Rada Akbar, artiste à Kaboul : “Serai-je encore vivante demain ?”

Publié le par Konbini avec AFP,

© Adek Berry/AFP

À ses risques et périls, l’artiste afghane Rada Akbar clame son indépendance et revendique son héritage dans ses œuvres.

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Juges, universitaires, journalistes, militant·e·s, jeunes gens instruits, des femmes surtout, plus de 180 assassinats les ont ciblé·e·s depuis septembre 2020 et l’annonce du retrait des forces américaines, selon le ministère de l’Intérieur. Des gens comme elle.

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Une couronne sur la tête, une robe pachtoune au plastron brodé ou une tunique de sa confection parée d’un lourd collier kutchi : des kilos d’argent ciselé, prisé des nomades, qui lui brisent le cou. Une façon pour Rada Akbar de s’inscrire dans une descendance héroïque de reines bâtisseuses, de poétesses, de femmes puissantes pour rectifier le roman occidental qui ravale toujours les Afghanes au rang de victimes.

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“L’histoire des Afghanes n’a pas commencé en 2001 [avec l’intervention américaine, ndlr]. Nous avons un long et riche passé auquel les femmes ont toujours contribué, comme souveraines ou comme combattantes”, insiste la peintre et photographe de 33 ans. Elle aime citer la souveraine Goharshad, au XVe siècle, qui déplaça la capitale de l’empire timouride de Samarkand à Herât, dans l’ouest de l’Afghanistan.

© Adek Berry/AFP

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Lapidée

Chaque année depuis trois ans, pour la journée des droits des femmes le 8 mars, elle leur rend hommage avec une exposition-installation dressée dans un des anciens palais royaux de Kaboul. En 2020, huit robes exposées sur des mannequins de vitrine évoquaient une personnalité féminine conquérante – cinéaste, footballeuse… Dans un coin de la pièce, une cape de gaze souillée sous une pluie de pierres commémorait Rokhshana, lapidée par les Talibans pour avoir fui un mariage forcé.

Mais cette année, la dernière édition s’est tenue en ligne, sur le site du musée virtuel de l’artiste, “Abarzanan” (“Superwomen”, en farsi), en raison des menaces explicites reçues par l’artiste. Face à une assemblée de chaises vides drapées de blanc, figurant les absent·e·s, Rada Akbar a énuméré les noms des victimes.

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À la veille du retrait complet des forces américaines et occidentales d’Afghanistan, les Talibans font le ménage, estime-t-elle. “Leur but n’est pas seulement de nous tuer, on n’est pas si nombreuses. Mais de réduire tout le monde au silence. […] Le message c’est, continuez et vous serez tuées.” Comme la plupart de ses amies, elle a réduit ses déplacements et renoncé à toute forme de routine. “Il nous faut rester en vie sinon, à quoi bon.”

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Elle vit seule depuis dix ans dans son appartement, ce n’est pas si courant dans ce pays, avec le soutien de sa famille : un père éditorialiste aujourd’hui décédé, une mère institutrice, qui ont toujours soutenu leurs cinq filles dont l’une, Shaharzad, dirige la Commission indépendante des droits humains.

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“C’était commun dans la génération de mes parents. Autrefois la société n’était pas si conservatrice”, relève Rada. Pourtant ses parents sont nés dans un village de Jowzjan dans le nord du pays, province du cruel chef de guerre ouzbèke Abdul Rashid Dostum.

Le temps des ténèbres

“Les femmes avaient bien plus de liberté par le passé, mais tout a changé avec l’arrivée des moudjahidines”, les chefs de guerre qui ont d’abord combattu les Soviétiques au nom de l’islam dans les années 1980 avant de s’entre-déchirer au gré de leurs intérêts et de ceux de leurs parrains – dont les États-Unis.

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“Regardez maintenant l’image des Afghanes : des femmes en burqa constamment violentées”, commente Rada Akbar. À l’inverse, après vingt ans de présence américaine, “être ‘moderne’, c’est parler anglais et s’habiller à l’occidentale. On attaque notre culture. C’est une autre forme de colonisation”, dénonce-t-elle.

Mais ce qui déclenche sa fureur par-dessus tout, ce sont ces étrangers, diplomates et journalistes, qui lui demandent maladroitement si elle se sent “vraiment représentative des femmes afghanes”. “C’est un manque de respect, c’est insultant : comme si mes valeurs, mon style de vie n’étaient pas les bons, que je n’appartenais pas à ce pays. […] C’est une façon de me traiter comme un obstacle au processus de paix”, juge-t-elle.

© Adek Berry/AFP

Depuis l’accord signé en février 2020 entre les Talibans et les États-Unis qui garantit le retrait “inconditionnel” de ces derniers (fixé depuis au 11 septembre), l’artiste et ses amies se sentent trahies. “Il n’y a aucune garantie de préserver les droits que nous avons conquis. Cet accord est une trahison qui légitime les Talibans.” Droite, intransigeante, toujours tenue, Rada Akbar avoue “perdre espoir”.

“Je suis née et j’ai grandi dans la guerre ; depuis que je suis enfant, je me suis toujours battue pour mes droits, comme mes parents nous l’ont enseigné. Mais aujourd’hui, difficile de garder espoir. Chaque jour peut être le dernier. Et ce n’est pas que moi, on ressent tous la même chose. Que va-t-il se passer demain, serai-je encore vivante ? Ma concentration, ma créativité s’en ressentent. Comme tous les Afghans, j’ai peur de l’avenir”, avoue-t-elle.

Avec AFP.