“J’étais au bon endroit au bon moment, et avec les bonnes personnes.”
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James Brown, Françoise Hardy, Johnny Hallyday, Stevie Wonder, Michel Berger, Sylvie Vartan, les Rolling Stones, les Beatles, France Gall… De 1959 à 1971, ils sont tous passés devant l’objectif de Jean-Marie Périer, photographe pour le magazine Salut les copains. Alors qu’une exposition lui est actuellement consacrée à la Grande Arche de la Défense à Paris jusqu’au 3 mars, il revient sur sa carrière bourrée d’anecdotes et de clichés cultes.
Cheese | Cette exposition contient une centaine de photos inédites. Pourquoi ne les a-t-on pas vues auparavant ?
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Jean-Marie Périer | Ça m’étonne moi-même pour être honnête. Je n’ai jamais eu mes archives entre les mains, elles sont toujours restées soit dans le groupe Filipacchi, auquel appartenait le magazine Salut les copains, soit dans une agence qui s’occupe de mes photos. Je les ai récupérées et ai passé tout mon été à les regarder une par une. Il y en a un bon tiers que j’avais complètement oublié, je ne me rappelais même pas qu’elles existaient.
Quel regard avez-vous porté sur ces photos quand vous les avez redécouvertes ?
Il faut bien comprendre qu’on n’a pas du tout le même œil à 25 ans qu’à 79 ans. Il y a des choses qui me paraissaient normales et qui ne me plaisent plus. Quand je vois un téléphone d’époque, par exemple, j’ai l’impression de regarder une photo des années 1930, ça me fait un drôle d’effet.
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Ça fait vingt ans que je fais des expositions, souvent avec les mêmes photos : je sais lesquelles plaisent aux gens. Je ne fais pas d’expos pour faire monter ma cote ou pour être célèbre. Soyons honnêtes, j’ai déjà les deux. Je le fais pour faire plaisir aux gens. On s’en tape de mon art, ce qui compte, ce sont ceux qui sont sur les photos. Je les ai rencontrés par chance dans les années 1960-1970, j’étais au bon endroit au bon moment, et avec les bonnes personnes.
Votre carrière a donc débuté grâce à la chance ?
Oui, je travaillais avec Daniel Filipacchi à partir de 1956 chez Marie Claire. Il m’a embauché en trois minutes. Je n’avais jamais fait de photo, j’avais 16 ans, physiquement j’en faisais 12, et il me prend comme assistant pour faire des photos dans son magazine de jazz. Il me dit : “Tiens, prend un appareil, tu pars sur la tournée de Dizzy Gillespie et Ella Fitzgerald.”
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Je me retrouve avec des photographes professionnels autour de moi, avec tous ces artistes que j’admirais. J’ai 16 ans, et je suis en train de photographier Miles Davis, qui est mon idole absolue. Ça démarrait plutôt bien. D’ailleurs, c’est injuste pour les jeunes gens d’aujourd’hui qui ont un mal de chien à trouver du boulot, surtout en tant que photographe.
Mais le métier de photographe que j’ai connu n’existe plus désormais. Je n’avais aucune limite de moyens, ni d’imagination. Pendant douze années, je rencontre toute cette génération de jeunes chanteurs fascinés par les États-Unis, et qui prennent des noms américains. Johnny Hallyday, Eddy Mitchell, Dick Rivers…
“Ça n’était pas l’Amérique que nous aimions, c’était les films américains”
L’Amérique vous faisait tous rêver ?
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À l’époque, c’était le rêve absolu. Bon, aujourd’hui, ça ne l’est plus. J’ai vécu aux États-Unis dans les années 1980, et j’ai compris au bout d’un moment qu’on s’était tous fait avoir. Ça n’était pas l’Amérique que nous aimions, c’était les films américains.
Beaucoup de vos clichés sont ancrés dans la pop culture, notamment la photo des Beatles où ils allument tous une cigarette en même temps. Comment s’est passée cette séance ?
C’était en 1964. Je leur ai donné à chacun une cigarette et un briquet. J’ai demandé à l’assistante d’éteindre la lumière et dit aux Beatles d’allumer les cigarettes. “Clic-clac, merci Kodak”, on rallume la lumière, au revoir messieurs. À l’époque, je parlais très mal l’anglais, mais je voulais qu’ils se souviennent de moi. Et pour cela, il fallait une bonne idée. Ils s’en sont souvenus, et j’ai pu travailler avec eux durant cinq ans.
Vous auriez aimé avoir les outils photographiques disponibles aujourd’hui ?
Je ne crois absolument pas à la petite guéguerre entre argentique et numérique. Il faut essayer les nouvelles technologies, toutes. Après, on les adopte ou on les rejette, peu importe, mais ne pas faire cela, c’est une connerie. C’est vrai que les photographes qui démarrent avec le numérique font 100 photos alors que j’en faisais vingt.
Mais ça n’a rien changé, j’ai fait du numérique tout en continuant à faire vingt photos puisque toutes celles que je prenais étaient préparées à l’avance. Elles étaient mises en scène. Je me fous de la réalité, ça ne m’intéresse pas, il y a de très bons photographes pour ça. Moi, je mens. Pour en revenir au numérique, j’ai une théorie : ce sont les industriels qui inventent les artistes.
C’est-à-dire ?
Avant, on bossait avec des Leica, on prenait la photo en regardant à travers un carré. Mais quand Nikon met au point le reflex, ils inventent des milliers de photographes. D’un coup, on change la façon de faire, et des types font de la photo grâce à cela. Steve Jobs a inventé des millions d’artistes, par exemple. Je dis toujours aux jeunes gens de tester toutes les nouvelles technologies possibles. Les puristes, ce sont des cons prétentieux qui vivent dans le 7e arrondissement. Dans lequel je vis, d’ailleurs [rires].
Vous démarrez votre carrière sans formation, sans expérience, mais est-ce que vous avez tout de même une certaine intention artistique ?
Aucune. J’étais musicien depuis l’âge de cinq ans, je composais, je jouais du jazz et du classique. J’ai arrêté à 16 ans lorsque j’ai appris que mon père n’était pas mon père, que mon géniteur était en fait noir et musicien. C’était un grand artiste qui faisait d’abord du jazz, puis il a fait le clown. Tu marqueras son nom, moi, je ne le prononce plus parce qu’il s’est très mal conduit [il s’agit en fait d’Henri Salvador, ndlr].
Je me foutais qu’il soit noir, mais qu’il soit musicien, c’était un problème. J’étais le seul musicien de la famille, et j’ai compris que je tenais cet attrait pour la musique d’un homme que je n’avais pas connu. J’ai refermé le piano, et je ne l’ai plus jamais rouvert. Vu que je ne foutais plus rien à l’école et que je n’étais pas au mieux psychologiquement à cause de cette histoire, mon père m’a présenté à Paris Match.
Dans les années 1950, les photographes de Paris Match étaient les dieux du stade, les rois de la piste. Ils se tapaient des princesses, ils faisaient des guerres et ils roulaient en Ferrari. C’était des aventuriers. C’est là que je rencontre Daniel Filipacchi. J’ai ensuite fait de la photo pendant seize années au plus près des meilleurs musiciens du monde.
En voyant vos photos, on a l’impression les chanteurs de cette génération, les Françoise Hardy, Michel Berger, Sylvie Vartan ou Eddy Mitchell, sont des gens dont le métier consiste non seulement à faire de la musique, mais aussi à poser pour les magazines…
Ça dépend lesquels. Beaucoup n’étaient pas à l’aise. Françoise Hardy, qui est certainement la plus belle personne que j’ai jamais photographiée, n’aimait pas cela. Elle avait quelque chose de très troublant, c’est qu’elle était belle mais qu’elle ne le savait pas. Elle ne s’aimait pas du tout. C’est magique, fascinant. J’en suis tombé raide dingue de suite. Les artistes ont toujours aimé travailler avec moi parce que je vais très vite. Il n’y a rien de plus insupportable qu’un photographe lent. C’est affreux d’être photographié.
Vous imaginez des mises en scène, des postures parfois inhabituelles… Ils se prêtaient facilement au jeu ?
À l’époque, ces artistes avaient entre 17 et 20 ans, c’était des mômes, des prolos qui se retrouvaient en haut de l’affiche du jour au lendemain avec du pognon qui leur tombait sur la tronche. Ma chance, c’est que je connaissais les coulisses de la célébrité, je savais ce qu’ils s’apprêtaient à vivre.
Chez mon père, l’acteur François Périer, il y avait tous les artistes du monde qui venaient. Je n’essayais pas de leur ressembler. J’en voyais aller photographier Bob Dylan et revenir quelques jours après coiffés et habillés comme Bob Dylan. Jamais je n’ai fait ça. Moi, j’avais une cravate. Je trouve déplorable les photographes qui sont prêts à enlaidir des gens pour que l’on reconnaisse leur style. Si je fais une photo de quelqu’un, je fais en fonction qu’il soit mis en valeur, quitte à changer de style en fonction de la personne.
Les choses étaient plus informelles à l’époque ?
Les chanteurs ne faisaient pas attention à leur image, ils ne savaient même pas qu’ils en avaient une. Ça a changé par la suite. Surtout, il n’y avait pas autant de monde autour d’eux. J’appelais Mick Jagger, je lui disais : “Qu’est-ce que tu fous la semaine prochaine ?” On avait le même âge, on vivait la même chose, je vivais dans leurs suites… Ils n’avaient peur de rien et ils ne se prenaient pas au sérieux.
Aujourd’hui, les gens ont peur de tout. Je ne fais plus de photo d’artistes parce que maintenant, tu prends la photo, elle apparaît sur un grand écran dans le studio, et tu as dix mecs qui se ruent dessus pour te dire ce qu’il faut retoucher. Je n’ai jamais retouché une photo à l’époque, personne ne m’a demandé de voir les clichés avant qu’ils ne paraissent.
N’était-ce pas dû à votre statut dans le milieu, qui inspirait confiance ?
Non, ça n’était pas mon statut, c’était celui du journal Salut les copains, qui était un passage obligé pour eux. C’était le seul en Europe. La première fois que je photographie les Beatles, juste avant qu’ils ne deviennent les plus grandes stars du monde, c’est leur manager Brian Epstein qui demande qu’ils soient dedans.
Vous avez aussi photographié beaucoup de grands musiciens américains comme James Brown, Stevie Wonder ou Chuck Berry, mais aussi Steve McQueen…
Oui, c’était en Espagne. C’est la seule personne, dans toute ma carrière, avec laquelle ça s’est mal passé. J’avais un rendez-vous d’un quart d’heure, comme souvent avec les Américains. Bon, James Brown, j’avais aussi un quart d’heure, mais vu qu’il aimait bien mes cheveux, il m’a laissé rester une semaine chez lui. Avec Steve McQueen, j’avais rendez-vous à 9 heures à son hôtel, il était sur un tournage.
J’arrive, il ne m’adresse pas la parole, il prend son petit-déjeuner sans m’offrir un café, il ne dit rien, et il s’en va. Je reviens le lendemain : pareil. Le surlendemain : pareil. Et le jour d’après, il prend son petit-déjeuner, d’un coup, il me regarde et me dit : “Tu as quatre minutes.” Ça a duré à peine trente secondes, et on s’est tirés.
Gardez-vous un œil sur les photos de musiciens que l’on peut voir aujourd’hui ?
Ça ne m’intéresse pas beaucoup. Je vis dans l’Aveyron, je fais des expos, j’écris des livres, je donne un spectacle sur scène, mais je n’ai jamais été vraiment intéressé par la photographie. J’ai changé de vie tous les dix ans. Je le recommande vivement aux jeunes. Ne vous laissez pas enfermer dans un seul métier, n’écoutez personne, surtout pas les vieux. Et ne vous mariez pas trop tôt.
“Souvenir d’avenir”, exposition de Jean-Marie Périer, à la Grande Arche de la Défense (Paris), à voir jusqu’au 3 mars 2019.