Piko Paseos est parti à Manille immortaliser à l’argentique la vie dans les bidonvilles, du quotidien des enfants des rues jusqu’à celui des gangs. Tombé dans la photographie plus ou moins par hasard en 2014, après un tour du monde en solo qu’il a documenté en images, le photographe poitevin est rentré en France des idées plein la tête. Après avoir immortalisé des danseur·euse·s dans la rue dans toute la France, il est retourné à l’étranger mener à bien un projet qui lui trottait dans la tête depuis un moment.
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Cheese | Bonjour Piko. Raconte-moi, comment es-tu passé de la danse en France aux membres de gangs aux Philippines ?
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Piko Paseos | Ce projet aux Philippines cogitait dans ma tête depuis un petit moment, depuis mon passage là-bas lors de mon tour du monde. J’avais rencontré un éleveur de pitbulls dans la rue, j’avais pris quelques clichés de lui et il m’avait invité à venir dormir chez lui le soir – je fonctionnais pas mal comme ça à ce moment-là. Je l’ai ajouté sur les réseaux et je me suis rendu compte qu’il était entouré de mecs de gang, reconnaissables à leur dégaine.
Ils sont couverts de tatouages et reprennent les codes des membres de gangs mexicains : ils portent des couleurs identifiables selon leur gang, des T-shirts 4 XL et ils sont tous plus ou moins habillés pareil. 95 % de la population est chrétienne, tous les membres de gang portent une croix autour de leur cou.
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J’ai commencé à discuter avec cet éleveur de pitbulls sur le fait de revenir et de photographier l’univers des gangs. En mars 2018, je suis retourné aux Philippines pendant trois semaines, quasiment exclusivement à Manille, pour retrouver ce mec ainsi qu’un photographe philippin, Pao Larawan, qui allait m’aider sur place puisque, dans les quartiers pauvres, la plupart des gens ne parlent pas anglais.
Combien de gangs as-tu rencontrés là-bas ? Ce n’était pas difficile de gérer des gangs potentiellement rivaux ?
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J’ai photographié trois gangs différents, mais cela ne posait pas de problème parce qu’il y a une sorte de période de trêve entre les gangs. C’est vraiment plus pacifique maintenant, parce que les trentenaires n’en pouvaient plus de perdre des petits frères, des enfants, etc. C’est plutôt la guerre contre le président désormais. Enfin je dis ça mais quand j’y étais, un homme se faisait tatouer le portrait de son cousin qui s’était pris une balle dans la tête deux semaines avant.
On dirait qu’ils sont tous frères et sœurs mais en fait ils n’ont pas de liens de sang, c’est plus une famille qu’ils ont trouvée là-dedans. Il y a tous les âges, même des petits entre 4 et 5 ans, qui sont déjà habillés comme les aînés et qui posent. Les plus anciens n’ont qu’une petite quarantaine d’années.
Justement, j’ai beaucoup aimé la place donnée aux enfants dans tes images, tu peux m’en dire plus ?
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Les enfants sont plus demandeurs de photos. Ils sont moins réticents que les adultes et gardent beaucoup de naturel. Les adultes des gangs se mettent en scène, ils prennent la pose. Pas les enfants. Leurs expressions sont vraiment justes et pas dans le contrôle. C’est plus facile à photographier.
De plus, je photographie ce qui me passe sous les yeux. À Manille, il y a des enfants partout. Ils vivent dans la rue, ils sont dehors toute la journée.
J’ai passé une journée au cimetière de Navotas, un endroit où les plus démuni·e·s vivent dans les tombes de leurs ancêtres. La ville de Manille est tellement surpeuplée… C’était une journée chargée en émotions, j’étais entouré par des enfants entre 4 et 8 ans hyper souriants qui sautaient entre les tombes, au milieu d’os humains. L’odeur, je n’en parle même pas. Ça ne laisse pas insensible ce genre de choses, d’autant plus que j’ai un enfant à peu près du même âge.
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Avais-tu beaucoup de préjugés sur les gangs avant de partir ?
J’appréhendais à l’idée de découvrir un univers inconnu, je me disais : “Bon, il y en a deux tiers qui n’ont pas forcément fait des trucs très légaux” mais plus ça allait, plus j’ai eu confiance dans ma façon d’être avec eux. Je me disais que dans le pire des cas, j’allais me faire dépouiller de mon matériel et que je n’avais qu’à tester, mais au final il ne m’est jamais rien arrivé, et j’ai eu encore plus confiance.
Ceci dit, ils sont quand même assez rudes. Je rigolais avec certains d’entre eux mais leur déconne peut vite vriller. Un jour, l’un d’eux m’avait fait une blague pendant qu’on prenait des photos dans la rue. Il y avait un mec de la sécurité armé un peu plus loin parce qu’on était à côté d’une fabrique de tabac. L’homme avec qui j’étais m’a dit : “Tu veux que j’aille lui voler son arme pour qu’on fasse des photos avec ?” Il l’a dit en rigolant mais j’ai senti qu’il ne fallait pas trop que j’insiste parce que je pense que la blague aurait vite pu devenir réelle.
Y a-t-il beaucoup de femmes dans ces gangs ?
Parmi tous les gangs que j’ai vus, je n’ai rencontré qu’une seule femme membre. Son nom est Spize Ramos, elle fait du rap et elle est hyper respectée. Même lorsqu’il s’agit de leurs enfants, ils mettent davantage en avant les petits garçons.
C’était compliqué de les convaincre d’être pris en photo, d’autant plus par un Français ?
Non, au contraire, le fait d’être Français m’a plutôt aidé. Ils utilisent pas mal de photos et de vidéos pour montrer leur quotidien, c’est une sorte d’outil de communication pour eux. Ils étaient contents de voir les tirages et que leur image voyage parce qu’ils sont très fiers d’être membres de gangs.
Il y a des membres très célèbres, notamment Marcial Perez Ama, un enfant qui est parti tout jeune en prison et a vécu des choses affreuses là-bas. À 13 ans, il est devenu le boss de la prison. Aujourd’hui, il est mort mais son visage est hyper connu et les membres de gangs aiment bien mettre un T-shirt à son effigie. L’imagerie est très importante.
Pourquoi avoir choisi exclusivement le noir et blanc ?
J’avais un peu l’impression d’être arrivé au bout d’un cycle autour de la couleur et du numérique donc je suis passée au noir et blanc et à l’argentique, c’était une sorte de défi ! Depuis cinq ans que je fais de la photo et de la vidéo, à chaque fois que j’arrive au bout d’un cycle, je me fixe un nouvel objectif.
Dernièrement, j’ai découvert l’argentique. J’ai commencé à faire des essais, quasiment uniquement au noir et blanc. Mon premier sujet, c’était autour de la weed : des fumeurs, des dealeurs, des mecs qui font pousser… Je trouvais le noir et blanc très intéressant à travailler avec la fumée. À Manille, le noir et blanc fonctionnait bien, donc j’ai continué à me perfectionner là-dedans.
Tu as acquis des compétences photographiques supplémentaires aux Philippines ?
Le défi de l’argentique m’a beaucoup appris sur le cadrage. Avant, je photographiais à l’instinct. Je prenais 500 photos et si je n’en gardais que cinq, ce n’était pas grave. Là, j’étais davantage dans la réflexion, notamment par rapport à la lumière – que j’aime toujours naturelle – et aux ombres.
Tu shootais seulement au numérique ?
En plus de mon argentique, j’avais un appareil numérique parce que, malgré mon défi de la pellicule, c’est toujours cool de pouvoir montrer des photos aux gens directement et ça permet de voir ce qu’on fait et de s’améliorer.
Il y a deux parties dans ce projet : une partie avec les gangs mise en scène et posée, dirigée par eux et moi. Et une partie avec les enfants des rues, qui se rapproche davantage de la photo documentaire.
Quels sont tes prochains projets ?
Mon prochain projet, c’est de retourner à Manille pour mieux comprendre le quotidien des membres de gang et mieux les cerner. Plein de membres ont d’autres métiers, certains sont livreurs, l’un d’eux était policier. Il y a encore plein de choses à découvrir.
La KI Galerie exposera les photos de Piko Paseos à partir du 7 septembre. Vous pouvez retrouver les photos de Piko sur son compte Instagram et son compte Facebook, et ses vidéos ici.