Des bruits chelous, qui semblent être un mélange de crissements et de cris de jouissance, sortent d’une vieille enceinte de mauvaise qualité installée derrière mon oreille droite. Je suis installé dans un vieux siège au cuir noir élimé, dans une petite pièce sombre et défraîchie.
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Dans la cabine d’à côté, à un peu plus d’un mètre, j’entends de temps à autre un vieux bonhomme se tripoter le Knacki et des bruits de son porno me parviennent. C’est un peu angoissant, un peu étrange et un peu fun. C’est aussi ma première exposition depuis un an. Dans une cabine de visionnage d’un sex-shop de la rue Saint-Denis, à Paris.
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Ce que je regarde, depuis mon siège antique, c’est un film porno. Il est toutefois un peu différent de celui que mon camarade voisin observe. Derrière le Plexiglas qui protège l’écran, je ne distingue ni vagins, ni seins, ni verges – ou à peine, malgré mes tentatives répétées –, juste des formes, des peaux et des fluides qui se mêlent sans cesse, dans un tourbillon d’images lancinantes et mécaniques.
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C’est le studio de création u2p050, en résidence à la Gaîté Lyrique, qui a mis au point cette exposition vidéo d’art porno, cherchant à mêler “philosophie et technologie”. L’œuvre Porn-O-Topie donne un point de vue “machinique” au porno, selon les dires de deux membres du studio, Hugo et Félix, rencontrés après mon visionnage dans un coin de rue faute de cafés ouverts.
“L’intelligence artificielle n’a jamais vu d’images réelles, elle ne traite que des données”, m’expliquent-ils. La base de données utilisée par le programme compile 3 000 images, toutes issues de vieux pornos gonzos allemands. L’IA traite les données et les utilise un peu à sa manière, c’est-à-dire sans que les artistes ne cherchent à donner des formes faisant sens à nos yeux humains.
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Ce porno réalisé par machine, c’est une manière de “voyager à travers l’univers médiatique du porno” en reprenant des antiquités – les vieux gonzos amateurs – à l’heure de YouPorn, dans un endroit qui date lui aussi d’un autre temps, en l’occurrence, la cabine dégarnie d’un vieux sex-shop. Le son, que je croyais être laissé au hasard, a en fait été pris par un stéthoscope attaché à un micro-cravate, qui a enregistré les battements de cœur d’amant·e·s complices pendant leurs ébats.
Dans ma cabine de visionnage porno de la rue Saint-Denis, j’ai passé un moment à la fois glauque et envoûtant. Un peu drôle aussi, dans un endroit qui respire l’authenticité sale d’un Paris que l’on a tendance à oublier. Allez-y la braguette fermée et les yeux ouverts, pour sortir un brin de la morosité des expos que l’on a oubliées.
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L’exposition est à voir dans l’une des cabines du Love Shop, au 283 rue Saint-Denis, à Paris, pour 8 euros jusqu’au 30 avril 2021. Des VHS et DVD du film sont également en vente.