Toufic Beyhum est né à Beyrouth et a passé une bonne partie de son enfance à Londres. Aujourd’hui, il vit en Namibie et se sert de sa passion pour la photographie, pour continuellement questionner les relations entre l’Orient et l’Occident. En 2018 déjà, il créait ses “amojis” (contraction d’“Africains” et “émojis”), des masques traditionnels revisités, afin de souligner l’importance grandissante des nouvelles technologies chinoises et américaines en Namibie.
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Depuis son arrivée dans ce pays du sud de l’Afrique, le photographe n’a cessé de remarquer “l’occidentalisation des jeunes générations”. Sa série Quiet Colonialism met en tension la façon dont “deux superpuissances mondiales, les États-Unis et la Chine”, influencent la société jusqu’à s’infiltrer dans ses habitudes et traditions, comme une nouvelle forme de “colonialisme silencieux”. Nous avons rencontré Toufic Beyhum, afin qu’il nous en dise plus sur son travail.
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Konbini arts : Bonjour Toufic. D’où vient ton constat, à l’origine de ta série Quiet Colonialism, de l’occidentalisation de la Namibie ?
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Toufic Beyhum : Selon moi, l’Afrique du Sud est complètement mangée par la mondialisation et cela coule sur la Namibie. Les plus jeunes mangent de la junk food, portent des habits occidentaux et celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se procurer tout cela vont dans notre quartier chinois, où on trouve les mêmes choses, en faux. […] Il y a des vendeurs namibiens aux alentours qui vendent des vêtements et de la nourriture traditionnelle, mais les gens préfèrent les faux trucs de Chinatown.
Pourquoi t’être concentré sur les États-Unis et la Chine ?
Soyons honnêtes : ce sont les deux superpuissances du monde, en ce qui concerne la junk food, les marques et les nouvelles technologies. Rien d’étonnant, donc au fait que ce soit ces pays qui nous influencent le plus. La Chine profite d’une plus grande présence ici que lorsque je suis arrivé, il y a quatre ans. Elle achète des mines, place des offres pour acquérir des territoires, ouvre des boutiques.
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La culture américaine a toujours été présente. Il y a des magasins Nike et Adidas partout. Il n’y a ni McDonald’s ni Burger King, mais on a des KFC et des fast-foods sud-africains, qui imitent les grandes chaînes.
Tu peux nous parler des peignes visibles dans tes images ?
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Les peignes pour coupes afros sont quelque chose de typiquement africain pour moi. Ils datent de plusieurs milliers d’années, j’en ai vu dans des musées, notamment certains qui sont faits de bois et sont magnifiquement décorés. Depuis les Black Panthers, ils représentent la fierté de la culture africaine. J’ai vu des jeunes gens en porter et je me suis rendu compte que le seul endroit où on pouvait les trouver, c’était Chinatown ! J’en ai acheté quelques-uns et ils étaient tous “made in China”.
Puis je me suis rendu compte que la culture chinoise était également portée sur les pinces à cheveux, qui peuvent marquer un statut social, par exemple. J’ai donc eu l’idée de concevoir mes propres peignes à afros, en ajoutant des mots en chinois, qui signifient “richesse”, “développement” ou “positif”.
Et les paniers ?
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C’est quelque chose de très traditionnel, notamment au nord. Ils sont souvent portés par les femmes âgées, mais ces femmes qui vendent des marchandises portent de plus en plus, dans leurs paniers, des objets en plastique (des pots, des bols et des accessoires de cuisine) fabriqués en Chine. Je voulais parler de cela.
Qui sont les personnes que tu as photographiées ?
Ce sont des Namibiens et des Namibiennes qui ont connu le colonialisme [la Namibie est un État indépendant depuis le 21 mars 1990, ndlr]. Ils ne sont pas mannequins, mais le sont devenus pour moi.
Pourquoi les avoir photographiés de dos et avoir laissé leurs ombres apparentes ?
Je voulais qu’on puisse se concentrer sur les peignes et le contenant des paniers. Si j’avais pris les modèles de face, leurs visages auraient constitué une trop grande distraction. En plus, je trouvais que le fait de ne pas voir leur visage était plus puissant, cela les rend plus mystérieux. On se demande qui ils sont.
J’adore les ombres, parce que si on ne regarde qu’elles, on ne peut pas vraiment deviner ce qu’ils portent. Je trouve qu’elles ressemblent aux affiches de voyage africaines des années 1950.
Vous pouvez retrouver Toufic Beyhum sur son site et sur son compte Instagram.