La légende raconte qu’au sortir de l’adolescence, Erwin Wurm, désireux d’entrer aux Beaux-Arts pour devenir peintre, n’avait été accepté qu’au sein de la section “Sculptures”. Plein de ressources, l’artiste ne s’est pas laissé abattre et a passé le reste de sa carrière à interroger le concept même de sculpture, en imaginant des sculptures plates, des sculptures faites de peintures, des sculptures invisibles, des sculptures actives et même des sculptures humaines.
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Sans le sou au début de sa carrière, il n’utilise que des objets peu coûteux pour laisser libre cours à ses velléités créatives. Le hasard fait partie intégrante de ses décisions. Après son installation près d’une entreprise qui recueille des vêtements d’occasion, il joue avec les transformations de formes des corps et des tissus.
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Ses aventures artistiques le conduisent à expérimenter des médiums différents. La vidéo et la photographie lui donnent l’opportunité de pérenniser ses œuvres éphémères, jusqu’à devenir parties intégrantes de l’œuvre : “On peut même dire que les photographies sont les sculptures. Sans elles, la série n’existe pas”, souligne la Maison européenne de la photographie, qui présente une belle rétrospective à la gloire de l’artiste, “Erwin Wurm, Photographs”.
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Les 200 images exposées ont été réalisées ces quarante dernières années. Elles permettent une immersion dans l’univers d’Erwin Wurm, déjanté au premier abord mais fondamentalement imprégné de réflexions philosophiques et critiques.
Un humour décapant
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Erwin Wurm, qui souhaite donner à l’art la place d’être absurde, réfute la pensée critique du philosophe allemand Theodor W. Adorno pour lequel l’art doit rester une chose noble et sacrée, rappelle la MEP.
“Avec [Adorno], il n’y a pas de place pour le cynisme. L’art ne serait que vérités profondes et sérieuses qu’on ne saurait exprimer avec le sourire. Ce qui veut dire qu’on ne pourrait parler de choses difficiles qu’avec sérieux ou pathos. Je crois que le pathos abaisse les gens”, regrette Wurm.
Cette réfutation ne s’accompagne pas d’un rejet total du sérieux et de la profondeur, bien au contraire. Dans les années 1990, Erwin Wurm poursuit ce qui s’apparente à un travail de recherche sur le concept même d’œuvre d’art en imaginant ses One Minute Sculptures. Il met à contribution ses proches en leur demandant de prendre des poses insolites avec des objets du quotidien pendant une minute.
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Au premier regard, le résultat prête à rire. Pourtant, même dans leur apparente absurdité, les One Minute Sculptures ouvre une chape de questionnements existentiels le temps des soixante secondes de pose. Wurm apprécie le sentiment de “Fremdscham” (“gêne par procuration”, en allemand) suscité par les images : “Ça me plaît parce que c’est un reflet de soi-même : en les regardant prendre la pose, on s’identifie à eux.”
Jusqu’au 7 juin, la MEP propose au public de s’essayer à ces sculptures éphémères, en “faisant le chien” ou en plaçant sa tête sous une lampe, le tout toujours sur une plateforme, afin de respecter l’idée que l’on se fait d’une “vraie” sculpture.
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Des œuvres critiques
Les œuvres d’Erwin Wurm offrent un temps de réflexion, une porte de sortie de nos vies ordinaires : “J’aime bien la notion de mouvement figé qui permet de créer une sculpture via la photographie, une sculpture sans action, une sculpture sur la réflexion”, explique-t-il.
La MEP a réservé un pan de mur entier à la série Instructions for Idleness (“Consignes pour l’oisiveté”) de Wurm. Une quinzaine d’images accrochées de façon anarchique donne des conseils enjoignant le public à s’émanciper des exigences de la société capitaliste, telles que : “Ayez l’air idiot”, “Pensez au vide”, “Faites des mouvements lents” ou encore “Fantasmez sur le nihilisme”.
Dans la même veine, How to Be Politically Incorrect nous invite à cracher dans “la soupe de quelqu’un”. Cette plongée dans le travail de l’artiste autrichien est un mélange d’ode à l’absurde, à la critique sociale et aux questionnements existentiels et méta-artistiques. Une exposition oxymorique, pleine de légèreté et de profondeur.
“Erwin Wurm, Photographs” est à découvrir à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 7 juin 2020.