Des ouvriers égyptiens aux curistes hongrois, les photos humanistes de Sidney Léa Le Bour

Publié le par Lise Lanot,

© Sidney Léa Le Bour

La photographe française expose ses séries truculentes et bienveillantes, entre "Mad Max" et "Charlie et la chocolaterie".

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À Alençon, l’association Regards réunit une dizaine de photographes sous la coupole, inspirée par le toit du Grand Palais parisien, de sa halle au Blé. Sous la lumière naturelle, se côtoient les œuvres, entre autres, de Jean-François Mollière, Guillaume Noury, Élise Llinarès, Edwige Lesiourd et Sidney Léa Le Bour.

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Cette dernière, passée par l’École normale supérieure Louis Lumière après une licence d’architecture, expose deux séries respectivement shootées en Égypte et dans des bains hongrois et azerbaïdjanais.

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L’artiste, attirée par les pays de l’Est, a toujours préféré se frotter directement à la pratique du reportage, le plus souvent à l’étranger, plutôt que de s’attarder sur la théorie :

“Lors de ma dernière année [à l’ENS], au lieu d’écrire un mémoire technique sur un sujet très précis que peu de personnes auraient lu, j’ai choisi de traverser l’Eurasie en auto-stop de Paris à Shanghai.

Ce voyage a duré 8 mois et m’a permis de réaliser une dizaine de reportages qui m’ont conféré davantage de légitimité lorsque j’ai contacté, plus tard, des rédactions et des entreprises pour travailler avec elles.”

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“White Hell”. (© Sidney Léa Le Bour)

Son attrait pour les pays de l’Est a commencé lorsqu’elle était étudiante, pour des raisons financières : “Je m’étais rendu compte que je dépensais moins d’argent en passant deux semaines en Albanie ou en Bosnie qu’en restant à Nantes durant mes vacances.”

Ceci dit, les paysages et les populations de ces pays ont rapidement séduit Sidney Léa Le Bour, au-delà des paramètres pécuniaires :

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“Je me suis tout de suite attachée à ces peuples si proches de nous physiquement et, quoi qu’on en dise, culturellement. Ils ressemblent et vivent tels que nos grands-parents pouvaient vivre. Les architectures aux couleurs pastel et leurs aspects décatis me ravissent. Les vieilles Mercedes et Lada soviétiques sont bien plus attrayantes à mes yeux que les voitures actuelles.

Le caractère de ces peuples numériquement déconnectés, très francs et sans une once d’hypocrisie, est une vraie bouffée d’air frais à l’heure de la surmédiatisation, où tout le monde soigne son image et se construit un personnage.”

La photographe précise que ses meilleurs souvenirs rapportés lors de ses photoreportages ont tout à voir avec les gens qu’elle rencontre. Des travailleurs du calcaire en Égypte aux seniors venus soigner leurs rhumatismes en Azerbaïdjan en passant par des lutteurs turcs, Sidney Léa Le Bour photographie toutes les histoires avec la même intensité et générosité : focus sur deux projets particulièrement intrigants.

Les travailleurs masqués du désert blanc

“White Hell”. (© Sidney Léa Le Bour)

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Pour sa série White Hell, elle a partagé, le temps d’une série photo, le quotidien d’ouvriers égyptiens esquintant leur santé sur les champs de calcaire d’Al-Minya :

“Suite à un travail de portraits réalisé à Pamukkale, une colline recouverte de calcaire extrêmement touristique en Turquie, j’ai cherché sur Internet d’autres lieux dans le monde où l’on pouvait retrouver cet environnement si particulier. Lorsque j’ai découvert l’existence d’Al-Minya en Égypte, j’ai tout de suite pris mes billets d’avion.”

Les travailleurs, couverts des pieds à la tête, apparaissent comme des héros de cinéma au milieu de terrains infiniment blancs, si éclatants qu’on ressentirait presque la nécessité de se couvrir les yeux.

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Quelques mois plus tard, elle partait en Indonésie immortaliser des ouvriers dans des mines de soufre, dressant ainsi un parallèle entre ces problématiques de conditions extrêmes de travail, “un problème mondial et pas seulement local” précisait-elle pour Wertn.

“White Hell”. (© Sidney Léa Le Bour)

Bains de pétrole, sanatoriums, “corps mous et froissés”

À ces images éclatantes répondent, à Alençon, des photographies aux teintes froides, bleutées ou marron, prises dans des bains thermaux et des sanatoriums à Budapest, en Hongrie, et dans le village de Naftalan, en Azerbaïdjan. Estimant que les “lieux de bien-être, aux décors tantôt désuets, tantôt surréalistes, sont trop peu documentés”, elle s’est intéressée à des soins assez particuliers.

En Azerbaïdjan, les clients du “Miracle Health Center” se trempent dans des bains de pétrole, composé à 50 % de naphtaline et donc trop lourd pour servir à l’industrie automobile.

“Masque à l’or noir” extrait de la série “Petroleum Spa”, Naftalan, Azerbaïdjan, 2014. (© Sidney Léa Le Bour)

Bien que la naphtaline soit “un hydrocarbure susceptible d’être cancérigène”, les centres ne désemplissent pas : “Amusée et intriguée par ces corps mous et froissés qu’on ne photographie jamais, je me suis rendue en Ukraine, en Azerbaïdjan, en Hongrie et en Turquie pour illustrer cette diversité.”

Avec bienveillance, Sidney Léa Le Bour s’attache à retranscrire en image l’humanité de ces individus qui tentent par tous les moyens d’appréhender le temps qui passe et ceux qui risquent leur santé à gagner leur vie.

“Baths”, Budapest, Hongrie, 2014. (© Sidney Léa Le Bour)
“Abandon” extrait de la série “Baths”, Budapest, Hongrie, 2014. (© Sidney Léa Le Bour)
“Spectre” extrait de la série “Petroleum Spa”, Naftalan, Azerbaïdjan, 2014. (© Sidney Léa Le Bour)
“Immersion” extrait de la série “Petroleum Spa”, Naftalan, Azerbaïdjan, 2014. (© Sidney Léa Le Bour)

Vous pouvez retrouver le travail de Sidney Léa Le Bour sur son site et sur son compte Instagram. L’exposition “Regards 2019” est visible à la halle au Blé d’Alençon jusqu’au 7 avril 2019.