C’est un visage anonyme qui s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires à travers le monde. Qui est cet homme figurant sur la pochette du premier album studio qui rendra célèbres les Arctic Monkeys ? Il fume une cigarette. Cet homme, imprimé en noir et blanc sur la cover de Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not, c’est Chris McClure. Et en 2016, il s’est confié sur les coulisses de ce shooting pas comme les autres.
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En réalité, ce visage n’était pas si anonyme pour la petite scène rock british de l’époque. Chris McClure était le leader et chanteur du groupe The Violet Man, le frère de Jon McClure du groupe Reverend and the Makers, et un ami des Arctic Monkeys. Les trois groupes partageaient d’ailleurs le même producteur.
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À l’époque, l’organisme de santé britannique avait critiqué la cover : elle laisserait entendre que “fumer était inoffensif”. L’agent du groupe avait rétorqué que c’était l’inverse, la photo révèle bien que “fumer ne le montre pas sous son meilleur jour”. Cela n’a pas empêché certains affichages publicitaires de censurer la cigarette qui apparaît sur l’image, au moment de la promotion de l’album.
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“Je ne sais pas pourquoi ils m’ont choisi. Je pense qu’ils voulaient quelqu’un de normal.”
Imaginée par Matthew Cooper et photographiée par Alex Wolkowicz, cette pochette raconte l’histoire d’une nuit bien arrosée pour McClure : “Tout était flou.” Elle a été prise au petit matin, après deux heures, dans un bar répondant au doux nom de Korova, à Liverpool. Le brief des Arctic Monkeys était simple comme bonjour : “Voici une centaine de livres Sterling, va dans un bar et bourre-toi la gueule avec ton meilleur ami et ton cousin.” “Pourquoi pas ? […] On a tout dépensé”, raconte McClure.
Quand il repense à ces années-là, Chris McClure résume : “Tout le monde voulait savoir qui j’étais”, ce qui résonne pas mal avec le titre de l’album – inspiré du livre Samedi soir, dimanche matin d’Alan Sillitoe. L’album explore en effet le thème de l’alcoolisme et la vie festive de jeunes hommes anglais dans les années 2000.
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“J’ai rencontré les Arctic Monkeys dans un Noctilien. Nous avions 16 ans. On allait aux mêmes concerts de Sheffield, et on se retrouvait à chaque fois dans le bus 77 – donc on est devenus amis. Quand ils ont débuté leur première tournée, j’étais leur technicien guitare : je ne savais même pas accorder une guitare mais je pense qu’ils voulaient juste que je fasse partie de la bande”, se rappelle Chris auprès du Guardian.
Chris McClure était alors étudiant en sociologie dans une université de Manchester. Le bassiste du groupe, Andy Nicholson, rompt sa routine en lui proposant de faire des photos d’un homme en soirée, omettant que ces photos serviraient à illustrer la pochette d’un album qui se vendra à plus de 1,5 million d’exemplaires au Royaume-Uni. Ils ne pouvaient pas réellement l’anticiper.
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“Je ne sais pas pourquoi ils m’ont choisi. Je n’ai jamais demandé. Je pense qu’ils voulaient simplement quelqu’un de normal. […] Il y avait une petite salle sous le bar, nous avons fait les photos là, ils m’ont assis sur un tabouret. Ils m’ont donné plus de whisky, et j’ai vomi à mi-chemin”, se remémore-t-il.
Les Arctic Monkeys – qui n’étaient pas présents ce jour-là – ont adoré les photos qu’il avait réalisées avec le directeur artistique, la photographe et leurs assistant·e·s. Ils ont immédiatement décidé que ces clichés feraient la pochette et son dos. Pour cette nuit, le label l’a payé 750 livres Sterling, une maigre somme : “J’aurais dû demander 10 % sur la vente de chaque album”, s’amuse Chris.
Sur la première face, on le voit fumant, yeux mi-clos, l’air anesthésié. Sur la seconde, il se gratte l’œil et se détourne de l’objectif, en tenant sa cigarette. Cet événement a rendu sa vie estudiantine “surréaliste”, rapporte McClure. “J’étais super content mais je ne me doutais pas que cela allait faire ce carton. Le jour de la sortie de l’album, en janvier 2006, j’ai pensé : ‘Dans quelle merde je me suis fourré ?’ Ce lundi, mon téléphone n’a pas arrêté de sonner. C’était dingue ; j’étais noyé dans la gloire. Je bossais dans un bar à mi-temps et mon boss m’a prévenu qu’il y avait quinze journalistes qui me cherchaient, cinq autres étaient devant la maison de ma maman.”
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“La chaîne E4 m’a demandé de présenter des émissions. Le ‘Daily Star’ m’a offert 10 000 livres Sterling pour laisser un photographe m’accompagner pendant une soirée, avec des mannequins. Quand vous avez 19 ans, ce n’est pas facile de refuser mais je ne voulais pas trahir le groupe. J’ai tout refusé sauf les interviews avec ‘Soccer AM’ et BBC News. […]
J’allais à des soirées et je voyais mon visage placardé dans les chiottes. Les gens me demandaient de faire la ‘pose de la cigarette’. Les clubs m’appelaient pour me proposer des boissons gratuites si je venais chez eux. Je pense que cette pochette d’album est la raison pour laquelle j’ai eu une mention pour mon diplôme. Le meilleur souvenir, c’était quand je suis allé voir Noel Gallagher [du groupe Oasis, ndlr] au Lowry. Je bossais là-bas donc je pouvais aller dans les backstages. Noel m’a interpellé : ‘J’ai votre visage qui se balade dans ma maison !’ et je lui ai répondu : ‘Vous vous baladez aussi chez moi !’“
“Quinze ans. Quel album. J’ai rencontré de belles personnes à l’époque… littéralement grâce à cette photo. Quel plaisir d’y être associé.”
Toutefois, tout n’était pas rose. Il explique avoir reçu des insultes, qu’on lui reprochait de faire la promotion du tabac et un homme l’a un jour agressé en lui jetant une cigarette au visage. Dans le podcast You Round?, il se confie également sur son combat contre l’alcoolisme, qui lui vient de ces années rock.
Aujourd’hui, Chris McClure est sobre, les gens le reconnaissent moins dans la rue, il écrit une sitcom, il a arrêté la musique et il aide des personnes qui ont des difficultés d’apprentissage. “Je continue de voir le groupe, Alex [Turner] et moi allons faire des matches de foot. […] Je suis une personne créative, je ne veux pas que gens se rappellent de moi comme le mec sur la pochette d’un album. […] Les gens me disent souvent qu’ils me connaissent de quelque part mais finissent par laisser tomber. Je ne dis plus rien”, conclut-il, en ne regrettant pas une seule seconde cette expérience.