Du chatoyant Paysage aux oiseaux de Baya, peintre algérienne admirée des surréalistes, à une “mosaïque” murale jaune et bleue illustrant de récentes luttes environnementales, Marseille accueille après New York la diversité des artistes algérien·ne·s et de la diaspora depuis l’Indépendance.
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En février 2021, les manifestant·e·s du mouvement pro-démocratie du Hirak qui réclament un changement radical du système politique en Algérie ont recommencé à descendre dans la rue. Au même moment, de l’autre côté de la Méditerranée, à Marseille, devait s’ouvrir une exposition témoignant “de combats et d’engagements multiples pour l’émancipation dans toutes ses formes d’expression”, de 29 artistes algérien·ne·s et de la diaspora. La manifestation artistique devait durer jusqu’à mi-mai mais elle ne pourra pas voir le jour.
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Intitulée “En attendant Omar Gatlato”, en référence à un ouvrage de l’avocate et écrivaine féministe algérienne Wassyla Tamzali, cette exposition – dont un premier volet a été accueilli à la Wallach Art Gallery de New York – propose de découvrir 32 œuvres allant de 1965 à nos jours.
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“Comme un crève-cœur”, l’épidémie de Covid-19 et les restrictions qui en découlent ont privé le public de la rencontre physique avec les œuvres exposées à la Friche de la Belle de Mai, à Marseille, confie une des organisatrices. Marseille, dont justement “une partie importante du présent et de l’histoire est intimement liée à l’Algérie”, souligne Natasha Marie Llorens, commissaire de l’exposition.
Mais le centre d’art contemporain Triangle-Astérides, concepteur de cet événement unique en France, a mis en place une visite en ligne. “Regarder une œuvre à travers le numérique ne sera jamais la même chose, mais c’est bien quand même d’avoir utilisé ce qui nous reste aujourd’hui, le virtuel, pour pouvoir laisser un maximum de personnes découvrir au moins l’identité de chaque artiste, une œuvre, un concept”, souligne pour l’AFP Halida Boughriet, artiste française, fille d’immigré·e·s algérien·ne·s, née en 1980 à Lens.
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“Il n’y a plus de frontières”
Si elle a hésité un temps à participer à une exposition centrée sur un pays, elle se réjouit finalement d’être aux côtés “des meilleurs artistes algériens” dans un ensemble montrant diversité et quête de liberté.
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“Dans cette exposition, on ne parle pas de nationalisme, au contraire, on parle d’exil, d’émancipation, de politique, d’émotions personnelles, humaines, c’est magnifique, c’est là où il n’y a plus de frontières”, insiste-t-elle. Dans Corps de masse, Halida Boughriet a filmé, au ralenti, des familles de Saint-Denis (en région parisienne), s’enlaçant dans un geste de mémoire affectif avant de se séparer. Les scènes tournées au musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis, avec une lumière naturelle, illustrent la beauté des liens humains, mais aussi leur fragilité.
Halida Boughriet se réjouit d’être exposée avec les gouaches colorées et oniriques de Baya. Orpheline à l’âge de 5 ans, cette Algérienne née en 1931, quand l’Algérie était encore une colonie française, fut qualifiée de “reine” par l’écrivain André Breton. Après avoir côtoyé Picasso ou Braque, elle s’arrêtera de peindre pendant dix ans après son mariage, puis reprendra.
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Louisa Babari, qui vit et travaille entre Alger et Paris, présente une œuvre évoquant Djamila Bouhired, héroïne de l’Indépendance, torturée, condamnée à mort “pour des actes terroristes” puis libérée à la fin de la colonisation française en 1962. Discrète après l’Indépendance, l’ancienne militante a pris part à des marches hebdomadaires du Hirak, un geste hautement symbolique, dont récemment lors de la Journée internationale des droits des femmes.
“Les femmes ont toujours été très présentes dans la contestation algérienne”, rappelle Louisa Babari, dont l’installation fait entendre sa fille de 6 ans lire un extrait de Pour Djamila Bouhired, écrit par l’avocat et militant français Jacques Vergès, qui défendit cette femme en pleine guerre. L’exposition permet aussi de découvrir une création de Sara Sadik, jeune artiste vivant à Marseille, qui puise dans l’univers graphique des jeux vidéo et dans la culture “beurcore” pour raconter les aspirations de Zine, jeune homme des quartiers populaires.
Avec son papier peint mosaïque Non au gaz de schiste, l’Algérien Mourad Krinah raconte les luttes de la jeunesse pour l’environnement. Pour Louisa Babari, “l’exposition donne à voir une Algérie très diverse, elle casse les préjugés, l’idée que les Algériens sont un peuple homogène, ce cliché qui est un élément du racisme et du colonialisme”.
Vous pouvez visiter l’exposition collective “En attendant Omar Gatlato” en ligne ici.
Avec AFP.