Après la saison du Scorpion illustrée par Anish Kapoor et celle du Sagittaire figurée par Georgia O’Keeffe, voici venu le temps d’honorer le Capricorne, dixième signe du Zodiaque. C’est d’ailleurs en pleine rétrograde Vénus en Capricorne que nous écrivons cet article ; un moment propice à la transformation relationnelle, à l’analyse de son rapport à l’autre, au sérieux et à la “mise en lumière de ce qui est caché”, comme l’Arc de triomphe empaqueté, finalement.
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Et c’est une transition toute trouvée (et maladroite) pour introduire le duo Christo et Jeanne-Claude. Qui de mieux que ces artistes spécialistes du land art dont les œuvres monumentales s’intègrent, se construisent et s’ancrent dans le réel pour refléter ce signe bâtisseur ?
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Un signe de terre
Aux côtés du Taureau et de la Vierge, le Capricorne est régi par l’élément de la terre. Gouverné par la planète Saturne, il est marqué par des valeurs de stabilité, de maturité, de fiabilité, de solidité, de travail, de constance et de rigueur. Ce petit bouc est ancré dans le réel, il est terre à terre. C’est aussi le père du Zodiaque – son opposé polaire étant le Cancer, considéré comme la mère du Zodiaque.
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Le Capricorne s’intéresse davantage aux choses structurées et durables. Il cherchera un·e partenaire de vie avec qui bâtir. Et n’est-ce pas ce que Christo a trouvé en Jeanne-Claude, ce que Jeanne-Claude a trouvé en Christo ? Construire à deux des œuvres monumentales durant toute une vie.
Malgré son éphémérité, leur œuvre s’inscrit dans une approche au long cours, répétitive, logique, qui fonctionne grâce à un véritable travail de préparation fourni. Elle perdure aussi dans les esprits du public par son gigantisme, son ampleur et son caractère événementiel. Leurs créations massives et résistantes prennent place dans le paysage ou au cœur de villes. Elles ne laissent pas place à un milliard d’interprétations tant elles sont concrètes, accessibles et présentes.
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Du sol, de la terre, leurs installations s’érigent, comme leurs emballages de monuments ; leurs Gates, ces 7 500 portiques de cinq mètres de haut plantés dans Central Park ; ou leur Parasol Bridge, un pont symbolique créé entre le Japon et la Californie grâce à 3 100 parasols jaunes et bleus.
Pour compléter la description de ce signe astrologique hautement réaliste, nous pouvons ajouter que les deux partenaires fréquentaient le cercle des Nouveaux Réalistes (fondé entre autres par Yves Klein, en 1960). Ce mouvement artistique souhaitait un “retour” à la réalité, afin de rompre avec l’abstraction. Les artistes ayant signé le manifeste recommandaient l’utilisation d’objets du quotidien, en écho à Marcel Duchamp. C’est aussi ce que Jeanne-Claude et Christo faisaient en exploitant la pierre de vieux monuments, des barils ou des parasols.
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Un signe cardinal
Comme le Bélier, le Cancer et la Balance, le Capricorne fait partie des signes cardinaux, c’est-à-dire qu’il ouvre une saison. Ce sont des signes de mouvement, qui insufflent nouveauté et créativité, et qui s’épanouissent quand ils y parviennent. Ce sont des leaders-nés qui voient les choses en grand et indiquent le chemin à emprunter. Ils sont des éléments moteurs, des guides mais ils apprécient davantage leur rôle lorsque leur contribution est reconnue à sa juste valeur. Créer des œuvres monumentales n’est-il pas le moyen le plus flagrant de se faire remarquer ?
C’est leur vision large qui apporte à Jeanne-Claude et Christo leur qualité cardinale. Rien ne leur semble impossible. Si leur œuvre leur survit, c’est aussi parce que le couple se donnait les moyens de sa folie des grandeurs et gérait son art comme une entreprise. “Nous réalisons” est le mantra de ce dixième signe du Zodiaque. Christo était d’ailleurs un ingénieur et un entrepreneur avant tout.
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Le Capricorne aime vivre dans un tableau Excel, aux cellules bien rangées et aux lignes bien grasses. Certes. Mais sa dimension cardinale lui permet de créer, de transformer son horizon et de le rebâtir. N’est-ce pas précisément cela que les installations de Christo et Jeanne-Claude apportent à nos villes ?
Un signe représenté par… les genoux, les articulations et le squelette
Chaque signe du Zodiaque est caractérisé par des parties de l’anatomie humaine. Pour le Capricorne, il s’agit du squelette, des tendons, des articulations et des genoux. Et pour mener à bien tous ses projets, le Capricorne a besoin de ses quatre pattes pour le porter et lui permettre d’avancer. C’est un signe résolument tourné vers l’avenir.
Le fait que ce signe soit symbolisé par la structure osseuse s’accorde très bien avec l’approche architecturale des œuvres de Jeanne-Claude Denat de Guillebon et de Christo Vladimiroff Javacheff. Le squelette n’est-il pas l’architecture du corps, après tout ?
Contrairement aux peintres ou aux sculpteur·rice·s qui ont une pratique plus solitaire et casanière, ce couple d’artistes était très actif et dynamique. Toutefois, la lenteur définit également le Capricorne et elle se reflète dans le temps long et nécessaire qu’il fallait à Jeanne-Claude et Christo pour faire aboutir leurs créations. Il faut savoir que Jeanne-Claude passait parfois des décennies à défendre un projet ou à obtenir les droits d’installation.
Avec sa détermination, son obstination et sa persévérance (des qualités propres au Capricorne), elle devait affronter tribunaux, sessions parlementaires et audiences publiques. Il a fallu par exemple dix ans pour l’emballage du Pont-Neuf et 25 ans pour celui du Reichstag de Berlin.
Cette lenteur est loin de s’assimiler à de la fainéantise ou à de l’éparpillement. Au contraire, elle se fait l’écrin d’une patience et d’une volonté tenaces afin que tout soit bien préparé et réalisé. Rappelons que ce signe habite la dixième maison du Zodiaque et qu’elle est synonyme d’ambition et de travail.
Un signe organisé, d’apparence froide
Passons aux qualités et aux défauts du Capricorne. Tout Capricorne est reconnaissable dès la rencontre : c’est un signe discret, introverti, assez froid et flegmatique. Jeanne-Claude et Christo furent quelque peu discrets mais leurs œuvres parlaient d’elles-mêmes. La démarche créative du tandem était très organisationnelle, méticuleuse (quasi maniaque), soignée, scientifique, ingénieuse et sérieuse. Pour monter de tels projets grandioses, il fallait garder sa tête sur ses épaules, le sang froid et ne pas reculer devant des tâches administratives.
Leur méthodologie était millimétrée et faisait partie intégrante de leur art. Leurs missions étaient bien réparties : Christo aux maquettes et Jeanne-Claude à l’administration et à la coordination. Les deux approchaient l’art de manière peu émotionnelle et introspective, à l’image de ce signe qui renferme, contrôle et annihile ses sentiments.
Et il est vrai qu’une certaine froideur se dégage de leurs travaux, comme ces toiles tendues grises, ces chaînes d’acier, ces barils et ces fondations en béton qui maintiennent leurs structures. Néanmoins, ce n’est pas parce que le Capricorne excelle dans l’art de la dissimulation et du leurre qu’il ne ressent rien. Il faut se méfier de l’eau qui dort, qui finit par déborder.
Selon des statistiques très sérieuses, il est le signe du Zodiaque le plus enclin à la dépression et à l’angoisse. Ses remous sont intérieurs, d’apparence canalisés, comme le Cancer, son signe complémentaire, qui se mure derrière sa carapace et ne laisse entrer personne. Le second parvient cependant à embrasser sa sensibilité de manière plus fluide que le premier.
Le projet d’emballage de monuments entrepris par le duo représente totalement cette ambivalence. On recouvre pour redévoiler. Le Capricorne cache ses émotions pour mieux les révéler à quiconque gagnerait sa rare confiance. Une fois le lien profond établi, le Capricorne peut étonner, apaiser sa grisaille intérieure et sortir de sa réserve. On dit d’ailleurs que le Capricorne naît vieux, déjà conscient du poids de la vie, et que toute sa quête sera de trouver sa légèreté et de regagner sa jeunesse.
C’est le cas de quelques projets de Christo et Jeanne-Claude, colorés et solaires, qui sortent du lot, comme leurs Surrounded Islands de Miami, ces îles entourées de contours rose fuchsia. Cette couleur n’a pas été choisie par hasard : elle exprimait l’euphorie, le soleil, l’insouciance, l’humour et l’affection.
Nous pouvons aussi citer leur Valley Curtain, un rideau orange de 13 000 mètres carrés, léger et se mouvant dans les airs, au cœur d’une vallée du Colorado. Ou encore leur Mastaba d’Hyde Park, un trapèze gigantesque composé de 7 596 barils de couleur rouge, rose et bleu, flottant sur un lac. Rappelons que l’eau est l’élément des émotions.
On dit souvent que le Capricorne est dur, ennuyeux, gris, aigri, rabat-joie, effacé – tout ça parce qu’il préfère lire un bon roman ou jouer aux échecs au lieu de sortir et de voir du beau monde. Mais malgré ces défauts, il attire irrésistiblement, la preuve en est avec les six millions de visiteur·se·s de l’Arc de triomphe empaqueté, que le public a aimé détester.