“Mais au fait, comment t’as eu l’idée de peindre sur l’herbe ?” Voici une question qu’entend fréquemment Saype, aka Guillaume Legros, artiste autodidacte de 29 ans. Ce natif de Belfort, désormais installé en Suisse, évolue dans le monde du graffiti depuis l’âge de 14 ans, et a participé à une exposition de galerie pour la première fois à 17 ans. Avide de tester de nouvelles techniques, Saype commence à s’intéresser au land art en 2013 :
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“Je voulais inventer un truc novateur. Ayant un passé de graffeur, j’étais déjà habitué à peindre sur un support. Donc j’ai essayé d’appliquer de la peinture classique sur une surface d’herbe, et à la suite de cet essai, j’ai mis une bonne année à en confectionner une 100 % biodégradable avec des pigments naturels.”
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Au fil des expositions et collaborations diverses, ce pionnier de la peinture sur gazon suit toujours la même méthodologie : checker la surface, élaborer un motif, placer des marquages, réaliser une fresque et enfin capturer le tout en photo via un drone. Depuis le début de sa carrière, Saype a peint dans plus de 20 villes, dont Genève, Vevey, Leysin, mais également au Luxembourg et à Buenos Aires. Très attaché à la notion d’écologie, l’artiste confie :
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“L’essence même de mon travail, c’est de pouvoir marquer les esprits par le gigantisme de mes œuvres, mais sans que l’environnement n’en soit victime. Ce qui est intéressant, c’est que l’œuvre est en perpétuelle évolution en raison de mon terrain de jeu : la nuit venue la nature reprend ses droits et l’herbe repousse sur la peinture, il faut donc constamment s’adapter.”
Guillaume a l’habitude de représenter des personnages humains car ses œuvres renvoient principalement à nos interactions avec la nature :
“Au Luxembourg, on a réalisé une fresque qui représentait une petite fille qui plante un arbre. Afin de créer une cohésion réaliste, on a vendu des graines à prix libre pour soutenir le projet, et reversé les bénéfices à une association qui plante des arbres partout dans le monde.”
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Celui qui puise son inspiration dans les œuvres de Vhils, Conor Harrington ou encore de William Turner (le précurseur anglais de l’impressionnisme) doit souvent faire face à diverses contraintes lors de la réalisation de ses projets :
“Ce qui me fait kiffer dans ce travail, c’est que chaque réalisation constitue un challenge de malade à mettre en place. Avec mon équipe, on doit bosser vingt heures par jour. C’est beaucoup, mais on est obligé de charbonner en fonction de la météo.”
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En effet, Saype doit composer avec les caprices du climat :
“On a quatre jours pour faire un projet : s’il pleut deux jours, c’est juste le méga rush. Ça m’est déjà arrivé de finir le taf de nuit à la lampe frontale, par exemple. Pour faire face aux averses, j’utilise une glu que j’applique sur la peinture une fois sèche pour la protéger – c’est un mélange naturel à base de caséine, la protéine du lait.”
En Colombie, ces petites galères ont pris une tout autre dimension :
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“Là-bas, j’ai dû boucler le projet en deux jours tant l’herbe poussait vite – environ 5 centimètres par jour, c’est énorme ! Sans oublier le climat tropical qui alternait entre chaleur extrême et orage violent : c’est pas l’idéal pour bosser, mais on s’adapte.”
À Leysin, Saype a dû faire face à un imprévu de taille :
“En 2016, j’ai eu le droit à une colonie de taupes qui est venue dégommer le visage du personnage de mon œuvre le jour de la conférence de presse ! Du coup, on a refait dans l’urgence le visage du pauvre pêcheur.”
Saype expose actuellement ses œuvres au sein du musée POPA de Porrentruy et va bientôt s’attaquer à la pelouse du Champs de Mars, après avoir soumis son projet à la ville de Paris :
“Il y a trois ans, j’avais dit à mon équipe que j’allais repeindre le Champ de Mars. À l’époque, personne ne m’avait cru. En 2018, j’ai collaboré avec la branche suisse de l’association SOS Méditerranée. De fil en aiguille, j’ai été mis en relation avec Anne Hidalgo car elle a contribué aux aides financières de la structure.”
Pour son projet Beyond Walls, Saype va donc travailler sur la plus grande surface de sa carrière :
“La réflexion derrière ce gigantesque travail, c’est de se poser la question du monde dans lequel on veut vivre demain. J’ai eu un déclic en regardant un documentaire sur le mur que veut construire Trump à la frontière mexicaine. 15 milliards de budget : avec autant d’argent, tu renfloues les caisses du Mexique au lieu de construire un mur !
C’est vraiment un truc qui me dépasse. Par les temps qui courent, il y a une partie de la population qui choisit de se replier sur elle-même alors que c’est ensemble qu’on peut résoudre les problèmes. L’objectif continu de Beyond Walls c’est de poursuivre le projet de ville en ville, telle une immense chaîne humaine.”
Véritable hyperactif, Guillaume déborde de projets : “Mes spots de rêve seraient Ellis Island et Liberty Island, avec la Statue de la Liberté !” En attendant, en magnifiant sans cesse notre belle planète, Saype contredit le dicton qui dit que l’herbe est toujours plus verte ailleurs.