Peut-être connaissiez-vous déjà ses portraits de célébrités, mais avec cette exposition, Nikos nous révèle une tout autre facette de son talent.
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L’Épreuve du Temps, c’est une sélection de 28 photos exposées sur les grilles du palais Brongniart jusqu’au 17 février 2017. Vous pouvez y rencontrer des anonymes de Grèce et d’ailleurs, des histoires capturées avec délicatesse. Certaines de ces photographies ont déjà été exposées à Lyon lors d’une première exposition. L’aventure tient à la rencontre, presque hasardeuse, entre Nikos et la commissaire d’exposition Patricia Houg.
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C’est par la voie de la radio que la galeriste entend pour la première fois Nikos parler de sa passion pour la photographie. Au printemps 2016, il fait la promotion de sa toute première exposition, Corps & Âmes, et pique la curiosité de l’esthète qui fait quelques recherches, et découvre un œil sensible… Entretien comme une parenthèse hors du temps, entre anecdotes et philo-photo.
Cheese | Qui a eu cette idée d’exposer à l’extérieur ?
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Nikos Aliagas | C’est Patricia Houg qui a voulu ça. C’est une femme d’une finesse et d’un esthétisme absolument remarquables. Moi je suis un impulsif, je fais ce que je ressens et elle, elle a la méthodologie, c’est la somme des deux qui fait que ça a marché. J’ai mis une petite condition, je voulais des tirages qui soient à la hauteur de ce que j’attends de la photo argentique.
Je voulais que ce soit fort. Dans la rue, tu es à la merci de n’importe qui et tu ne sais pas à quoi t’attendre. La rue, c’est un rendez-vous de vérité qui est aussi intime, voire plus intime pour moi que présenter une émission devant des millions de téléspectateurs.
Une question très subjective m’est venue en voyant le titre de l’expo : comment la culture de la Grèce éternelle a façonné ton regard, ta sensibilité ? Est-ce que cela t’a rendu particulièrement sensible à une forme de beauté intemporelle ?
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Les Grecs sont assez philosophes en général, il y a toujours un petit pas de côté dans la discussion. Ils ont de grandes théories sur tout et je crois que la philo, c’est dans leur ADN, réellement. Donc ça, je n’ai pas de mérite. C’est de la bonne logique avec un brin de philosophie, pas une philosophie de comptoir mais une philosophie de vie. Quand tu vis des choses un peu extraordinaires dans ta vie professionnelle, soit tu succombes au chant des sirènes, soit tu te souviens qu’Ulysse s’est attaché au mât. Ce que m’ont appris les anciens, c’est l’expérience, de ne pas avoir peur, de ne jamais dire non. Ne pas avoir peur de descendre dans l’arène, là où les autres te disent qu’il ne faut pas aller. Ne pas avoir peur de discuter à la fois avec celui qui n’a rien et le Prince.
Pour moi, la démarche photographique met tout le monde d’accord, parce que tout le monde est logé à la même enseigne : c’est l’humain qui m’intéresse, c’est de pouvoir discuter avec des gens de lumière, des artistes, essayer de comprendre leur vérité, et en même temps discuter avec la dame qui vit en bas de chez toi et qui fait des crêpes au coin de la rue. Il y a une philosophie qui est à la fois innée, et j’ai une prédisposition à ne pas croire que tout cela m’appartient dans l’absolu, ne pas croire que la vie est nécessairement ce que tu vois, elle est ce que tu ressens. À partir de là, je m’adapte, c’est l’art de l’adaptation et la photo passe par là.
On pourrait presque trier tes photos en deux grandes familles : il y a les mains et les yeux. As-tu conscience qu’on te voit dans quasiment tous les regards des sujets que tu as photographiés, comme si tu te cherchais dans leurs yeux ?
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A posteriori, oui. C’est ce que disent les grands photographes, que le photographe est celui qui se cherche dans les yeux des autres. Au début, ça ne me parlait pas. Je me disais que c’était les autres que j’essayais de trouver. Et puis finalement avec le temps… Quand tu développes la photo et qu’elle est sur 2-3 mètres, là tu te vois. On est le miroir de l’autre, et est-ce qu’on existe seulement à travers les autres ?
Ça, c’est le problème de la notoriété pour moi. Mais non, tu existes avec les autres et être dans la pupille des gens que j’ai accompagnés, cela veut dire que je fais un bout de chemin avec eux. Les gens que tu photographies, c’est ta conscience. C’est-à-dire que tu te demandes : “Est-ce que je peux honorer l’instant de cet homme qui n’a peut-être pas grand chose mais qui a sa dignité, et son point de vue ?” Je passe du temps avec eux et ça atteste quand même que c’est moi qui ai pris la photo, par extension ! [rires]. Pour le coup, ça fait vraiment partie de la tradition grecque ça : les yeux sont les miroirs de ton âme.
Finalement, qu’est-ce que tu espères apporter à tes sujets par le geste photographique ?
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Une immortalité. Au sens presque littéral du terme parce que le vieux monsieur, qui joue de sa cornemuse, est mort après. Je ne le savais pas et je l’ai su par un internaute ! Je me suis dit que quelque part, alors qu’on s’est rencontrés par hasard dans la rue, cet homme et moi avions rendez-vous. Que c’était écrit comme ça, donc je lui offre une sorte d’immortalité. Par le simple fait d’en parler, c’est comme s’il renaissait.
Et du respect, tu respectes ceux à qui la société ne donne plus grand chose, ceux qui n’ont pas besoin de la reconnaissance médiatique pour exister mais de la reconnaissance du cœur. Ce sont souvent des gens seuls qu’on n’écoute plus, personne ne s’intéresse à eux.
Est-ce que tu te placerais dans une sorte d’héritage, de continuité de la photographie humaniste d’un Robert Doisneau ou d’une Sabine Weiss ?
Alors, artistiquement, je suis incapable de répondre à cette question. C’est justement l’épreuve du temps qui nous dira. D’un point de vue d’amateur de photographie, évidemment, je suis ému par la photographie des humanistes comme Salgado… Donc oui, je suis peut-être influencé par ces gens-là, mais je ne revendique pas une influence directe. En tant que spectateur, mes premières émotions viennent de là, comme de mecs qui ont su photographier les mains, comme Irving Penn avec les mains de Miles Davis. Parce que les mains sont la continuité de ce que tu es, et elles disent ce que ne disent pas tes mots, ce que ne dirait pas ton visage parce que c’est un masque social.
Quelles traces laisse le temps sur les mains qu’il ne laisse pas dans les yeux ? Qu’est-ce qui est différent ?
Les mains ne clignent pas ! Les mains, tu ne peux pas trop les cacher, l’œil que tu as, c’est l’œil de ta naissance. C’est ce qui regarde et c’est ce qui porte l’invisible de ce que tu es. Tout le reste ne me dit pas comment est ton âme, tes yeux me disent qui tu es et tes mains comment tu vis. Donc, il y a une différence. Tu ne peux pas cacher l’intention de ton regard, et ce que tu auras fait sera également visible sur tes mains. Je pense aux ancêtres après, c’est fascinant, on a les mêmes mains et je me demande pourquoi elles ne changent pas…
Pour rebondir, je vais emprunter des mots à Christian Dior : “Le noir et le blanc pourraient suffire. Mais pourquoi se priver de la couleur ?” Alors, pourquoi ?
Parce qu’on rêve peut-être en noir et blanc, j’ai le souvenir de mes rêves mais pas des couleurs. Parce que le noir et blanc, c’est de la nuance, je vois des dégradés de gris. Le noir et blanc aussi, parce que j’ai passé ma vie à observer en noir et blanc, j’ai grandi avec la télé en noir et blanc, parce que les photos de mon enfance étaient en noir et blanc. Mes premiers émois photographiques sont des photos de mes parents jeunes. Je pense que pour moi, c’est de l’ordre de l’intime. Et ensuite, je m’auto-limite en me disant que le noir et blanc c’est plus dur mais qu’au moins, le cadre dira l’essentiel et je ne veux pas essayer de charmer avec autre chose que le cadre, que la nuance.
Tu travailles comment, avec quel matériel ?
En focale fixe, la plupart du temps. J’ai un Hasselblade qui est un moyen format de 45 mm avec focale fixe. C’est Capa qui disait : “Si la photo n’est pas bien, c’est que t’étais pas assez près.” Mais pour entrer, il faut demander l’autorisation à son sujet. On ne la demande pas de façon formelle, mais je viens de comprendre quelle est sa vérité, son humanité. Ces phrases paraissent un peu abstraites, un peu pittoresques mais tu passes autant de temps à décoder, ouvrir une porte avec les yeux qu’à prendre une photo avec l’appareil.
Quelles sont les qualités d’un bon portraitiste justement ?
La lumière peut-être. Et essayer de deviner ce que ne dit pas la photo. J’essaie d’observer les gens, non pas en faisant de la psychologie de bas étage, mais on ne se tient jamais par hasard, on ne porte pas les choses par hasard, tout a du sens… Le miroir, ça m’a aidé. Je demande au sujet “Qui vois-tu ?”, et là, clac ! Je vois ce que la personne pense d’elle et je photographie.
Qu’est-ce que tu aimerais qu’on voit sur une photo de toi ?
Bonne question ! Le regard des miens quand je ne serai plus là, l’appartenance à quelque chose. “On l’a en nous, et je les ai en moi aussi.”
Le temps restera ton fil d’Ariane ou tu travailles sur d’autres axes de réflexion ?
C’est toujours le visible et l’invisible qui m’intéressent. Je photographie des choses auxquelles on ne fait pas forcément attention. J’ai besoin d’être ému, si je n’ai pas d’émotions, je n’y vais pas. Moi aussi, j’aurais envie de les photographier ces gens qui arrivent par milliers sur les côtes grecques, mais j’aurais trouvé ça obscène de faire ça alors que la veille, je présente une émission de télé.
Je me fixe des limites, des limites d’éthique. Ce qui me fascine, c’est le futur antérieur d’une photographie : une photo vieillit avec toi. C’est la conscience que tu mets dans une photographie, c’est la conscience des gens qui m’intéresse. Donc le temps est venu naturellement. J’ai le sentiment que le temps n’est pas linéaire, c’est très intuitif. Quelque part, la photo fait que tu arrives à le fixer. C’est pas le côté reportage qui m’intéresse. Pour moi, photographier, c’est se souvenir de la vie tout simplement, et photographier des gens qui sont un peu marqués, c’est pour comprendre leur vie.