C’est une déambulation somnambule “à travers l’épaisseur de la nuit” qui vous attend à la Conciergerie. L’exposition de Théo Mercier, “Outremonde”, et son troisième volet “The Sleeping Chapter” vous embarquent pour une “traversée réparatrice dans les sommeils et les rêves blessés”. Dans son travail, l’artiste français se plaît à fusionner théâtralité et muséographie pour mener des réflexions autour du “paysage, de l’histoire, de l’anthropologie, de la géopolitique et du tourisme”.
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Pour l’occasion, la salle des Gens d’Armes est totalement transformée en un désert “vivant”, en “un abri des rêves” et “une cathédrale des sommeils” composée d’impressionnantes sculptures de sable qui résonnent avec l’architecture. Des “lits fraîchement défaits”, “les plis des draps”, “des chiens veillant” sur les dormeur·se·s, “l’empreinte des corps” chauds, “l’écho des souffles et des pulsations”… Ces œuvres ont été pensées sur-mesure pour le lieu et sont accompagnées d’une “installation sonore et lumineuse”.
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Samedi dernier, nous avons eu la chance de participer à l’une des performances proposées par Théo Mercier dans le cadre du Festival d’automne, à Paris. Nous nous sommes engouffrées dans les douloureux songes somnambules de cet enfant triste.
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Le deuil d’une famille
Outremonde: The Sleeping Chapter semble encapsuler une histoire de deuil. Celui d’un petit garçon qui pleure son chien et le retrouve dans un sommeil profond. C’est en tout cas le récit que nous avons décidé d’imaginer autour de cette œuvre qui se jouait en direct sous nos yeux.
L’éclairage sombre nous laissait toutefois deviner les arcanes et la beauté architecturale du lieu. Les sculptures de sable de l’exposition servaient à annoncer chaque acte, et nous fûmes d’emblée invitées à suivre ce théâtre vivant, à mesure qu’avançaient les personnages, à prendre possession de l’espace dans la limite de leurs déplacements.
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La performance s’est ouverte avec notre héros et un homme à queue, incarnant un chien, inerte au sol. Le chien revient à la vie et suit son maître. Cette figure canine, nous la retrouverons à chaque “tableau”, comme un spectre veillant sur l’enfant, près de lits et matelas.
Voilà le chien qui s’endort de nouveau. Dans un geste magique, l’enfant déterre d’une dune de sable une jeune femme endormie, peut-être sa mère. Il la guide et l’articule comme un pantin. Elle rejoint le chien, le caresse, semble dévouée à l’enfant. Plus loin, une vieille dame en robe de chambre creuse dans le sable et se met à jouer à la balle avec le chien, de nouveau éveillé. Cela peut être la grand-mère du héros.
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En murmurant, nous nous disons que le jeu de l’homme-chien nous fait grandement penser à celui de l’artiste Oleg Kulik, connu pour ses incarnations d’animaux sauvages, popularisé grâce au film The Square de Ruben Östlund. Dans le “rêve” suivant, c’est une autre scène qui se joue : celle d’un pendu qui se meut. L’homme tatoué est attaché à une corde, tête en bas, tandis que l’enfant se repose à ses côtés.
L’avant-dernier chapitre du spectacle révèle une chorégraphie entre l’enfant et une figure paternelle, un homme qui le fait valser, capable de le contrôler. Cet épisode marque l’endormissement de l’enfant. Émerveillées par la poésie de cet instant, nous commençons petit à petit à ressentir la perte, la solitude profonde du garçon attristé mais enfin apaisé.
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Le show se clôt sur la grand-mère, creusant de nouveau dans le sable, entourée d’autres chiens, de nombreux autres chiens, comme si elle s’apprêtait à les enterrer. Comme si traverser un deuil revenait à rejouer inlassablement la mort, à repenser au tragique instant où l’être aimé bascula de l’autre côté, à expérimenter de multiples pertes comme celle de son innocence, de son amour ou d’une simple présence. Peut-être que l’animal n’est pas mort en fin de compte. Peut-être qu’il s’agit simplement d’une peur d’enfant, d’un banal cauchemar : “J’ai rêvé que mon chien mourrait.” Le chien s’allonge, l’enfant aussi. Et le public applaudit.
“Outremonde: The Sleeping Chapter” de Théo Mercier est à visiter jusqu’au 8 janvier 2023 à la Conciergerie (Paris), dans le cadre du Festival d’automne.