Marché de l’art : les règles anti-blanchiment à l’assaut de la culture du secret

Publié le par Konbini avec AFP,

© Anne-Christine Poujoulat/AFP

Les nouvelles réglementations anti-blanchiment auront-elles raison de la culture du secret bien ancrée dans le marché de l’art ?

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Dans le petit monde de l’art et des enchères, on défend corps et biens de vieilles habitudes de discrétion qui favorisent les transactions. Depuis toujours, les riches collectionneur·se·s apprécient la confidentialité, qui fait aussi partie de l’univers mystérieux des maisons de ventes.

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Quand un tableau de Sandro Botticelli a été adjugé le mois dernier 92 millions de dollars chez Sotheby’s à New York, on a supputé que l’acquéreur était un oligarque russe, car l’offre avait été faite par un conseiller de Russes fortuné·e·s. Mais la réalité n’est pas aussi simple, remarque Scott Reyburn, journaliste spécialisé pour le podcast The Week in Art : “Parfois, des collectionneurs très fortunés font appel à des enchérisseurs dont les noms évoquent telle ou telle nationalité… pour garantir leur propre anonymat et brouiller les pistes.”

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Aujourd’hui, les régulateur·rice·s en Europe comme aux États-Unis veulent en finir avec la pratique du secret, qui représente aussi une aubaine pour les réseaux criminels. Les nouvelles réglementations contre le blanchiment stipulent que les négociant·e·s d’objets d’art et d’antiquités au Royaume-Uni et dans l’Union européenne doivent désormais renseigner les véritables bénéficiaires de leurs ventes. Le congrès américain a approuvé une législation semblable qui pourrait entrer en vigueur d’ici 2022. 

Vrai Basquiat, faux papiers

Certaines affaires retentissantes de la dernière décennie ont servi à justifier ce serrage de vis : comme lorsque le banquier brésilien Edemar Cid Ferreira avait acheté un Basquiat pour huit millions de dollars puis l’avait expédié dans un centre de stockage new-yorkais avec de faux papiers de douanes chiffrant l’œuvre à 100 dollars.

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Mais certain·e·s marchand·e·s d’art se plaignent d’être dépeint·e·s systématiquement comme des appâts pour les milieux criminels. “La difficulté, c’est que les autorités de régulation nous disent qu’on ne dénonce pas assez de gens. Or, on leur explique qu’on ne les dénonce pas parce qu’on n’a pas fait affaire avec eux”, explique Marion Papillon, présidente du Comité national des galeries d’art. “Dès qu’on sent quelque chose d’un peu louche, on met fin à la relation. C’est très difficile à expliquer” à l’office anti-blanchiment français Tracfin, qui voudrait “qu’on aille au bout de la transaction pour qu’on puisse dénoncer”.

Les négociant·e·s d’art craignent aussi un impact financier négatif, le secret entourant l’identité de leurs client·e·s étant leur atout le plus apprécié. “C’est un milieu très dur, observe Tom Christopherson, consultant de la maison de ventes Bonhams à Londres. Dès que quelque chose se vend cher, dans les secondes qui suivent, tout le marché de l’art va chercher à savoir qui était l’enchérisseur.”

Des coûts additionnels s’ajoutent, les petites galeries indépendantes devant mener des recherches sur les antécédents de leurs client·e·s, comme si elles étaient des banques. “Beaucoup des négociants travaillant sur de petits volumes connaissent leurs clients, mais ils n’ont probablement pas les ressources pour documenter ces recherches. Ce milieu n’est pas bon en bureaucratie”, selon M. Christopherson.

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Blockchain et Spritz

De Londres à Paris, les galeristes font aussi valoir que les régulateur·rice·s enquêtent aux mauvais endroits, et que les malfaiteur·se·s vont privilégier les transactions anonymes en ligne. Pour autant, l’essentiel du marché de l’art occidental admet que les beaux jours du club privé confidentiel sont révolus. Sachant aussi que l’opinion ne pleurera pas sur le sort des riches collectionneur·se·s qui perdront leur anonymat.

Avec les nouvelles régulations, comment ces marchand·e·s de la vieille école s’adapteront ? Une possibilité est que ces dernier·ère·s utilisent des technologies comme la blockchain pour “permettre de continuer à garantir la confidentialité tout en gardant une trace des achats”, estime Amy Whitaker, spécialiste du marché de l’art à la New York University. Mais cela requiert une révolution culturelle dans un secteur où “pas mal de gens en sont encore à imprimer leurs mails”, note-t-elle.

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Des marchand·e·s pourraient préférer opter pour des ventes en catimini entre vieilles connaissances que de se confronter à un casse-tête bureaucratique. “On se retrouve avec d’un côté une incitation à développer une technologie digne de la science-fiction, et de l’autre la réalité de deux personnes qui continuent de négocier leurs affaires autour d’un Spritz”, résume avec humour Mme Whitaker.

Avec AFP.