On ne peut pas dire que la photographe américaine Akasha Rabut n’a pas la bougeotte. Elle a vécu, entre autres, à San Francisco, Los Angeles, Honolulu, Chicago et New York. Malgré ses allées et venues entre ces différentes villes, elle l’affirme sans ambages : la Nouvelle-Orléans est “de loin l’endroit le plus inspirant” dans lequel elle a vécu.
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Et elle n’est pas la seule à raffoler de cette ville qui fait figure d’exception aux États-Unis. Sa richesse vient, entre autres, de sa nourriture, la “soul food”, sa culture de la fête et sa musique, puisque le jazz, le blues et de multiples fanfares emplissent ses rues sans interruption. C’est à tout cela qu’Akasha Rabut rend hommage dans ses photographies et, plus que tout, elle met en lumière les habitant·e·s, si fier·ère·s de leur ville. Son livre Death Magick Abundance est une ode, vibrantes de couleurs et d’énergie, à la Nouvelle-Orléans.
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Akasha Rabut raconte avoir senti qu’elle voulait être une artiste dès ses 5 ans. Au lycée, elle photographie ses camarades et rejoint l’équipe qui gère le “yearbook” (l’annuaire rempli de photographies et de petits mots des élèves et des professeur·e·s) de son établissement, afin de commencer à professionnaliser sa pratique de la photo. À la fin du lycée, elle passe le plus clair de son temps dans une chambre noire à développer ses images : “Je suis devenue complètement obsédée par la prise d’images et je n’en avais jamais assez”, résume-t-elle.
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Devenue adulte, la photographe a continué de se plonger dans les quotidiens d’autres passionné·e·s, qu’il s’agisse d’une fanfare lycéenne, à travers sa série Edna Karr, ou d’un club de fans de la moto, les Caramel Curves. Nous avons eu la chance de poser quelques questions à la photographe, afin qu’elle nous raconte son amour pour les cultures de la Nouvelle-Orléans ainsi que son processus de création, notamment concernant sa rencontre avec les lycéen·ne·s de la fanfare.
Konbini arts : Bonjour Akasha, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur la Nouvelle-Orléans et ton rapport à la ville ?
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Akasha Rabut : J’ai déménagé à la Nouvelle-Orléans en 2010 et j’y vis toujours. La ville a été l’un des endroits qui m’a le plus influencée dans ma vie […]. La Nouvelle-Orléans est la ville la plus caribéenne du Nord. C’est un melting-pot de cultures africaines, haïtienne, française et espagnole. La ville elle-même a plus de 300 ans. L’architecture est splendide, elle a cette patine d’usure absolument incroyable.
La ville a été érigée sur un marais, donc il y a de la mousse espagnole, des bananiers, des chênes verts et de la verdure partout. Visuellement, la ville est sublime. Les habitants sont des sommités lumineuses. La Nouvelle-Orléans a une tradition multiculturelle qui est intégrée de façon très profonde dans l’histoire de la ville. Ce phénomène rassemble les communautés et les voisinages. Cela permet aussi à différents groupes sociaux de se manifester et de s’exprimer.
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L’association des racines caribéennes à la mentalité inépuisable du “Do It Yourself” [Fais le toi-même, ndlr] de la ville fait que celle-ci est devenue un lieu où tout est possible. Les individus aux intérêts les plus spécifiques et aux origines les plus diverses peuvent s’unir et célébrer un mode de vie introuvable dans n’importe quelle autre ville américaine.
L’impact de l’ouragan Katrina représente aussi un énorme tronçon de l’histoire de la ville. Je pense que ses conséquences seront éternellement présentes. L’ouragan a affecté tellement de vies, il a laissé de profondes cicatrices ici. Katrina a détruit la ville autant qu’elle l’a façonnée dans ce qu’elle est aujourd’hui.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur la culture des fanfares aux États-Unis ?
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Les fanfares sont quelque chose d’extrêmement important dans le sud du pays. Mais la culture de la fanfare à la Nouvelle-Orléans est tout à fait unique. J’ai entendu un reportage hyper intéressant sur NPR [station de radio américaine, ndlr], qui expliquait que les étudiants faisant partie des fanfares de la ville sont sûrement les plus travailleurs de tout le pays. Ils marchent à travers la ville tous les soirs pendant le Carnaval (l’équivalent d’une course de 5 kilomètres tous les soirs, qu’il pleuve ou qu’il vente, avec un sousaphone sur le dos) et sont quand même présents en cours le lendemain.
Comment es-tu entrée en contact avec la fanfare du lycée Edna Karr ?
J’habitais à Central City [un quartier de la Nouvelle-Orléans, ndlr] et je voyais des majorettes s’y entraîner tout le temps. Après avoir vu toutes les fanfares des différents lycées défiler pour Mardi Gras [célébration de deux semaines pendant lesquelles la ville est transformée en terrain de fête et de concerts géants, ndlr], je me suis dit que j’avais vraiment besoin de créer un projet autour de ce sujet.
En 2013, j’ai contacté plusieurs lycées de la ville, j’ai parlé de mon idée de projet et personne ne me répondait. Edna Karr faisait partie de ces lycées que j’avais tenté de joindre. Je suis devenue très amie avec une professeure du lycée et lui ai parlé de mon idée. Elle en a discuté avec le directeur de la fanfare qui m’a invitée à venir photographier les élèves.
Quelles étaient les réactions des élèves ?
J’ai commencé à photographier ces jeunes gens pour leur investissement dans la fanfare, je ne crois pas qu’ils faisaient très attention à ce que je faisais. Je les ai suivis pendant plusieurs années et tout le monde s’est habitué à me voir prendre des photos et me cacher derrière mon appareil.
Quelle relation ces jeunes entretiennent-ils avec la fanfare ?
Faire partie d’une fanfare représente bien plus qu’un hobby. C’est un mode de vie. La plupart des élèves viennent d’une lignée de majorettes, de musiciens ou de danseurs. Cette activité est d’une grande importance à la Nouvelle-Orléans parce qu’elle permet de préserver les enfants de la rue, de les encourager à faire partie d’une communauté. S’impliquer dans une fanfare lycéenne aide ces adolescents à se donner de la valeur, ça les encourage à bien travailler, à espérer aller à l’université.
J’ai rencontré beaucoup de jeunes gens qui m’ont raconté l’importance qu’avait la fanfare pour eux. La Nouvelle-Orléans peut être un endroit violent, c’est beaucoup plus sûr et sain d’avoir ce genre d’activités extra-scolaires plutôt que de traîner après les cours, sans avoir nulle part où aller.
Les chorégraphies de la fanfare sont impressionnantes, on a parfois l’impression que tu photographies de véritables athlètes. Comment t’es-tu débrouillée pour capter leurs mouvements ?
Je prends mes photos avec un appareil argentique moyen format. Il n’était vraiment pas aisé de capturer les bonnes images au bon moment. Mais la fanfare d’Edna Karr était très chaleureuse et avenante. Ils m’ont laissé marcher avec eux pendant Mardi Gras trois années de suite. Ils ont accepté de me laisser croiser leur chemin, tandis que normalement, le public n’a pas le droit de marcher sur la route ou de la traverser lorsqu’une fanfare est en marche. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir autant de facilité d’accès.
J’ai toujours eu des idées précises quant à ce que je voulais, mais évidemment, le résultat final de mes images était toujours très différent de ce que je pensais qui allait sortir. C’est ce que j’adore avec la photographie, et notamment avec le fait de shooter à l’argentique. Je ne sais jamais ce que ça va donner.
Vous pouvez retrouver le travail d’Akasha Rabut sur son site personnel. Death, Magick, Abundance est disponible aux éditions Anthology.