoup parlé. Tous ceux qui subliment leur vie personnelle sont épuisants, ça n’est pas nouveau. Mais quand c’est professionnel, c’est encore autre chose : il y a quelque chose de dégradant à se retrouver réduit à des likes quand on a une démarche d’artiste.
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Le like, psychologiquement, est un outil bien retors. Il est d’abord irrationnel : il m’arrive d’apprécier certaines photos que je ne like pas systématiquement. Mais le like est aussi rassurant : quand je fais des expos ou que l’on me cite dans des articles, il y a très peu de retours. Le like, en revanche, est un vrai feed-back. C’est pour ça qu’on les guette avec autant d’avidité, surtout quand on consent à partager quelques créations.
Le like, moteur de compétition
On le sait, les réseaux sociaux usent de mille stratagèmes pour nous rendre accros. Les stories, par exemple, n’ont rien arrangé et sont encore plus chronophages. Plus on passe de temps sur les applis, plus la publicité leur rapporte de l’argent et donc il faut que les utilisateurs restent à tout prix. Du coup, la situation est la suivante : l’époque nous oblige, nous, artistes visuels, à faire notre “autocommunication” sur un outil pensé pour être addictif. Oui, c’est épuisant.
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Les likes et le nombre de followers poussent terriblement à la comparaison. Quand tu suis des collègues qui ont 30 000 abonnés, tu ne peux pas t’empêcher de te dire qu’ils sont meilleurs que toi. Quand tu vois des journalistes ou des personnes influentes dans le milieu qui likent des photos des autres, tu plonges malgré toi dans un état de compétition. Celle-ci me semble un peu malsaine et biaisée. On ne peut pas juger de la qualité d’un travail au simple nombre de likes.
La vraie vie, ça marche encore
J’adorais Instagram dans ses débuts. Par rapport à Facebook, c’était une bouffée d’air. En ces temps reculés, les gens ne se prenaient pas trop au sérieux. Mais à la longue, Instagram est devenu une obligation professionnelle très codifiée. Tout ça me rend un peu nostalgique de l’époque des blogs, où c’était moins formaté, où on mixait plus librement texte et photos. J’adorais Blogspot par exemple. C’était un espace vierge de likes. Ce qui n’était déjà plus le cas avec Tumblr.
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Il se passe en plus quelque chose d’incroyable : je suis incapable de dire si la popularité sur Instagram a des retombées concrètes sur ma carrière professionnelle ou pas. Quand des personnes me contactent pour la première fois, elles ne me parlent jamais du réseau social. Elles ont entendu parler de moi soit via les médias traditionnels, soit la vraie vie (si, si), quand elles ont vu une exposition ou qu’on s’est passé le mot par bouche-à-oreille. Il n’est donc pas impossible que ce cirque un peu pénible soit une bulle de vide, une mode qui a le vent en poupe.
Un monde trop flashy et trop pop
Je suis persuadée que les mentalités sont en train de changer. Je n’en ai personnellement pas parlé à mes collègues (peut-être parce que c’est une prise de conscience récente), mais je suis sûre qu’il y en a beaucoup d’autres qui arrivent aux mêmes conclusions. À terme, je pense même que ce sera un signe de distinction de ne plus exister virtuellement.
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Enfin, j’ai constaté qu’Instagram me faisait un peu perdre en originalité. Puisque les photos défilent par dizaines, il faut accrocher l’œil. Les photographes se sentent donc un peu contraints de poster des photos qui seront très visuelles, flashy et pop. Ils partagent aussi leurs meilleures photos, celles qui sont le plus “bankable”. Il y a beaucoup moins de place pour les photos un peu plus discrètes, un peu moins fortes et qui sont pourtant nécessaires au rythme et à la narration d’une série.
Qu’est-ce qui, dans l’immédiat, me ferait revenir sur Instagram ? Que l’on supprime les likes ! Ou, moins radical, que les likes deviennent anonymes. Je me leurre peut-être complètement et j’y reviendrai rapidement par conscience professionnelle… ou par des résidus d’addiction bien ancrés dans mes habitudes. Hier, j’ai craqué : j’ai ouvert l’appli depuis le smartphone de mon compagnon, une minute à peine, pour voir qui publiait quoi et qui likait qui.
*Julia est un pseudo.