Paris Photo 2018 : le collectif #LaPartDesFemmes s’engage pour plus d’égalité dans le monde de l’art

Publié le par Lisa Miquet,

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Quand des photographes réclament la visibilité qu’elles méritent.

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(© Miguel Bruna/Unsplash)

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Des extraits littéraires étudiés en cours de français à l’école jusqu’aux films que nous regardons au cinéma, en passant par les peintres exposés dans nos musées, nous consommons, sans même nous en rendre compte, des contenus créés en grande majorité par des hommes. S’il existe bien évidemment des Simone de Beauvoir, Agnès Varda et autres Niki de Saint Phalles, leur présence dans le paysage médiatique et artistique font encore figure d’exception.

Depuis des siècles, les femmes sont invisibilisées dans l’histoire de l’art. Si certaines sont restées cachées derrière un nom masculin, comme Gerda Taro, dont nombre de ses images ont été signées Robert Capa, d’autres ont été évincées, oubliées, en dépit de leur talent et de la qualité de leurs travaux.

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C’est pour lutter contre cette invisibilisation des femmes que le ministère de la Culture et Paris Photo ont décidé de les mettre à l’honneur pour cette édition 2018. Elle se traduit par un parcours dédié intitulé “Elles x Paris Photo“, pensé par la commissaire Fannie Escoulen. L’occasion de voir qu’il y a eu et qu’il y a encore des femmes photographes importantes dans l’histoire qui méritent aussi d’être mise en avant.

Dans le cadre de ce parcours, Paris Photo accueille le collectif #LaPartdesFemmes, engagé en faveur de la visibilité et de la reconnaissance des femmes photographes, qui dévoilera son Manifeste pour la photographie. Pour mieux comprendre cet événement mais aussi les inégalités du secteur, nous avons échangé avec Marie Docher, réalisatrice du documentaire Ni vues ni connues, porteuse de l’initiative, qui en août déjà avait lancé une pétition pour dénoncer le manque de femmes exposées aux Rencontres d’Arles.

Cheese | Les femmes photographes sont très représentées dans les écoles, pourquoi sont-elles moins visibles une fois sur le marché du travail ?

Marie Docher | C’est une réalité et ça se met en place très rapidement. Deux ans après leur sortie d’école, on remarque qu’elles n’ont pas décollé ou qu’elles ont disparu du circuit. Il y a plusieurs raisons à cela qui se cumulent : d’abord, le fait qu’on est dans une société qui est sexiste. On le voit, il y a moins de femmes à des postes de direction, elles sont moins bien payées et ce dans une grande majorité des secteurs.

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Dans le domaine de la photo, il y a des particularités, notamment des croyances très ancrées, comme celle que le talent est d’essence masculine. Il y a le fait que les hommes profs, élèves, galeristes restent dans une sorte d’entre-soi masculin, parfois sans même s’en rendre compte. Il y a aussi très vite des questions de maternité qui sont encore majoritairement à la charge des femmes et même s’il n’y a pas de maternité, il y a toujours un soupçon : “Elle va faire des enfants, ça va nuire à sa carrière donc autant lui nuire tout de suite, comme ça s’est fait.”

Enfin, il y a aussi le fait que les femmes ne sont pas sociabilisées de manière à prendre de la place, à prendre l’espace, à s’imposer, même si ça commence à changer. Et ça, ça compte aussi beaucoup.

© Joann Caliss avec l’aimable autorisation de la Rose Gallery.

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Pensez-vous que cette absence des femmes dans les expositions empêche certaines de se lancer par manque de rôle-modèle ?

Oui, bien sûr, et puis il y a l’histoire de l’art qui joue aussi là-dedans. Il y a beaucoup de commissaires d’exposition – hommes comme femmes d’ailleurs – qui n’ont étudié l’histoire de la photographie qu’à travers le prisme des photographes masculins. Les femmes ont été effacées de l’histoire de l’art et de la photo, alors qu’il y en a toujours eu, comme le rappelle l’exposition “Qui a peur des femmes photographes ? 1839-1945” qui avait lieu au Musée d’Orsay et qui montrait qu’elles étaient là, massivement, depuis le début. Il y a cette croyance qu’elles n’existaient pas, on entend encore très facilement des gens dire aujourd’hui : “Avant les années 1970, il n’y avait pas de femmes photographes”, alors que c’est totalement faux !

Vous avez dénoncé le manque de parité aux Rencontres d’Arles, est-ce que vous avez été entendues ? Quelle a été la réaction du directeur des Rencontres ?

Moi, mon but dans la vie, ce n’est pas d’avoir la parité absolue, mais quand il y a un trop gros décalage, il faut agir. Les femmes sont beaucoup moins récompensées, moins sélectionnées, moins exposées.

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Début août, j’ai vu sur les réseaux sociaux que beaucoup de femmes étaient dérangées par ce manque d’égalité et disaient qu’elles feraient des manifestations l’année prochaine. Mais je me suis dit : “On ne va être mise à l’écart une année de plus.” Il y a un collectif qui s’est créé très rapidement, on a essayé de faire passer le message. Mais non, nous n’avons eu aucune réponse officielle.

Que répondriez-vous à l’argument : “on ne voit pas le genre, c’est le travail qu’on regarde” ?

Les gens ne se rendent souvent pas compte que pour avoir le choix et pour qu’un commissaire d’exposition prenne la décision d’exposer quelqu’un, il faut déjà que le dossier arrive sur la table. Le parcours pour que le dossier d’une femme arrive sur le bureau d’un décisionnaire est beaucoup plus complexe que pour un homme.

Ce chemin, beaucoup de professionnels de l’art n’ont pas conscience qu’il est très compliqué. Les gens qui ne vivent pas une discrimination ne se rendent même pas compte qu’elle existe. Il faut les forcer à regarder, et souvent, quand on les oblige à regarder le travail de femmes photographes, ils sont surpris de la qualité.

Si on ne contraint pas avec des politiques publiques exigeantes, ça ne progresse pas, voire ça recule. En dix ans, d’après les derniers rapports, la place des femmes dans la culture a régressé. Elle régresse parce que le gâteau est de plus en plus petit pour les artistes et donc la part qui disparaît, c’est souvent celle des femmes.

Paris Photo 2017 – Grand Palais. (© Florent Drillon)

Vous pointez aussi du doigt le fait que les événements majeurs de la photographie, comme les Rencontres d’Arles, sont financés en grande partie par l’argent public. Nos impôts servent-ils principalement aux hommes ?

La force publique a toujours fabriqué des artistes masculins, c’est ça le problème. Mais là, il y a des choses qui sont en train de changer, le ministère de la Culture s’est emparé du sujet, il y a eu beaucoup de travail avec des associations, des sociologues, des statisticiens : le ministère va rapidement passer à l’acte et ça va changer la donne.

Si toutes les institutions qui dépendent du ministère ont des objectifs de contenus – c’est-à-dire le nombre de femmes exposées – mais aussi des objectifs d’égalité en termes de direction d’institution, ça va forcément faire bouger les choses. C’est un tournant majeur qui se prépare.

Certains événements ont mis les “femmes à l’honneur” comme Paris Photo cette année. Qu’en pensez-vous ?

Il y a tout un programme et c’est très bien. Fannie Escoulen a réuni plein d’intervenantes passionnantes. La couverture du catalogue, c’est une femme noire qui a été photographiée par une femme. Là, on voit que ça bouge et ça fait du bien, cela va permettre aux professionnels mais aussi au grand public de découvrir les travaux de femmes qui sont talentueuses et qui méritent leur place.

Fannie Escoulen. (© Pauline Fargue)

Vous parlez surtout du manque de parité dans la photographie mais peut-on parler d’un manque de diversité plus large ?

Oui, c’est massif. Les discriminations se croisent et se cumulent, c’est choquant. C’est important de souligner qu’il y a aussi un problème de racisme dans le monde de l’art, c’est un petit milieu d’hommes occidentaux qui ont la prétention de représenter le monde entier. Il est important d’inclure les femmes dans les expositions mais aussi des personnes de différentes origines.

En quoi consiste votre manifeste qui va être dévoilé le 8 novembre prochain à Paris Photo ?

C’est un texte qu’on a écrit avec le collectif, un texte qui dénonce, qui essaie de sensibiliser et de faire changer les choses notamment sur le sexisme et racisme dans le monde de l’art et de la photographie. On a essayé de faire un texte assez fort pour faire bouger les mentalités mais aussi gagner de l’espace médiatique. Il est important qu’on en parle.

Si vous êtes à Paris Photo le 8 novembre prochain, le manifeste du collectif #LaPartdesFemmes sera dévoilé à 14 heures dans le cadre du programme de conversation “La femme, cette exception” sur la scène de l’auditorium du Grand Palais, à Paris.

Pour plus d’informations sur le sujet, vous pouvez visionner le documentaire Ni vues ni connues, réalisé par Marie Docher, suivre son blog Atlantes et Cariatides ou encore le site Visuelles Art.