Préparez-vous à la mort de la réalité et à l’avènement, tel que prédit par Jean Baudrillard en 1981, de la simulation. Avec la miniaturisation de la technologie de réalité augmentée (AR), sa démocratisation pourrait modifier en profondeur la définition même du réel pour les années à venir (même s’il convient, cette fois-ci, de faire preuve de prudence, échaudés que nous sommes par les fausses promesses en néon de la réalité virtuelle).Déjà, les casques HoloLens de Microsoft envahissent les universités, les chaînes de montage et les blocs opératoires ; déjà les journalistes tech tombent en pâmoison devant la sorcellerie venue de Redmond ; déjà, la science se penche sur les applications pratiques et les effets secondaires de ce vernis virtuel sur nos pauvres cerveaux submergés de stimuli.
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La dernière étude en la matière (oui, il y en a d’autres, même si le champ d’études est encore jeune) nous vient de l’université américaine de Stanford et s’intéresse à l’influence de la réalité augmentée sur nos comportements dans le monde “réel” – IRL, quoi –, même une fois l’appareil ôté. L’hypothèse de départ est fascinante : existe-t-il une forme de “persistance cérébrale”, un temps de réadaptation à la réalité “non augmentée” ? La réponse est oui, à en croire leur protocole expérimental, rapporté par Engadget le 15 mai.
Personne ne s’assoit sur la chaise du fantôme
Pour le vérifier, les chercheurs de Stanford ont réquisitionné 218 personnes et une paire de lunettes AR de Lenovo pour mener trois expériences distinctes. Dans la première, les sujets ont été invités à créer des anagrammes, seuls dans une pièce, en portant les lunettes. En face d’eux, un humain virtuel, appelé Chris, les observait pendant toute l’opération. Les chercheurs ont observé que, comme lorsque les sujets étaient sous la surveillance d’une personne de chair et d’os, ils avaient tendance à trouver les tests plus difficiles avec Chris dans la pièce (même s’il n’était pas vraiment là, enfin, vous avez compris l’idée).
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Vient ensuite une expérience encore plus simple : une fois “Chris” évaporé de la simulation, les chercheurs ont tout simplement observé combien parmi les participants (encore casqués à ce moment-là) iraient s’asseoir sur la chaise précédemment “occupée” par le mannequin virtuel. Réponse : aucun. Une fois le casque ôté, 72 % des sujets refusaient toujours inconsciemment de s’asseoir sur cette chaise. Troisième et dernière expérience : laisser deux personnes parler de tout et de rien, l’une casquée, l’autre non. Les personnes ayant porté le casque pendant la conversation, indiquent les chercheurs, ont affirmé moins ressentir de connexion avec leur interlocuteur que dans la vraie vie.
Entre le réel et le simulé, inventons un nouveau paradigme
En réfléchissant un peu, ces effets secondaires de la virtualité semblent “logiques”. Encore fallait-il les démontrer par un protocole expérimental. Si d’autres recherches doivent être menées pour connaître exactement les conséquences de ces nouveaux appareils de manipulation du réel sur nos comportements sociaux, ces travaux sont un premier avertissement : derrière les paillettes des démos réalisées lors des grands-messes technologiques des constructeurs, la réalité augmentée suppose un changement de paradigme ontologique, une nouvelle manière d’interagir avec le simulé dans le cadre familier du tangible.
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Avec le casque, c’est l’équivalence entre réel et perçu qu’il faut repenser. C’est un nouvel axiome du réel qu’il faut poser, dans le vieil interstice entre vécu et simulé. Il y a urgence à réfléchir à ces questions : bientôt, l’amélioration du réalisme des simulations rendra la distinction entre ces niveaux de réel impossible pour nos senseurs naturels. Comment empêcher notre cerveau, dans ces conditions, de poser une équivalence entre les deux ? Comment éviter, in fine, une désacralisation du vrai au profit de sa mise à jour ? La réalité augmentée n’en est qu’à ses prémisses, et nous avons fort heureusement du temps devant nous pour réfléchir à ces questions et y répondre de manière pratique. Ne tardons cependant pas trop, l’avenir a parfois tendance à apparaître plus lointain qu’il ne l’est.