La première rétrospective en France de l’artiste égyptienne Ghada Amer se déploie dans trois lieux marseillais jusqu’au 16 avril 2023, comme autant de facettes d’un parcours qui, de la broderie à la sculpture, n’a cessé d’affirmer la liberté de la femme.
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“À l’école, le nu féminin était ma matière préférée”, raconte l’artiste plasticienne de 59 ans, née en Égypte mais qui a grandi en France au milieu des années 1970. Mon évolution artistique “s’est faite un peu par des hasards, par des accidents, par des empêchements dont le premier a été de ne pas avoir accès à des cours de peinture” lors de ses études à Nice, raconte Ghada Amer, qui vit depuis 25 ans aux États-Unis.
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“C’est pour cela que j’ai choisi de faire de la broderie”, même si “je n’aime pas particulièrement broder”, concède l’artiste, qui avait l’habitude de voir les femmes de sa famille coudre. Cet outil a été une façon “d’entrer dans l’art” pour Ghada Amer, connue pour ses grandes toiles brodées de fils colorés sur lesquelles se répètent des femmes aux poses pornographiques.
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Un monde sans hommes
“Je travaille beaucoup sur la représentation des femmes qui se font plaisir elles-mêmes, qui sont seules et qui n’ont pas besoin d’hommes”, explique-t-elle devant The Turkish Bath, l’une de ses toiles exposées au Mucem. Un sujet tabou qu’elle puise dans les revues pornographiques pour hommes afin de créer une “dichotomie” entre l’image représentée et le moyen utilisé, le fil, généralement associé à la vie domestique, et donc à la femme.
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“Il n’y a pas que dans le monde arabe, c’est tabou aussi aux États-Unis, en Corée. En faisant ce genre de travail, je découvre qui est coincé et qui ne l’est pas”, s’amuse celle qui est très peu exposée en Égypte. “Au début, j’ai beaucoup dessiné et peint des femmes qui sont au supermarché et je les ai brodées”, comme c’est le cas des toiles Cinq femmes au travail, présentées dans le volet “Witches and Bitches” de l’exposition, au Frac marseillais.
Puis Ghada Amer a voulu créer un contraste entre la broderie et des femmes représentées dans d’autres postures. C’est pourquoi “j’ai commencé à changer de modèle”, explique l’artiste qui voulait “peindre avec du fil et des aiguilles”.
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Défi artistique
C’est un autre “interdit” qui l’a amenée plus récemment à la céramique et à la sculpture en bronze, dont trois pièces monumentales, de grands paravents recouverts d’un visage de pin-up, sont visibles à la Vieille Charité : “On m’avait invitée au Mathaf de Doha pour faire partie d’une exposition et on m’a dit que c’était mieux si je ne présentais pas mes toiles érotiques brodées, ce que je comprenais complètement”, souligne-t-elle.
“Pour moi, ça a été une sorte de défi d’essayer quelque chose de complètement nouveau, casse-gueule”, relate Ghada Amer. La sculpture “me permet de m’échapper de toutes mes revendications politiques”. Ce sont des “œuvres qui n’avaient jamais été montrées” et “on tenait beaucoup à ce qu’il y ait cette part radicalement expérimentale de l’œuvre”, relève Philippe Dagen, l’un des commissaires de l’exposition.
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C’était “aussi pour Ghada une manière de montrer que la définition un peu simple qu’on avait donnée d’elle, d’une femme artiste qui brode et qui travaille d’après des imageries, avait certes été toute une partie de son travail mais que ce n’était ni la totalité ni même peut-être le futur de ce travail”, ajoute-t-il.
“Mon sujet, c’est la femme en général”, insiste Ghada Amer, qui a sciemment choisi de la représenter selon un canon occidental : “Si j’avais utilisé une femme soit asiatique, soit africaine, soit arabe, on aurait pu croire que le problème n’existe que chez ces femmes-là et ne nous touche pas, or, le problème [de l’émancipation] des femmes est mondial.”