Marianne Maric revisite à sa manière le mystère des “femmes fontaines”. Loin du faste romain de Fellini, elle utilise les rues mulhousiennes comme un studio géant et mélange érotisme et humour dans un cadre urbain dépouillé et bétonné.
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Marianne Maric est une photographe française d’origine serbe, vivant entre Mulhouse et Paris. Depuis ses débuts dans la photo en 1999, munie à l’époque du vieux Pentax de sa mère, elle fait poser les filles : la fille de la voisine de son HLM, une copine maigre aux grands yeux clairs ou encore une brune bien en chair. Marianne est timide donc elle ne peut travailler que dans l’extrême proximité.
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Toutes les femmes que l’on retrouve sur son compte Instagram sont des amies, de drôles de plantes qui ont poussé dans les banlieues alsaciennes ou les ruines de Sarajevo. Fausses femmes-objets sur talons hauts, nymphes exhibitionnistes, mères nourricières au téton percé, c’est avec toutes ces filles qu’elle explore des thèmes presque mythologiques de la féminité.
Cheese : Quand et comment as-tu commencé la série sur les femmes fontaines ?
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Marianne Maric : En 2013, je regardais avec suspicion de nouvelles fontaines implantées dans Mulhouse. Un simple jet d’eau jaillissant en circuit fermé, ça m’évoquait une éjaculation architecturale. La série n’est pas vraiment achevée, elle est toujours en cours. J’aimerais aussi faire un film sur les femmes fontaines et les sourciers (les hommes qui font jaillir le fameux fluide des femmes).
Quand on voit tes images, on se sent très loin de la fontaine de Trévi et de la diva Anita Ekberg. Où ces photos ont-elles été prises ? Est-ce que cette série est un pied de nez à la représentation “ornementée” de la femme fontaine dans La Dolce Vita ?
Cette série est sans doute un clin d’œil à La Dolce Vita qui est un film que j’aime beaucoup, en aucun cas une critique. Pour moi La Dolce Vita est partout, dans la rue, il suffit de mettre son œil dessus : une vieille fontaine, une fille, un chaton, et c’est parti !
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Blague à part, les références classiques font partie intégrante de mon travail. Comme je fais beaucoup de nus, il est évident qu’on retrouve l’influence d’Ingres, Henner ou Courbet dans mes photos ; par contre je réinterprète le tout avec des choses simples du quotidien. Des robes de merde de chez Emmaüs, je les transforme en robes de créateurs, mes amies (des filles normales), je les transforme en mannequins, en les maquillant ou pas, à l’arrache.
Ma force, c’est de faire avec ce que j’ai, là en l’occurrence c’est un jet d’eau dans une rue craignos et une copine pas vraiment bien habillée. C’est avec ce genre d’éléments que j’agis.
Au fond, est-ce que l’éjaculation féminine t’intéresse ou est-ce un prétexte pour montrer une des faces cachées de la sexualité féminine ?
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C’est la mythologie et le mystère autour de la sexualité féminine qui m’intéresse. Il y a une peinture que j’aime beaucoup qui est au musée du Prado à Madrid : Le Miracle de la lactation de Saint-Bernard. On y voit une vierge qui pince son sein et produit un jet de lait fort et dense qui atterrit directement sur la bouche de Saint-Bernard.
C’est le don ultime, le don fait à tous les hommes. Pour le cas des femmes fontaines, il s’agit aussi d’un jet qui sort du corps de la femme non pas dans un contexte de don mais d’abandon. Les deux pouvant être ralliés à une forme de mysticisme. Dans les deux cas, il s’agit de liquides mystérieux que la femme recèle. Toute cette mythologie m’inspire beaucoup.
Qui sont tes femmes fontaines (tes modèles) ? Comment se déroule un shooting avec toi ?
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En général, ce sont mes amies et mon entourage proche. Mais, dans le cadre de collaborations, il y a eu des chanteuses (Olivia Merilahti de The Dø ou Lydia Lunch, par exemple) et aussi des mannequins. Je ne suis jamais sûre de ce que je vais shooter.
Je “sens” les choses et je suis mon instinct. Il y a deux aspects dans mon travail : les photographies prises sur le vif et non réfléchies, comme La Voie lactée (ci-dessus, où l’une de mes amies asperge son café d’un jet de lait maternel), et des mises en scène où j’imagine un peu les choses à l’avance, inspirées par des lieux, des objets, des personnes.
Et puis selon les endroits où je me trouve pour des projets ou des résidences, je demande à des filles de poser. En résidence en Bosnie, j’ai pris des filles qui ont vécu la guerre pour poser dans des endroits minés.
Les femmes de la série des femmes fontaines sont plutôt habillées, tout au plus un brin dénudées, et pourtant la référence à l’éjaculation féminine est évidente. L’érotisme semble mieux te convenir que le pornographique, n’est-ce pas ?
Oui sans doute, je trouve que c’est beaucoup plus difficile de créer un “malaise”, une émotion chez le spectateur, que de montrer directement une chatte. C’est facile ça.
Dans ma série, il y a une référence ironique, drôle, dérangeante de réalisme. Quand Jerry Saltz (critique d’art pour le New York Magazine) m’a demandé s’il pouvait faire un repost d’une des femmes fontaines alors que techniquement “on ne voit rien” sur la photo, j’ai trouvé ça super ! Et oui pour l’érotisme ! Ça me va bien, j’aime beaucoup Emmanuelle !
Qui sont les femmes qui t’inspirent ?
Gerda Taro, Agnès Varda, Schiaparelli, Vivienne Westwood, et toutes les anonymes.
Et les hommes dans tout ça ?
Ils m’inspirent aussi, mais ils me font plus peur. Quand je photographie quelqu’un, je donne tout, c’est moi qui me mets à nu et non pas mon modèle même si c’est lui ou elle qui est à poil. Et comme je suis timide, je suis plus gênée quand je shoote un homme. Mais je me soigne !