La carrière de Halima Aden aura été jalonnée de grandes premières fois. Elle a été la première mannequin portant le hijab à faire les couvertures de Vogue UK et Arabia, du magazine Allure, et à poser en burkini pour le numéro en maillots de bain de Sports Illustrated. La jeune femme somali-américaine a foulé les podiums des fashion weeks et a été l’égérie de grandes enseignes telles que MAC ou encore Fenty, son premier contrat. En cette fin 2020, elle a pourtant annoncé mettre un terme à sa carrière de mannequin.
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Elle a éclairé cette décision la semaine dernière, sous forme de prise de conscience, sur son compte Instagram dans des stories toujours visibles. Elle est revenue sur cette première campagne dans une story Instagram : “C’était grâce à Rihanna, elle m’a laissé porter le hijab avec lequel j’étais venue. […] La vraie HALIMA.” Le monde de la mode s’était rapidement arraché la jeune femme, par souci d’inclusivité, mais aussi par volonté d’intégrer de nouveaux marchés et d’attirer une nouvelle clientèle – jusque-là tout à fait oubliée.
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Après cette campagne Fenty, rares ont été les occasions où la jeune modèle a pu choisir son hijab lors des séances photo. Le temps passant, elle s’est retrouvée avec des chemises ou des pantalons sur la tête, choisis par les stylistes des shootings.
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L’hypocrisie du monde de la mode
La mannequin s’est souvent confiée sur le manque de représentation des personnes musulmanes dans l’espace public. Au Monde, elle déclarait en 2017 : “Évidemment, nous avons besoin de musulmanes qui réussissent à l’université, qui occupent des postes à responsabilité dans les entreprises… Mais il faut aussi que l’on soit représentées, une représentation qui doit être visible. Or, les jeunes filles ne ‘googlisent’ pas les grands patrons, mais elles connaissent les mannequins. Combien y a-t-il de mannequins noires réfugiées qui portent le hijab ?”
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“J’ai supprimé [cette photo] de mon compte parce qu’honnêtement, ce n’est pas de la ‘représentation’, c’était une ‘FARCE’ et je suis TELLEMENT désolée parce que j’étais trop jeune et naïve pour m’en rendre compte sur le coup. À l’époque, je le justifiais parce que ‘Regardez, c’est Vogue Arabia‘ mais c’est mauvais, peu importe à quel point on essaie de se convaincre du contraire.”
Avec du recul, Halima Aden affirme que ce souci de la représentation s’est transformé, au contact de l’industrie de la mode, en une série de compromis la poussant à transformer son image et donc, à ne plus devenir qu’un étendard marketing et “un nouveau standard pour le hijab qui mettrait tout le monde à l’aise”, plutôt qu’un véritable modèle d’inclusion.
En story Instagram, elle est revenue sur ses collaborations avec de grands noms de la mode et souligne que la plupart des stylistes avec qui elle a travaillé ne savaient pas comment l’habiller parce qu’ils ne connaissaient pas de femmes portant le hijab. D’où la nécessité de montrer de la diversité mais, surtout, d’avoir des têtes pensantes venant d’horizons et de cultures différents au sein des équipes.
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La pression d’un milieu souvent toxique
Le confinement, ainsi que la “pause loin de l’industrie” qui en a découlé, lui ont permis de se poser et de prendre une décision, longtemps conseillée par sa mère : quitter le milieu de la mode. Halima Aden rapporte que la pression des réseaux sociaux et de l’industrie la poussait à prendre des décisions qu’elle regrette aujourd’hui, comme changer la façon dont elle noue son voile pour montrer un collier sur un tapis rouge.
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Halima Aden rappelle également qu’elle est devenue mannequin à 16 ans, juste après le lycée, que, comme nombre de ses paires, elle était trop jeune pour ce milieu et qu’elle aurait eu besoin davantage d’aide et de conseils bienveillants.
“Mon cœur ne peut se sentir entier dans cette industrie qui continue de louer ma ‘modestie’ (qui me cause tant de conflits intérieurs) tout en utilisant et exploitant mes sœurs !!! Je prends position pour moi mais aussi pour toutes les personnes qui ont perdu leur âme à cause de la mode. On n’aura jamais besoin de votre représentation”, a-t-elle écrit dans une publication Instagram.
La jeune femme s’écarte des studios photo, mais elle ne devrait pas non plus complètement quitter la lumière. Elle compte bien poursuivre son engagement auprès d’organisations humanitaires, notamment l’Unicef, avec qui elle collabore depuis 2018. Il ne sera également pas impossible de la voir poser, tant que son hijab est respecté.
“Je me suis vraiment dit ‘ah ouais, j’ai fait ÇA’, sans me rendre compte que je faisais du mal à la petite hijabi que j’avais été autrefois en montrant au monde ‘un nouveau standard pour le hijab qui mettrait tout le monde à l’aise’… C’est-à-dire en effaçant complètement mon hijab. La légende aurait dû être : ‘Boo Boo le clown.’” La légende de l’image en question était : “Le nombre de fois où j’ai porté des chemises sur ma tête.”
“Toutes les filles [et pas seulement les filles musulmanes, devraient voir cette story, ndlr]. On vit dans une société qui nous félicite seulement quand on se plie à ‘ce qui la met à l’aise’ elle… Imaginez si, collectivement, nous disions : PLUS MAINTENANT. Prenez-moi comme je suis ou regardez mon dos tandis que je me dirige vers la porte pour créer mon PROPRE espace.”
“Où est la diversité ? J’avais trop peur de demander à l’époque. Mais c’est fini tout ça ! Et aussi, ramenez les sourires parce que vous faites de nous des Gremlins moitié morts, moitié dénués d’âme.”
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