Leur technologie est derrière l’œuvre de Beeple adjugée pour 69,3 millions de dollars chez Christie’s, ou la vente du premier tweet de Jack Dorsey ; les collectionneur·se·s s’arrachent les “NFT”, objets numériques inviolables, qui s’annoncent comme une révolution pour le marché de l’art. Voici quelques repères pour mieux comprendre le concept du “NFT” et ce qu’il a de révolutionnaire.
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Le “jeton non fongible”, ou “non-fungible token” (“NFT”), est un objet virtuel, qu’il s’agisse d’un dessin, une animation, une morceau de musique, une photo, un extrait vidéo, auquel est associé un certificat d’authenticité. Ce document est répertorié dans un inventaire appelé “blockchain”, considéré comme inviolable ; c’est ce qui lui confère son authenticité. L’objet virtuel, qui est en réalité un fichier informatique, pourra être échangé ou revendu, avec son certificat.
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Jusqu’ici, et malgré l’omniprésence d’Internet dans nos vies, la vente et l’échange de fichiers numériques en tant qu’objets de collection était une niche. La presque totalité des collectionneur·se·s lui préféraient les objets physiques : tableaux, sculptures, bouteilles de vin ou baskets. Outre l’habitude, l’un des freins au développement du marché de l’art numérique était la crainte des copies. Avec le “NFT”, les copies sont encore possibles, mais un seul fichier disposera d’un certificat d’authenticité, qui ne peut pas être répliqué.
“C’est ça, l’avenir”
N’importe quel·le internaute peut créer un “NFT”. Il faut, pour cela, passer par l’une des plateformes spécialisées, comme Rarible ou OpenSea sur laquelle télécharger le fichier qui deviendra un “NFT”. Pour réaliser l’opération, il faudra verser des frais, souvent inférieurs à trente dollars le fichier. Cette commission est à payer en cryptomonnaie, le plus souvent l’Ether, l’une des plus utilisées avec le bitcoin. Une fois sur la plateforme, le créateur du “NFT” pourra le vendre. Il pourra aussi fixer, à l’avance, le pourcentage qu’il touchera sur toutes les reventes éventuelles de ce fichier par d’autres internautes.
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“Je comprends tout à fait la réaction initiale, qui est de dire : ‘Je ne saisis pas’ ou ‘Ça a l’air débile'”, a écrit Jonathan Bales, qui a dépensé 35 000 dollars pour l’un de ces “NFT” et écrit une tribune de référence sur son blog Lucky Maverick. “Or, il y a toute une génération de gens jeunes et intelligents qui ont grandi d’une façon totalement différente de vous et moi”, ajoute-t-il. “Donc que nous comprenions ou non, l’avenir est sans conséquence sur ce qu’il sera.”
“J’ai ouvert un compte et, d’un seul coup, j’ai eu un déclic”, se souvient Steve Poland, créateur du site Mighty Minted. “C’est ça, l’avenir. Ça va être ça, les objets de collection du futur.” Les amateur·rice·s voient dans les “NFT” une alternative à un marché de collection souvent non régulé et opaque, qu’il s’agisse de cartes de base-ball ou de tableaux de maîtres. “La technologie est supérieure au monde physique”, avance Steve Poland. “Il y a de faux Picasso, de faux Van Gogh, mais nous avons la confirmation que ceci est authentique.”
Le crypto-art, ou “la prochaine force perturbatrice du marché de l’art”
Au vu des plus récentes transactions, le “NFT” pèse déjà plusieurs milliards de dollars. En mars 2021, Christie’s a été la première grande maison d’enchères à mettre en vente une œuvre “NFT”, The First 5 000 Days, de l’artiste américain Beeple. C’est “un tournant pour l’avenir des nouveaux médias et même pour la façon de collectionner tout entière”, a estimé Noah Davis, expert chez Christie’s, dans un communiqué. Quelques heures seulement après le début de la vente, à un prix d’ouverture de 100 dollars, l’œuvre atteignait déjà 2,4 millions de dollars.
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Everydays: the First 5 000 Days a été vendue 69,3 millions de dollars par Christie’s. Les autres grandes maisons d’enchères réfléchissent activement à mettre sur pied leur propre vente “NFT”, selon une source proche de l’une d’entre elles. Dans la foulée de cette vente historique, deux images créées sur la plateforme CryptoPunks ont été vendues 7,3 millions de dollars chacune. Et le fondateur de Twitter Jack Dorsey s’est vu proposer 2,5 millions de dollars pour le “NFT” de son tout premier tweet.
Noah Davis compare l’émergence de cette forme de collection à celle du street art, passé d’une pratique illégale et déconsidérée à un courant majeur de l’art contemporain en quelques décennies. L’art basé sur le “NFT” (ou “crypto-art”) est, selon lui, “en passe de devenir la prochaine force perturbatrice du marché de l’art”.
La semaine dernière, l’artiste Damien Hirst a annoncé qu’il acceptait désormais les cryptomonnaies pour ses prochaines enchères mettant en vente ses œuvres autour des fleurs de cerisiers. “J’adore le monde de la cryptomonnaie, et je suis heureux et fier de placer mes espoirs dans le Bitcoin et l’Ethereum avec cette prochaine vente”, avait-il déclaré. Les œuvres se vendront 3 000 dollars pièce, ce qui équivaut (à ce jour) à 0,58 BTC ou 1,8 ETH. La chanteuse Grimes, de son côté, a vendu dix œuvres en “NFT”, lundi 1er mars 2021, sur Nifty Gateway. Certaines étaient uniques, d’autres avaient été éditées en centaines de copies. Elles ont été adjugées vendues en vingt minutes pour 5,8 millions de dollars.
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Le collectif “Larva Labs” est souvent considéré comme fondateur de cette nouvelle ère de la collection numérique. Dès 2017, il lançait le projet CryptoPunks, une série de 10 000 visages dessinés par ordinateur, tous différents, aux traits pixelisés et volontairement grossiers. Chaque visage, sous forme “NFT”, peut désormais se revendre sur la plateforme de Larva Labs. En mars 2021, l’un d’entre eux, un visage avec pipe et casquette, a été racheté 7,5 millions de dollars par un·e acquéreur·se anonyme.
Une correction des prix ?
Des observateur·rice·s s’attendent à une correction de certains prix, à un tri sélectif à mesure que l’univers se structure, mais personne ne voit le marché des “NFT” s’effondrer, estimant que beaucoup de “NFT” sont actuellement sous-évalués, car le marché est encore jeune. Pour l’acquéreur·se de Everydays, qui se cache derrière le pseudonyme “Metakovan”, l’œuvre vendue jeudi “vaut un milliard de dollars”.
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“Ma prédiction, c’est qu’avec les années, le consensus sur les objets numériques va passer de ‘ces trucs ne sont même pas réels et ne valent rien’ à ‘c’est le meilleur moyen de vérifier la propriété, la rareté et l’authenticité’“, a écrit, début janvier 2021, l’investisseur Jonathan Bales, dans ce qui est considéré comme le texte de référence sur le sujet. “Je suis persuadé que les ‘NFT’ sont le futur des collectionneurs”, a-t-il conclu. “Le côté le plus excitant, c’est que la fête ne fait que commencer.”