Street art : sur les murs de Marseille, la résistance ouïghoure se dessine

Publié le par Donnia Ghezlane-Lala,

© Mahn Kloix/Photo : Fabien Calmettes

Le street artiste Mahn Kloix signe une fresque puissante.

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Sur les 200 mètres carrés d’un mur d’opérateur téléphonique à Marseille, un regard domine désormais la ville, signé par le street artiste marseillais Mahn Kloix : celui de Tursunay Ziawudun, une Ouïghoure qui a témoigné sur son calvaire dans les camps chinois.

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Suspendu à ses cordes, l’artiste a réalisé ce portrait sur l’immense façade de ce bâtiment, rue Félix-Pyat, au cœur d’un des quartiers les plus pauvres de la deuxième ville de France. L’œuvre est signée d’un pochoir : “Tursunay Ziawudun, by Mahn Kloix”.

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Aucun message au-delà de ce nom et de ce visage, que l’artiste a peint à partir d’une image tirée d’un documentaire de la BBC où cette femme de 43 ans raconte les viols qu’elle a subis dans un des camps mis en place par le régime chinois dans la région occidentale du Xinjiang, en 2017 d’abord, puis en 2018.

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Plusieurs organisations de défense des droits humains ont accusé Pékin d’avoir interné au Xinjiang au moins un million de Ouïghour·e·s dans des camps, soumettant certain·e·s au travail forcé. Amnesty International a dénoncé des “crimes contre l’humanité”. Pékin dément ce chiffre et parle de “centres de formation professionnelle” pour soutenir l’emploi et combattre l’extrémisme musulman dans cette province qui avait été touchée par des attentats attribués à des Ouïghour·e·s.

Sous un voile en dentelle presque transparent, le regard est doux. La main posée sur la joue, Tursunay Ziawudun semble “regarder vers l’avenir”. “Un de mes défis, explique Mahn Kloix à l’AFP, c’est de parler des choses négatives sans tomber dans le négatif, de toujours donner une image d’espoir.”

Le parcours de cette femme a été “violent”, explique l’artiste de 40 ans, qui a passé deux ans à Pékin, à l’époque où il était encore graphiste et surtout voyageur au long cours. C’est par ce documentaire de la BBC qu’il a découvert le calvaire de Tursunay Ziawudun. “Ça m’a pris aux tripes.”

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“C’est peut-être la cicatrice la plus difficile à oublier”, explique cette survivante ouïghoure, dans son témoignage, en revenant sur ses trois viols collectifs : “Je ne veux même plus que ces mots sortent de ma bouche […]. En fait, leur but est de tous nous détruire”, assène-t-elle, au sujet de la politique du régime chinois à l’égard de la communauté musulmane du Xinjiang.

Femen, “indignados” et LGBTQ+

Avec cette œuvre, Mahn Kloix signe la première étape du MauMa, le Musée d’art urbain de Marseille, initié par l’association Méta2. Objectif final d’ici trois ans : couvrir d’une centaine d’œuvres les murs des quartiers en arrière du port.

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À Marseille, l’art urbain est déjà à l’honneur au Panier, près du Vieux-Port, ou vers la Plaine, quartier bobo-alternatif au cœur de la ville. Mais l’ambition du MauMa est de développer ces anciens territoires industriels et portuaires “complètement enclavés”, expliquait Aurélie Masset, de Méta2, au quotidien La Provence.

Turquie, Chine, Kazakhstan, Laos, Mongolie, Iran, États-Unis : Mahn Kloix a bourlingué pendant des années. À l’époque, il est encore graphiste et arbore des dreadlocks. Il croise les parcours de diverses populations persécutées, mais aussi le combat des Femen ou des “indignados”, à Madrid ou Athènes.

“Ma thématique, aujourd’hui, ce sont les minorités opprimées”, explique-t-il. Sur un mur de Marseille, il peint Nûdem Durak, chanteuse kurde emprisonnée en Turquie. Sur une porte de garage, toujours à Marseille, c’est Ioulia Tsvetkova, militante russe poursuivie pour avoir défendu les droits des femmes et des personnes LGBTQ+. À Eauze, c’est Greta Thunberg, la jeune militante écologiste suédoise.

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À Paris, sur le MUR (Modulable, Urbain, Réactif) d’Oberkampf, un baiser fait scandale, celui de Shaza et Jimena, deux femmes qui ont dû fuir Dubaï, où l’homosexualité est passible de la peine de mort. Avec Tursunay Ziawudun, c’est une autre résistance qu’il met en exergue.

“Peindre ce portrait sur les murs de l’opérateur téléphonique historique en France, dans le pays de la devise ‘Liberté, égalité, fraternité’, le pays qui s’affirme garant des droits [humains] mais qui continue à commercer avec la Chine, ça prend tout son sens !”, plaide-t-il avec ironie.

Konbini arts avec AFP