L’univers de Marcus Brutus se trouve au croisement de plusieurs mondes : celui de son imagination et celui de l’histoire humaine ; celui de l’anthropologie et celui des émotions ; celui de la figuration et des limites de l’abstraction. À Paris, le peintre expose une quinzaine de larges toiles réalisées en 2022 qui nous plongent dans le quotidien de personnes haïtiennes ayant quitté leur pays d’origine pour le Canada, entre les années 1960 et 1980.
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Lui-même d’origine haïtienne, ayant grandi aux États-Unis en tant qu’“Américain de première génération”, Marcus Brutus indique que sa “compréhension de [ses] origines haïtiennes et africaines émane de sources de seconde main, qu’il s’agisse de la famille, de littérature, de documentaires ou de musique”. Ses œuvres sont des composites de ces multiples sources, avec une même constante : tous les personnages qui les peuplent sont noirs.
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Ainsi, même lorsqu’il s’inspire d’une scène de film ou d’un reportage qui montre une personne blanche, Marcus Brutus mettra en avant un visage noir, avec une insistance particulière sur des éléments chargés de significations. Les coiffures notamment, sont porteuses d’histoire(s), au pluriel et au singulier, avec et sans majuscule, glanée(s) dans les nombreux livres consultés par l’artiste.
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Sur son compte Instagram, il partage les moodboards qui dallent le chemin de ses créations. Ces derniers mélangent ses “intérêts pour l’imagerie occidentale et pour les motifs haïtiens et ouest-africains”. À l’instar des personnages imaginaires de Lynette Yiadom-Boakye, les protagonistes de Marcus Brutus ne sont pas réels. Dans la galerie Stems, le jour de son vernissage, le peintre nous confie ne pas vouloir représenter ses proches ou des gens qui existent afin de ne devoir de comptes à personne et de proposer un “travail à but universel”, bien qu’il parte de ressentis et d’un vécu personnels.
L’exil, l’immigration et la double culture
Contant l’exil, l’immigration et la double culture, les toiles qui composent Poetics of Exile sont habitées par le mouvement, sous toutes ses formes. Les personnages – seuls, à deux ou à trois, pas plus – filent à vélo, montent à cheval, ou pêchent à bord d’une barque. Les quelques figures immobiles sont en lien avec l’idée de mouvement : dans le vent, dans l’ennui, dans l’attente d’un départ ou devant des véhicules.
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Les silhouettes attrapent l’œil du public, entre la folle minutie accordée aux visages, imprégnés d’un expressionnisme quasi dramatique, et les coups de pinceau réalisés de façon instinctive par l’artiste qui façonnent pantalons, crinières de chevaux ou cours d’eau. Les personnages sont formés d’ondulations, comme un rappel du mouvement qui les traverse, souvent de génération en génération.
Les cadrages choisis par Marcus Brutus sont rigoureusement réfléchis. Ils coupent tantôt un morceau de crâne, tantôt un bout de roue, conférant aux toiles une dimension cinématographique et prouvant à qui les regarde que l’histoire entière n’est pas en sa possession. Au contraire, ces coupes rapportent une histoire complexe, qu’il convient d’étudier, d’écouter, de mettre en valeur.
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Les mouvements des tableaux, métaphoriques et figuratifs, font entrer le public dans les toiles. Elles impressionnent par leur taille et par leurs couleurs, en aplats ou très texturées. Derrière les protagonistes, les paysages se conforment à leurs contours, preuve de la force des personnages, de leur pouvoir sur leur environnement.
Mais Marcus Brutus n’omet pas la vulnérabilité, les obstacles et les fragilités. Dans Threaded Journey, la femme assise dans le métro lit un livre aux pages blanches, laissant libre le champ des interprétations : est-ce parce que l’histoire qu’elle lit est moins importante que la sienne ou parce que son histoire à elle n’a pas encore été écrite ? On peut en tout cas y lire un écho aux paroles de Maya Angelou citées par la galerie : “Il n’y a pas plus puissante agonie que celle de porter au fond de soi une histoire qui n’a jamais été dite.”
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Dans la lignée de Lynette Yiadom-Boakye, Kerry James Marshall, Jacob Lawrence ou Jordan Casteel, Marcus Brutus affirme la nécessité de la représentation noire dans l’histoire de l’art occidental – une représentation qui a souvent manqué ou a été fétichisée. Figure de la “Black Figuration”, le peintre crée un nouvel espace spatio-temporel où le passé est interrogé et mis en lumière “dans un contexte contemporain”.
L’exposition de Marcus Brutus, “Poetics of Exile”, est à voir à la galerie Stems, à Paris, jusqu’au 4 février 2023.